Citation de cette fiche : Pascal M. & Vigne J.-D., 2003. Le Rat surmulot : Rattus norvegicus (Berkenhout, 1769). Pages 318-320, in : Évolution holocène de la faune de Vertébrés de France : invasions et disparitions (M.Pascal, O. Lorvelec, J.-D. Vigne, P. Keith & P. Clergeau, coordonnateurs), Institut National de la Recherche Agronomique, Centre National de la Recherche Scientifique, Muséum National d'Histoire Naturelle (381 pages). Rapport au Ministère de l'Écologie et du Développement Durable (Direction de la Nature et des Paysages), Paris, France. Version définitive du 10 juillet 2003.
Le Rat surmulot
Le Rat surmulot ou Surmulot est originaire de Chine septentrionale ou de Mongolie. Il n'aurait atteint l'Europe centrale et occidentale qu'après 1700 si l'on se fie aux textes des naturalistes du 18ème siècle. Cependant, la découverte d'un site toscan daté du 14ème siècle après J.-C. et riche en restes de Rats surmulots (Clark et al., 1989) laisse ouverte l'éventualité de l'implantation de petites populations en Europe occidentale avant cette date. Par ailleurs, le caractère soudain et la forte ampleur géographique que suggère la description par les naturalistes du 18ème siècle de l'invasion de l'Europe occidentale par le Rat surmulot sont peut-être exagérés en raison du simple fait que c'est précisément à cette époque que la science a été en mesure de distinguer les diverses espèces de Rattus. S'il n'est donc pas exclus que le Rat surmulot soit arrivé en Occident un peu avant le 18ème siècle, il reste nécessaire de considérer avec prudence les quelques rares mentions et témoignages archéologiques qui feraient remonter cet évènement au Moyen Âge (Cheylan, 1984). Les données des naturalistes du 18ème siècle donnent d'ailleurs suffisamment de précisions sur les dates d'arrivée de l'espèce dans les grands ports d'Europe du Nord, puis d'Amérique, pour qu'on ne puisse nier qu'une phase d'invasion décisive est intervenue à ce moment (Vigne & Villié, 1995). Paris aurait été touchée peu après 1750.

Le Rat surmulot occupe actuellement le territoire français dans sa totalité (Cheylan, 1984). Abondant dans l'ensemble des agglomérations en commensal de l'Homme, il est présent dans nombre d'habitats “ naturels ” hors de la zone méditerranéenne, tout particulièrement dans les milieux humides.

Les premiers travaux destinés à déterminer les modalités de colonisation du Rongeur ont été réalisés en milieu insulaire. Une analyse microsatellitaire, réalisée sur l'ensemble des populations de rats surmulots des îles de l'Archipel de Molène et d'Ouessant, a montré un fort effet fondateur pour chacune des populations insulaires, l'absence de flux génique inter-îles et l'absence de flux génique entre les îles et le proche continent (Calmet, 1999 ; Calmet et al., 2000).

Dans les habitats humains, l'espèce fait des dégâts aux stocks alimentaires, aux structures (elle est réputée avoir percé la dalle de béton de 15 cm d'épaisseur du sol d'un silo à céréales) et être réservoir et vecteurs de divers pathogènes.

En raison de ses fortes capacités d'adaptation, de son régime alimentaire éclectique et plastique, de son fort taux de reproduction et de son comportement agressif, le Rat surmulot est considéré comme l'élément du trio de Rattus que l'Homme a introduit dans 82 % des îles du monde, le plus dangereux pour le fonctionnement de ses écosystèmes d'accueil (Atkinson, 1985).

Son impact sur les peuplements animaux de ses écosystèmes d'accueil n'est documenté, en France, que pour le milieu insulaire. Cette documentation a été établie à l'occasion d'opérations d'éradication. Quatre années après l'élimination du Rongeur de l'ensemble des îles de l'Archipel des Sept-Îles (1994), l'indice d'abondance des populations de la forme Ouest européenne (Taberlet et al., 1998) de la Musaraigne des jardins, Crocidura suaveolens, a été multiplié par 16 (Pascal et al., 1998) et l'effectif des populations d'Orvets, Anguis fragilis, a fortement progressé sans qu'il soit possible de fournir une évaluation quantifiée de cette progression. Pendant les 4 années suivant l'élimination du Rat surmulot de l'île de Trielen (Archipel de Molène, 1996), le nombre de couples nicheurs de 13 espèces d'oiseaux terrestres est demeuré stable alors que ceux du Pipit maritime, Anthus petrosus, du Troglodyte mignon, Troglodytes troglodytes, et de l'Accenteur mouchet, Prunella modularis, tous trois insectivores, ont respectivement été multipliés par 6, 3 et 2 (Kerbiriou et al., soumis).

