Citation de cette fiche : Pascal M. & Vigne J.-D., 2003. La Souris domestique : Mus musculus Linné, 1758. Pages 314-316, in : Évolution holocène de la faune de Vertébrés de France : invasions et disparitions (M.Pascal, O. Lorvelec, J.-D. Vigne, P. Keith & P. Clergeau, coordonnateurs), Institut National de la Recherche Agronomique, Centre National de la Recherche Scientifique, Muséum National d'Histoire Naturelle (381 pages). Rapport au Ministère de l'Écologie et du Développement Durable (Direction de la Nature et des Paysages), Paris, France. Version définitive du 10 juillet 2003.
La Souris domestique
Auffray (1988), analysant les fossiles de séries stratigraphiques déposées il y a 120 000 à 12 000 ans en Israël, a établi que la présence de Mus musculus n'y remontait pas à plus de 12 000 ans (Auffray & Britton-Davidian, 1992). Cette installation est contemporaine de la sédentarisation de l'Homme, de la construction des premiers villages, de la systématisation de l'usage de céréales de cueillette, mais pas d'un réchauffement global du climat.

La Souris domestique a accompagné les premières migrations des groupes humains néolithiques vers l'ouest, y compris au-delà des mers, comme en témoigne sa présence dès la fin du 9ème millénaire à Chypre (Cucchi et al., 2002). Cependant, contrairement à toute attente, sa progression marque un fort retard par rapport à la diffusion de la culture néolithique en Europe puisqu'elle n'y apparaît qu'à la fin du 3ème millénaire avant J.-C., au demeurant toujours strictement inféodée à l'Homme et au développement de ses activités agricoles (Auffray, 1988 ; Auffray et al., 1988). C'est ainsi que, si l'élevage et l'agriculture sont apparus au 6ème millénaire avant J.-C. en France continentale, la première attestation certaine de la présence de la Souris domestique (Bouches-du-Rhône) y remonte seulement à l'Âge du Bronze, au 3ème millénaire avant J.-C. (Mistrot & Vigne, 1996-97).
À ce propos, les dates néolithiques de 6000 et 4000 ans avant J.-C. avancées par Poitevin et al. (1990) et relatives à deux sites, l'un de Provence et l'autre du Languedoc, mériteraient d'être validées, tant du point de vue taxinomique, en raison de la confusion possible entre les restes de M. musculus et M. spretus dans ces localités, que chronologique, en raison de possibles migrations verticales de vestiges au sein des assemblages ostéologiques des sites stratifiées des grottes. En effet, une présence aussi ancienne serait surprenante eu égard au fait que la Souris domestique est absente des séquences chronologiques corses du 6ème et 5ème millénaires avant J.-C. et y aurait été introduite seulement entre la fin du 5ème millénaire et le 1er millénaire, ses restes osseux et les sites les renfermant étant trop rares pour permettre une plus grande précision à l'heure actuelle (Vigne, 1999). Il faut néanmoins souligner que les études de microfaunes holocènes demeurent encore très rares.

Dans la partie occidentale de l'Europe extérieure au domaine méditerranéen, les restes paléontologiques actuellement disponibles ne permettent pas de faire remonter la présence de la Souris domestique avant 1 000 ans avant J.-C. (Auffray et al., 1990 ; Vigne, 1997). À ce jour, le fossile le plus ancien de France continentale, hors zone méditerranéenne, attribué avec certitude à M. musculus date de la fin de l'époque gauloise (Vigne, 1992), époque largement postérieure à celle de l'insularisation de la majorité des îles du plateau continental des côtes de l'Atlantique et de la Manche (Giot, 1990 ; Le Bihan & Villard, 2001). Sa présence sur nombre de ces îles doit donc être imputée à l'Homme.

La Souris domestique aurait donc débuté son invasion de la France en commensale de l'Homme par la Corse et sa région méditerranéenne au 3ème millénaire avant J.-C. et aurait étendu son aire de répartition au reste du territoire durant le 1er millénaire avant J.-C.

