Citation de cette fiche : Marchandeau S., Pascal M. & Vigne J.-D., 2003. Le Lapin de garenne : Oryctolagus cuniculus (Linné, 1758). Pages 329-332, in : Évolution holocène de la faune de Vertébrés de France : invasions et disparitions (M.Pascal, O. Lorvelec, J.-D. Vigne, P. Keith & P. Clergeau, coordonnateurs), Institut National de la Recherche Agronomique, Centre National de la Recherche Scientifique, Muséum National d'Histoire Naturelle (381 pages). Rapport au Ministère de l'Écologie et du Développement Durable (Direction de la Nature et des Paysages), Paris, France. Version définitive du 10 juillet 2003.
Le Lapin de garenne
L'aire de répartition initiale du Lapin de garenne était probablement limitée à la péninsule ibérique et peut-être au nord-ouest de l'Afrique. L'espèce a été introduite dans de nombreux pays européens et sur tous les autres continents à l'exception de l'Antarctique et de l'Asie (Wilson & Reeder, 1993).

Le plus ancien reste du genre Oryctolagus a été trouvé dans des formations de la fin du Miocène du sud de l'Espagne et celui d'O. cuniculus dans des formations du Pléistocène moyen d'Espagne (Lopez-Martinez, 1977). En France, l'espèce n'apparaît qu'au Pléistocène supérieur (Donard, 1982 ; Callou, 1995, 2003). Elle est présente dans le sud et sud-ouest du pays, à l'exception de la Provence orientale et du Pays basque, dès le début de l'Holocène et durant la période comprenant le Mésolithique, le Néolithique, les âges des métaux et l'époque gallo-romaine, mais reste absente des gisements de même époque du nord du pays. Son aire de répartition semble donc limitée au sud de la France jusqu'au Moyen Âge et ce n'est qu'à partir du 9ème siècle que la Loire sera franchie (Callou, 1995, 2003).

Au Moyen Âge le Lapin de garenne colonise l'ensemble de la France grâce à la multiplication des garennes (Zadora-Rio, 1986 ; Germond et al., 1988). Objet d'un privilège seigneurial, celles-ci sont des espaces d'abord ouverts, puis, à partir du 13ème siècle, plus ou moins clos pour limiter les dégâts causés aux cultures environnantes. Ce sont des lapins échappés de ces garennes qui donnent naissance aux premières populations marronnes au nord de la Loire (Callou, 1995, 2003). D'après Flux (1994), l'installation de ces populations a du être assez lente en raison du caractère semi-domestique des fondateurs et d'après Arthur (1989), dès cette époque, le Lapin est plutôt considéré comme un nuisible qu'il convient de détruire hors des garennes.

Au 16ème siècle, alors que le Lapin commence à être élevé en cages, la pratique des garennes est généralisée au nord de la Loire (Callou, 2003) et l'espèce prolifère rapidement, engendrant de tels dégâts (Biadi & Le Gall, 1993) qu'en 1669 Colbert interdit par ordonnance l'établissement de nouvelles garennes et ordonne la destruction des lapins dans toutes les forêts du Roi. En 1760, Buffon écrivait : "Les lapins se multiplient si prodigieusement dans les pays qui leur conviennent que la terre ne peut suffire à leur subsistance : ils dévorent les herbes, les racines, les grains et même les feuillus et les écorces des arbres et arbrisseaux et si l'on n'avait pas contre eux le secours des furets et des chiens, ils feraient déserter les habitants de ces campagnes". Un arrêt du Conseil d'Etat du 6 janvier 1776 instaure une indemnisation des dégâts causés par les lapins provenant des propriétés du Roi (Arthur, 1989).

Le droit de garenne est supprimé à la Révolution Française et le Lapin acquiert le statut d'espèce gibier sous le Second Empire, Napoléon III donnant l'ordre de le laisser proliférer en forêt de Compiègne. À la fin du 19ème et au début du 20ème siècle, ses populations connaîtront un développement généralisé à la faveur d'évolutions du paysage agricole qui lui seront favorables (Arthur, 1989).

