Citation de cette fiche : Pascal M. & Vigne J.-D., 2003. Le Rat noir : Rattus rattus (Linné, 1758). Pages 320-323, in : Évolution holocène de la faune de Vertébrés de France : invasions et disparitions (M.Pascal, O. Lorvelec, J.-D. Vigne, P. Keith & P. Clergeau, coordonnateurs), Institut National de la Recherche Agronomique, Centre National de la Recherche Scientifique, Muséum National d'Histoire Naturelle (381 pages). Rapport au Ministère de l'Écologie et du Développement Durable (Direction de la Nature et des Paysages), Paris, France. Version définitive du 10 juillet 2003.
Le Rat noir
Comme la Souris domestique, le Rat noir est originaire d'Asie. Tchernov (1968, 1985 in Auffray, 1988) le dit présent en Israël, dès le Nafoutien, il y a 12 000 ans, mais, de l'avis même de l'auteur (comm. pers., juin 1998), la validité de la détermination systématique des restes squelettiques seraient à vérifier. En conséquence, les témoignages avérés les plus anciens de la présence de l'espèce en région méditerranéenne proviennent d'Egypte et remontent au milieu du 2ème millénaire avant J.-C. (Audouin-Rouzeau & Vigne, 1994). Par la suite, c'est en pricipalement en commensal de l'Homme, que le Rat noir s'est dispersé sur le pourtour de la Méditerranée, mais à une date relativement récente et, semble-t-il, partout postérieure à la fin du Néolithique. Il pourrait alors avoir fait des incursions précoces et sans lendemain, comme le suggère un vestige du Lac de Neuchâtel, daté de l'Âge du Bronze (Roguin & Studer, 1991).

L'époque de son arrivée en Corse, précisément datée, se situe entre le 4ème et le 2ème siècle avant J.-C. (Vigne & Valladas, 1996), époque contemporaine de son arrivée à Pompéi. Dès le 1er siècle après J.-C., il fait son apparition en Europe occidentale non méditerranéenne où il reste cantonné dans divers foyers urbains portuaires et le long des principales voies de communication, en particulier fluviales (Audouin-Rouzeau & Vigne, 1994, 1997).

Cette répartition particulière, l'apparente absence de dispersion locale, suggère l'hypothèse que beaucoup de ces populations n'ont perduré que grâce à un flux constant d'immigrants entretenu par le commerce de denrées alimentaires (Vigne, 1998) et que c'est au sein de ces métapopulations que s'est parfaite son adaptation locale qui a permis sa forte expansion du début du second millénaire de notre ère. En effet, à partir du bas Moyen Âge, la fréquence d'apparition du Rat noir dans le produit des fouilles archéologiques augmente fortement : à partir du 11ème siècle 90 % des contextes livrent des restes de l'espèce et, à partir du 14ème siècle, ce sont 100 % des contextes dont la microfaune a été examinée qui livrent des restes de Rats noirs (Audoin-Rouzeau & Vigne, 1994).

Actuellement présent sur l'ensemble du territoire de la France (Cheylan, 1984), le nombre et l'effectif de ses populations continentales auraient décliné récemment, cette information n'étant au demeurant pas rigoureusement documentée.

D'après Atkinson (1985), le Rat noir appartient au trio de Rattus (R. exulans, R. Rattus & R. norvegicus par ordre chronologique) que l'Homme a introduit, volontairement (R. exulans) ou non (R. rattus & R. norvegicus) au cours des 3 000 dernières années sur 82 % des îles ou archipels du globe. Ces introductions ont toutes généré de profondes modifications de la composition et du fonctionnement des peuplements animaux et végétaux d'accueil (Palmer & Pons, 1996 ; 2001 i.a.). Elles ont provoqué, ou contribué à la disparition de nombreux taxons autochtones ou endémiques notamment, de l'avifaune et de l'herpétofaune pour ce qui concerne les seuls vertébrés (King, 1985 ; Courchamps et al. sous presse).
En France, les études documentées relatives à l'impact du Rat noir sur les peuplements végétaux et animaux autochtones sont rares et ne portent que sur des milieux insulaires méditerranéens et principalement sur l'avifaune marine (Daycard & Thibault, 1990 ; Thibault, 1995a,b ; Martin et al., 2000) et sur son rôle de propagateur d'espèces végétales allochtones comme les Carpobrotus sur les îles du littoral méditerranéen de la France (Bourgeois, 2002).

Pour mémoire, le Rat noir est réputé vecteur et réservoir de nombreux pathogènes susceptibles d'avoir une incidence en santé humaine et vétérinaire. À titre d'exemple, son rôle de réservoir majeur dans les épidémies de peste en Europe est largement admis (Audouin-Rouzeau & Vigne, 1997), encore que cette interprétation soit parfois relativisée (Beaucournu, 1995). L'éventuel impact de ces pathogènes sur les faunes autochtones est méconnu, les travaux d'épidémiologie ayant été confinés à ce jour et pour l'essentiel aux milieux urbains et périurbains. Les seuls travaux récents en France ont été réalisés par Michel (2001) sur l'île d'Ouessant qui a identifié sur les 33 adultes d'un échantillon de 60 R. rattus, 6 sujets séropositifs au sérogroupe Icterohaemorrhagiae de Leptospira interrogans.

Les populations du Rat noir inféodées à l'habitat humain font l'objet d'opérations de destructions au moyen d'appâts additionnés d'anticoagulants. Sur le territoire français, les mesures de gestion prises à l'encontre de l'espèce en milieu naturel ont toutes été conduites en milieu insulaire. Il s'agit d'opérations de régulations (Daycard & Thibault, 1990) et d'éradications par lutte chimique (Thibault, 1992 ; Vidal & Zotier, 1998), ou par emploi successif du piégeage et de la lutte chimique (Pascal & Lorvelec, 2000) selon la méthode décrite par Pascal et al. (1996a) et en application de la stratégie exposée par Pascal & Chapuis (2000). Cette stratégie, fondée sur le principe que toute opération d'éradication doit être considérée comme une expérience à part entière, se déroule selon 5 phases : établissement d'un état initial, éradication, contrôle du succès ou de l'échec de l'éradication, mise en place de dispositifs prévenant la réinstallation de l'allochtone, évaluation des conséquences de l'élimination de l'espèce allochtone. La méthode d'éradication par emploi successif du piégeage et de la lutte chimique a été appliquée en 2000 pour éliminer avec succès les rats noirs de l'Île Lavezzu et de 17 de ses îlots périphériques (Archipel des Lavezzi, Corse-du-Sud).

À l'occasion des opérations de régulation et d'éradication, Daycard & Thibault (1990), et Thibault (1992, 1995a,b), ont démontré l'impact du Rat noir sur le succès de reproduction du Puffin cendré (Calonectris diomedea). Suite à l'éradication du Rat noir des îles Lavezzi en 2000, le succès de reproduction du Puffin cendré à évolué d'une valeur moyenne de 0,44 établi sur 22 années de contrôle, à 0,85 pour les deux années qui ont suivi l'opération d'éradication (Pascal et al., soumis pour publication).

Ressources
Experts
Fiche rédigée par Michel PASCAL
Insitut National de la Recherche Agronomique
Campus de Beaulieu - Avenue du Général Leclerc
35042 Rennes Cedex

Jean-Denis VIGNE
Muséum national d'Histoire naturelle
Anatomie Comparée
55 rue Buffon
75005 Paris
Bibliographie

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