Dans le domaine continental du territoire français non-méditerranéen, M. musculus semble strictement inféodée à l'Homme et à son bâtit. Pour de nombreux auteurs, cette inféodation reflète la sensibilité de l'espèce aux basses températures. Cette explication n'est pas totalement convaincante, du moins pour la période actuelle, dans la mesure où d'abondantes populations de Souris domestiques persistent in natura dans des îles bretonnes (Pascal et al., 1994), voire, subantarctiques (Pascal, 1983 i.a.). Dans un ensemble de 12 îles du complexe insulaire Ouessant - Archipel de Molène, l'inventaire par piégeage de la faune mammalienne a révélé la présence de M. musculus sur Molène, Ouessant et Béniguet (Pascal et al., 2002). Cependant, seule la dernière de ces îles héberge l'espèce de façon permanente dans ses milieux naturels, les populations des autres îles restant confinées à l'habitat humain. Cette île est aussi la seule des trois à être totalement dépourvue de carnivores et d'autres rongeurs. Cette observation confirme la thèse d'Auffray et al. (1988) qui expliquent le caractère commensale de la Souris domestique non seulement par les ressources trophiques et l'ambiance tempérée que lui offre l'habitat humain, mais aussi par le rôle d'abri de cet habitat qui induit une réduction de la compétition et de la prédation à son égard.

La rareté des populations “ naturelles ” de l'espèce en France explique probablement l'absence de travaux relatifs à son impact sur la flore et la faune indigène. Réputée granivore, de récents travaux montrent que son régime alimentaire peut comporter une part importante, voire, se constituer exclusivement d'invertébrés, tout particulièrement en milieu insulaire ce qui n'est probablement pas sans conséquence sur leurs peuplements d'invertébrés et sur les espèces autochtones qui leurs sont inféodées (Le Roux et al., 2001). La Souris domestique est réputée réservoir et vectrice de divers pathogènes ayant un impact potentiel sur la santé humaine et vétérinaire. À titre d'exemple, elle constitue en Guadeloupe le principal réservoir contaminant de la bactérie Leptospira interrogans, sérogroupe Icterohaemorrhagiae, agent de la leptospirose (Michel, 2001).

Les populations de souris inféodées à l'habitat humain font l'objet d'opérations de destructions au moyen d'appâts additionnés d'anticoagulant. Ces opérations sont réalisées par des professionnelles à la demande de structures municipales, départementales ou de particuliers. La vente libre de diverses préparations permet au particulier de procéder lui-même à ces opérations. L'usage répété, et la plupart du temps non contrôlé, de la lutte chimique a engendré la sélection de populations résistantes aux diverses générations d'anticoagulants. La littérature ne mentionne pas d'opérations de gestion spécifiquement dirigée contre la Souris domestique en milieu naturel en France.

Ressources
Experts
Fiche rédigée par Michel PASCAL
Insitut National de la Recherche Agronomique
Campus de Beaulieu - Avenue du Général Leclerc
35042 Rennes Cedex

Jean-Denis VIGNE
Muséum national d'Histoire naturelle
Anatomie Comparée
55 rue Buffon
75005 Paris
Bibliographie

Auffray J.-C., 1988. Le commensalisme chez la Souris domestique : origine, écologie et rôle dans l'évolution chromosomique de l'espèce. Thèse USTL, Montpellier : 170 pp.

Auffray J.-C., Tchernov E. & Nevo E., 1988. Origine du commensalisme chez la souris domestique (Mus musculus domesticus) vis-à-vis de l'homme. Comptes Rendus de l'Académie des Sciences de Paris, 307 : 517-522.

Auffray J.-C., Vanlerberghue F. & Britton-Davidian J., 1990. The house mouse progression in Eurasia : a paleontological and archeozoological approach. Biological Journal of the Linnean Society, 41 : 13-25.