Les travaux relatifs au portage par le Rat surmulot de parasites, bactéries et virus en milieu naturel sont rares pour la France. Ceux abordant l'impact de ces pathogènes sur la faune des écosystèmes d'accueil sont inexistants. Ménard et al. (2000), signalent l'absence de Fasciola hepatica sur un ensemble de 65 R. norvegicus collectés à l'embouchure de la Loire. Sur le complexe insulaire Ouessant-Molène, Michel (2001) signale une forte prévalence sérologique (12/17 et 42/92 respectivement) et bactériologique (17/26 et 34/52 respectivement) du sérogroupe Icterohaemorrhagiae de la bactérie Leptospira interrogans responsable de la leptospirose sur les îles de Molène et d'Ouessant, et son absence au sein des populations de surmulots des îles de Trielen et de l'îlot Chrétien dépourvues de collections d'eau douce (prévalence : 0/123). La forte pathogénicité des souches isolées a été établie par passage sur Gerbille. Pisanu (1999) a mis en évidence la capture de 9 espèces d'endoparasites monoxènes par les populations de Rats surmulots de Trielen et de l'îlot Chrétien (N=178), 5 d'entre elles étant représentées par des adultes, et, parmi ces dernières, 4 par des adultes fertiles. Au nombre des captures figurent des parasites aviaires. On peut s'interroger sur le rôle du Rat surmulot, qui, présent sur l'île toute l'année contrairement aux oiseaux marins qui ne la fréquentent que pendant la période de reproduction, est susceptible d'y entretenir à année entière de fortes populations de parasites qui sont susceptibles d'avoir une forte incidence sur le succès reproducteur d'oiseaux marins.

Les populations de Rats surmulot inféodées à l'habitat humain font l'objet d'opérations de destructions au moyen d'appâts additionnés d'anticoagulant. Les opérations de gestions menées à l'encontre du Rat surmulot in natura ont toutes été conduites en milieu insulaire. Il s'agit d'opérations d'éradication menées sur 18 îles de 6 archipels de Bretagne entre 1994 et 2002 (Rimains, Sept-Îles, Molène, St. Riom, Houatt, Tomé) selon une méthode décrite par Pascal et al. (1996a) et en application de la stratégie exposée par Pascal & Chapuis (2000) (cf. note Rattus rattus).

Ressources
Experts
Fiche rédigée par Michel PASCAL
Insitut National de la Recherche Agronomique
Campus de Beaulieu - Avenue du Général Leclerc
35042 Rennes Cedex

Jean-Denis VIGNE
Muséum national d'Histoire naturelle
Anatomie Comparée
55 rue Buffon
75005 Paris
Bibliographie

Atkinson I.A.E., 1985. The spread of commensal species of Rattus to oceanic islands and their effects on island avifaunas. ICPB Technical publication N° 3 : 35-81.

Calmet C., 1999. Histoire et fonctionnement des populations d'une espèce invasive en milieu insulaire : le cas du surmulot Rattus norvegicus en Mer d'Iroise (Bretagne, France). DEA Biodiversité : génétique, histoire, mécanisme de l'évolution. Université Paris VI - VII - XI - INA PG - Muséum National d'Histoire Naturelle., Paris : 32 pp.

Calmet C., Pascal M., & Samadi S., 2001. Is it worth eradicating the invasive pest Rattus norvegicus from Molène archipelago ? Genetic structure measures as a decision-making tool. Biodiversity and Conservation, 10 (6) : 911-928.

Cheylan G., 1984. Le Rat surmulot, Rattus norvegicus. In : Atlas des Mammifères sauvage de France. S.F.E.P.M. et S.F.F. Muséum National d'Histoire Naturel de Paris ed. : 188-189.

Clark G., Costantini L., Finetti A., Giorgi J., Jones A., Reese D., Sutherland S. & Whitehouse D., 1989. Food refuse from Tarquinia. Papers of the British School at Rome, 57 : 201-321.

Kerbiriou C., Pascal M., Le Viol I. & Garoche J, 2003. Conséquences sur l'avifaune terrestre de l'île de Trielen (Réserve Naturelle d'Iroise, Bretagne) de l'éradication du rat surmulot (Rattus norvegicus). Rev. Ecol. (Terre Vie) : soumis pour publication.

Ménard A., L'Hostis M., Leray G., Marchandeau S., Pascal M., Roudot N., Michel V. & Chauvin A., 2000. Inventory of wild rodents and lagomorphs as natural hosts of Fasciola hepatica on a farm located in a humid area in Loire Atlantique (France). Parasite, 7 : 77-82.

Pascal M & Chapuis J.-L., 2000. Éradication de mammifères introduits en milieux insulaires : questions préalables et mise en application. Revue d'Ecologie (Terre & Vie), Suppl.7 : 85-104.

Pascal M., Siorat F., Cosson J.-F. & Burin des Roziers H., 1996. Éradication de populations insulaires de Surmulot (Archipel des Sept-Îles - Archipel de Cancale : Bretagne, France). Vie et Milieu - Life & Environment, 46 (3/4) : 267-283.

Pascal M., Siorat F. & Bernard F., 1998. Interactions between norway rats and shrews in Brittany Islands. ALIENS, Newletter of Invasive Species Specialist Group of the IUCN (ISSN : 1173-5988) Special Survival Commission, Newsletter 8 : 7.

Pisanu B., 1999. Diversité, variabilité morphologique et rôle des Helminthes chez des Mammifères introduits en milieu insulaire. Thèse de l'Université Rennes I. - Biologie : 89 pp.

Taberlet P, Fumagalli L., Wust-Saucy A. G. & Cosson J.-F., 1998. Comparative phylogeography and postglacial colonization routes in Europe. Molecular Ecology, 7 : 453-464.

Vigne J.-D. & Villié, 1995. Une preuve archéologique du transport d'animaux par bateau : le crâne de Rat surmulot (Rattus norvegicus) de l'épave du “ Ça Ira ” (Saint-Florent, Haute Corse - fin du XVIIIème siècle). In : L'Homme Méditerranéen. Mélange offert à Gabriel Camp (Chenorkian R. Ed.). Publication de l'Université d'Aix-en-Provence : 411-416.