Depuis le début des années 1950, les populations françaises de lapins sont en déclin. L'introduction de l'agent de la myxomatose en 1952 (Armand-Delille, 1953 ; Joubert et al., 1972) a réduit de près de 95 % les populations en 1955 (Giban, 1956). Celles-ci se sont dans un premier temps peu à peu reconstituées, sans toutefois retrouver leur niveau initial, sous le double effet d'un affaiblissement de la pathogénicité des souches virales et de l'acquisition d'une immunité partielle par l'espèce. Les enquêtes nationales fondées sur le prélèvement cynégétique témoignent de ce déclin puisqu'elles font état de tableaux de chasse de 13,2 millions d'individus pour la saison de 1974-75, 6,4 millions pour celle de 1983-84 et seulement 3,2 millions pour celle de 1998-99 (Arthur & Guénézan, 1986 ; Marchandeau, 2000). L'origine probable de ce déclin est à rechercher dans l'évolution des habitats, conséquence des importantes mutations qu'a connues l'agriculture française depuis 50 ans.

Le Lapin de garenne a été introduit dans diverses îles de la Manche, de l'Atlantique et de la Méditerranée. La date de 1889 est citée avec certitude pour l'île aux Moines et l'Île Bono situées dans l'archipel des Sept-Îles (Salembier, 1994). Par ailleurs, l'espèce est signalée présente en 1804 sur l'île de Béniguet dans l'archipel de Molène (Perrard in Miriel, 1993) et en 1724 sur l'île de Saint-Nicolas dans l'archipel des Glénan (Guégen & Le Maître, 1981). Vigne (1988, 1999) fait remonter l'introduction du Lapin de garenne en Corse au début du 20ème siècle, et Battesti et al. (1992) font état de l'introduction de 2700 individus entre 1977 et 1990 par la seule Fédération départementale des chasseurs de Corse-du-Sud.

L'étude du polymorphisme de son ADNmt a mis en évidence deux lignées maternelles distinctes, l'une originaire de l'extrême sud-ouest de la péninsule ibérique (type A) et l'autre du nord du Portugal, du reste de l'Espagne et du sud de la France (type B) (Monnerot et al., 1994). Les populations françaises historiques et actuelles, comme la plupart des populations domestiques (Queney et al., 2002), sont toutes de type B et principalement issues d'haplotypes courants de la façade méditerranéenne de l'Espagne et du Languedoc (Hardy et al., 1995). Des études de génétiques de populations fondées sur l'analyse de l'ADN microsattelitaire indiquent que la colonisation de la France se serait faite depuis le sud du pays selon deux axes privilégiés : la vallée du Rhône et le sillon situé entre les Pyrénées et le Massif Central (Queney, 2000).

De très nombreux travaux attestent du fort impact de l'espèce dans le fonctionnement de ses écosystèmes d'accueil. Par abroutissement, il agit directement sur la composition floristique et sur la structure du couvert végétal, et, indirectement sur le cortège faunistique associé à ce couvert végétal. Par son comportement fouisseur, il accélère les processus d'érosion. Il ne semble pas avoir été vecteur de pathogènes spécifiques au cours de sa diaspora. Il est depuis peu réservoir et vecteur des virus spécifiques de la myxomatose et de la VHD (Viral Haemorrhagic Disease) transmissibles aux formes domestiques. Il est l'un des hôte naturel de la Douve du foie Fasciola hepatica (Ménard et al., 2000) et une étude épidémiologique portant sur Leptospira interrogans, agent de la Leptospirose, menée sur une population d'un site de l'embouchure de la Loire (Réserve du Massereau), a montré une séroprévalence de 40 % (51/129) et l'absence de portage rénal (Michel, 2001). Enfin, il a également été noté porteur d'anticorps dirigés contre le virus de la BVD (Bovine Viral Diarrhea) avec une prévalence de 40 % sans toutefois que l'agent pathogène ait été isolé (Frölich & Streich, 1998).

La législation française actuelle confère au Lapin de garenne le double statut de gibier et de nuisible le second lui étant attribué par décision préfectorale. Le statut de nuisible, qui peut s'appliquer sur tout ou partie d'un département, permet au propriétaire des terres ou au fermier de le détruire, même en l'absence de dégâts patents, et autorise l'organisation de battues administratives (Charlez, 1993).
Indépendamment de son statut juridique, le Lapin de garenne reste un gibier très prisé et les chasseurs en gèrent les populations en encadrant la pratique de la chasse et en aménageant les territoires.

Ressources
Experts
Fiche rédigée par Stéphane MARCHANDEAU

Michel PASCAL
Insitut National de la Recherche Agronomique
Campus de Beaulieu - Avenue du Général Leclerc
35042 Rennes Cedex

Jean-Denis VIGNE
Muséum national d'Histoire naturelle
Anatomie Comparée
55 rue Buffon
75005 Paris
Bibliographie

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