Citation de cette fiche : Vigne J.-D., Pascal M. & Lorvelec O., 2003. Le Sanglier d'Eurasie et le Porc marron : Sus scrofa Linné, 1758. Pages 292-293, in : Évolution holocène de la faune de Vertébrés de France : invasions et disparitions (M.Pascal, O. Lorvelec, J.-D. Vigne, P. Keith & P. Clergeau, coordonnateurs), Institut National de la Recherche Agronomique, Centre National de la Recherche Scientifique, Muséum National d'Histoire Naturelle (381 pages). Rapport au Ministère de l'Écologie et du Développement Durable (Direction de la Nature et des Paysages), Paris, France. Version définitive du 10 juillet 2003.
Le Sanglier d'Eurasie et le Porc marron
L'actuelle aire de répartition du Sanglier s'étend depuis l'Afrique du Nord et l'Europe occidentale jusqu'en Chine et en Indonésie (Wilson & Reeder, 1993).

L'espèce apparaît en France continentale au début du Pléistocène moyen (Guérin, 1996). Elle montre de fortes affinités pour le climat tempéré car elle n'est présente que dans la moitié méridionale de la France lors des phases froides du Tardiglaciaire. Quelques individus erratiques s'aventurent cependant déjà jusqu'au centre du Bassin Parisien à l'Alleröd (PTH, 1998). L'invasion de l'ensemble du territoire continental de la France est toutefois achevée dès le début de l'Holocène, le Sanglier étant, avec le Cerf élaphe, l'ongulé le plus fréquemment rencontré dans les assemblages archéologiques du Préboréal, du Boréal, et du début de l'Atlantique (PTH, 1998 ; Vigne et al., 1999).

Le Porc est apparu par domestication du Sanglier au Proche-Orient, sur le versant sud du Taurus oriental (Turquie), aux alentours de 8500 à 8200 avant J.-C., d'où, de proche en proche, il a été transporté jusqu'en Europe occidentale (Vigne, 2000). On a longtemps cru que, par le courant méditerranéen de néolithisation, le Porc n'avait atteint le Midi de la France que vers 4900 avant J.-C., soit plusieurs siècles après le début du Néolithique (Helmer, 1992). La récente preuve de sa présence en Ardèche dès 5300 avant J.-C. (Helmer & Vigne, en préparation) suggère qu'il a été introduit en France continentale dès le milieu du 6e millénaire avant J.-C. (Helmer & Vigne, en préparation). Le courant “ danubien ” de néolithisation l'a amené un peu plus tard sur les marges orientales du territoire national, vers 5100 avant J.-C. (Arbogast, 1994). Au milieu du 5ème millénaire avant J.-C., le Porc d'origine proche orientale était présent sur la totalité du territoire continental français. On ignore si des sangliers autochtones d'Europe occidentale ont été ou non domestiqués simultanément. Toutefois, si le phénomène a eu lieu, il semble avoir été de portée limitée pour la forme domestique. On peut en revanche supposer une forte introgression de gènes proches orientaux dans le pool occidental de sangliers en raison de probables marronnages et croisements entre porcs domestiques et sujets sauvages locaux. Des études de génétiques portant sur ce point sont en cours (ADN fossile).

Le Porc a également été domestiqué, de manière probablement indépendante, au début du Néolithique en Chine méridionale (Debaine-Francfort, 2000 ; Morii et al., 2002). Si des souches domestiques originaires de cette région ont été introduites en France au fil des temps historiques, on ne peut éliminer l'éventualité d'une introgression de gènes d'origine extrême orientale.

L'impact sur les écosytèmes français de l'introduction au début du Néolithique du Porc domestique n'est pas spécifiquement documentée. La seule information disponible à ce sujet est d'ordre général. En effet, ce n'est qu'au 4e millénaire avant J.-C. que les diagrammes palynologiques caractéristiques de l'ouverture agro-pastorale des paysages se généralisent en France (Bourquin-Mignot et al., 1999), soit donc près de deux millénaires après l'introduction concommitante des quatre espèces d'ongulés domestiques néolithiques, le Boeuf, le Mouton, la Chèvre et le Porc.

L'espèce, actuellement présente sur l'ensemble du territoire continental français (Franceschi, 1985), n'a pas d'ancêtre autochtone en Corse. Elle y a été introduite aux environs de 5600-5500 avant J.-C., probablement sous forme domestique (Vigne, 1999). C'est sans doute à partir d'animaux d'élevage marronnés que se sont constituées les premières populations de Sanglier corse. Le caryotype intermédiaire entre Sanglier et Porc observé sur les populations sauvages traditionnelles de Corse (Popescu et al., 1980) témoignerait de ce processus de marronnage. On ignore cependant si d'éventuelles introductions de sangliers continentaux, comme c'est le cas à l'heure actuelle avec les lâchers cynégétiques, ne sont pas venues diversifier le pool génétique originel (Vigne, 1988).

L'impact de l'espèce sur les écosystèmes corses n'est pas spécifiquement documenté.

Le Sanglier est classé gibier selon la législation française et la gestion de ses populations répond aux règles de la cynégétique.

Ressources
Experts
Fiche rédigée par Jean-Denis VIGNE
Muséum national d'Histoire naturelle
Anatomie Comparée
55 rue Buffon
75005 Paris

Michel PASCAL
Insitut National de la Recherche Agronomique
Campus de Beaulieu - Avenue du Général Leclerc
35042 Rennes Cedex

Olivier LORVELEC
Insitut National de la Recherche Agronomique
Campus de Beaulieu - Avenue du Général Leclerc
35042 Rennes Cedex
Bibliographie

Arbogast R.-M., 1994. Premiers élevages néolithiques du Nord-Est de la France. Liège, Erault (n° 67).

Bourquin-Mignot C., Brochier J.-E., Chabal L., Crozat S., Fabre L., Guibal F., Marinval P., Richard H., Terral J.-F. & Théry-Parisot I., 1999. La botanique. Errance, Collection "Archéologiques", n°5, Paris.

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