Auffray J.-C. & Britton-Davidian J., 1992. When did the house mouse colonize Europe ? Biological Journal of the Linnean Society, 45 : 187-190.

Cucchi T., Vigne J.-D., Auffray J.-C., Croft P. & Pertenbourg E., 2002. Introduction involontaire de la souris domestique (Mus musculus domesticus) à Chypre dès le Néolithique précéramique ancien (fin IXe et VIIIe millénaires av. J.-C.). C. R. Académie des Sciences, Palevol, 1 : 235-241.

Giot P.-R., 1990. Le niveau de la mer : changeant, fluctuant, mouvant… Bulletin d'Information A.M.A.R.A.I. Laboratoire d'Anthropologie et de Préhistoire de l'Université de Rennes I, 3 : 5-16.

Le Bihan J.-P. & Villard J.-F., 2001. Archéologie d'une île à la pointe de l'Europe : Ouessant. Centre de Recherche Archéologique du Finistère / Revue Archéologique de l'Ouest, Quimper. T1 : 348 pp.

Le Roux V., Chapuis J.-L., Frenot Y. & Vernon P., 2001. Diet of the house mouse (Mus musculus) on Guillou Island, Kerguelen archipelago, Subantarctic. Polar Biology : sous presse.

Michel V., 2001. Épidémiologie de la leptospirose zoonose : étude comparée du rôle de différentes espèces de la faune sauvage et de leur environnement. Thèse Université C. Bernard Lyon I : 223 pp + 65 pp d'annexes.

Mistrot V. & Vigne J.-D. (1996-97). L'apport des micromammifères. In : Les niveaux de l'Age du bronze du Mourre de la Barque à Jouques (Bouches-du-Rhône) - Première analyse du mobilier et reconstitution paléoenvironnementale (S. Renault dir.). Doc. Archéol. Méridionale, 19-20 : 49-51.

Pascal M., 1983. L'introduction des espèces mammaliennes dans l'Archipel des Kerguelen (Océan Indien Sud). Impact de ces espèces exogènes sur le milieu insulaire. Comptes Rendus de la Société de Biogéographie, 59 (2) : 257-267.

Pascal M., Siorat F., Brithmer R., Culioli J.-M. & Delloue X., 2002. La biodiversité insulaire au péril des espèces introduites. Pen ar Bed, 184/185 : 80-86.

Pascal M., Bioret F., Yésou P. & d'Escrienne L.-G., 1994. L'inventaire des Micromammifères de la Réserve de Faune de l'Île de Béniguet (Finistère). Gibier Faune Sauvage, Game & Wildlife, 11 : 65-81.

Poitevin F., Bayle P. & Courtin J., 1990. Mise en place des faunes de micromammifères (Rongeurs, Insectivores) dans la région méditerranéenne française au post-glaciaire. Vie et Milieu - Life & Environment, 40 : 144-149.

Vigne J.-D., 1992. Les restes de micromammifères. In : Lambot B. & Méniel P., Le site protohistorique d'Acy-Romance (Ardennes). I - L'habitat gaulois, 1988-1990. Reims, Mémoire de la Société Archéologique Champenoise, 7 : 45-47.

Vigne J.-D., 1997. Les micromammifères au Néolithique final à Clairvaux-MM et à Chalain 3 : contribution à l'histoire du commensalisme, In : Les sites littoraux néolithiques de Clairvaux-les- Lacs et de Chalain (Jura), 3, Chalain station 3, 3200-2900 av. J.-C (Pétrequin P. dir.). Maison des Sciences de l'Homme, Paris : 717-722.

Vigne J.-D., 1999. The large "true" Mediterranean islands as a model for the Holocene human impact on the European vertebrate fauna ? Recent data and new reflections. In : The Holocene History of European Vertebrate Fauna. Modern Aspects and Research (Benecke N. Ed.). Deutsches Archäologisches Institut Eurasien-Abteilung. Verlag Marie Leidorf GmbH Rahden/Westf. : 295-322.