Citation de cette fiche : Keith P. & Dorson M., 2003. La Truite arc-en-ciel : Oncorhynchus mykiss (Walbaum, 1792). Pages 130-132, in : Évolution holocène de la faune de Vertébrés de France : invasions et disparitions (M.Pascal, O. Lorvelec, J.-D. Vigne, P. Keith & P. Clergeau, coordonnateurs), Institut National de la Recherche Agronomique, Centre National de la Recherche Scientifique, Muséum National d'Histoire Naturelle (381 pages). Rapport au Ministère de l'Écologie et du Développement Durable (Direction de la Nature et des Paysages), Paris, France. Version définitive du 10 juillet 2003.
La Truite arc-en-ciel
La Truite arc-en-ciel est originaire de la côte ouest des Etats-Unis et du Canada. Son premier transfert de la côte ouest à la côte est des Etats-Unis fut réalisé en 1874 (Hershberger, 1992).

Les premières tentatives de son introduction en France remontent à la période 1881- 1884 (Raveret-Wattel, 1889). Dès 1890, elle est introduite dans le Doubs (Josse, 1924), puis en 1903, dans le Cher (Dubois, 1903), en 1907, dans la Saône (Quincy, 1907), en 1908, dans la Seine (Gerdill & Lefebvre, 1910 ; Keith, 1998). Depuis, au fil du temps, elle a fait l'objet de nombreuses introductions successives dans la perspective du développement de la pêche amateur, y compris en Corse (Roché & Mattei, 1997). Dans les années 1960, ces opérations se sont multipliées et amplifiées avec la maîtrise de son alimentation artificielle (Baglinière & Ombredane, 2001). Cette maîtrise est par ailleurs à l'origine du rapide développement de son élevage aquacole. La France occupait la place de premier producteur mondial de Truites arc-en-ciel en 1997 avec une production de 46 700 tonnes réalisée sur 818 sites, 2350 tonnes de cette production étant destinées au repeuplement et déversées dans le milieu naturel (Soler, 1999, Anonyme, 1999).

Si la Truite arc-en-ciel est largement présente sur le territoire européen de la France, Corse comprise (Baglinière & Ombredane, 2001), la réalité de sa reproduction dans la nature fait encore l'objet de débats. Dans la majorité des secteurs où sa présence est signalée, elle ne se maintient que par l'entremise de déversements importants et réguliers de sujets provenant d'élevage. Cependant, trois populations semblent se maintenir sans apports exogènes, il s'agit de celles du lac des Bouillouses dans le Vaucluse, du ruisseau d'Estibère et du lac de l'Ours dans les Pyrénées.

La Truite arc-en-ciel appartient au groupe des salmonidés dont l'introduction dans les lacs de montagne des Alpes et des Pyrénées a été mise en rapport avec la réduction des effectifs de populations d'amphibiens, tel le Crapaud accoucheur (Alytes obstetricans) dans les Alpes, et les endémiques Euprocte des Pyrénées (Euproctes asper) et Euprocte de Corse, E. montanus (Roché & Mattei, 1997 ; Delacoste et al., 1997).
La Truite arc-en-ciel s'est révélée apte à propager des gyrodactyles européens, Gyrodactylus salaris, G. lavareti, G. derjavini et G. truttae (Lambert, 1997), mais elle est surtout mise en cause dans la dissémination du virus de la Septicémie Hémorragique Virale (SHV). L'origine de cette maladie, qui a provoqué de fortes mortalités dans les élevages européens de Truites arc-en-ciel dès les années 1950, est restée longtemps mystérieuse. C'est au début des années 1960 que le virus responsable fut isolé au Danemark (Jensen, 1963). Inconnu de la zone d'origine de la Truite arc-en-ciel aux Etats-Unis, les observations de terrain l'ont d'abord montré non pathogène pour les Salmonidés autochtones européens. Puis furent isolés des types de ce virus qui se révélèrent des pathogènes de la Truite fario (Salmo trutta) (De Kinkelin & Le Berre, 1977), puis du Brochet (Esox lucius) (Meier & Vestergard Jorgensen, 1980). En 1979, le virus fut isolé de morues (Gadus morhua) (Jensen et al., 1979), puis de turbots (Scophtalmus maximus) (Schlotfeldt et al., 1991) et de harengs (Clupea harengus) (Dixon et al., 1997), mais les souches isolées de ces poissons de l'Atlantique se sont révélées dépourvues de pouvoir pathogène pour la Truite arc-en-ciel (Dixon, 1999). Par ailleurs, en 1988, d'autres formes du virus, elles aussi non pathogènes pour les salmonidés, furent isolées de salmonidés migrateurs du Pacifique nord-est (Oncorhynchus kisutch et O. tshawytscha) (Winton et al., 1989), puis de poissons marins du même bassin océanique (Hershberger et al., 1999). Au terme de cette longue enquête, l'hypothèse la plus plausible retenue actuellement pour expliquer l'émergence de la SHV dans la salmoniculture européenne et sa dissémination à des espèces autochtones dans le milieu naturel, est qu'une souche de ce virus, présente dans le poisson frais de l'Atlantique donné comme aliment aux truites arc-en-ciel, se serait adaptée à ce nouvel hôte (Dixon, 1999), puis à la Truite fario et au Brochet, alors que les formes virales du Pacifique n'auraient pas franchi ces barrières d'espèce.
Par ailleurs, ce n'est qu'un bon siècle après l'introduction de la Truite arc-en-ciel que sa principale maladie virale nord américaine, la nécrose hématopoïétique (NHI), et une grave maladie bactérienne, la yersiniose à Yersinia ruckeri ont été introduites en France (De Kinkelin et al., 1987 ; Lésel et al., 1983). Si, selon toute vraisemblance, l'introduction de Yersinia ruckeri s'est faite à l'occasion d'importations de Têtes de boule (Pimephales promelas) (Michel et al., 1986), on ne peut que supposer que celle de la NHI l'ait été à l'occasion d'importation d'oeufs de salmonidés.
Le déversement fréquent dans le milieu naturel et en de nombreux sites, d'importantes quantités de poissons provenant de divers élevages peut donc poser de graves problèmes sanitaires, risques cependant réduits par l'actuelle politique sanitaire visant l'éradication des deux maladies légalement réputées contagieuses, la SHV et la NHI.
Ces corrélations observées, a posteriori, entre l'introduction de l'espèce et des modifications de l'abondance de certains taxons ou l'émergence de certains pathogènes, ne doivent pas masquer le fait qu'aucune recherche spécifique n'a été menée de façon fondée sur l'impact des introductions de la Truite arc-en-ciel sur le fonctionnement de ses écosystèmes d'accueil.

La Truite arc-en-ciel peut faire localement l'objet de mesures de gestion dans le cadre de plan de gestion piscicole mais pas au titre d'espèce allochtone.

Ressources
Experts
Fiche rédigée par Philippe KEITH
Muséum National d'Histoire Naturelle
Département des milieux et peuplements aquatiques
57 rue Cuvier
75005 Paris

Michel DORSON
Bibliographie

Anonyme, 1999. Recensements de la pisciculture française. Service central des enquêtes et études statistiques. Ministère de l'Agriculture et de la Pêche. Paris, CDROM.

Baglinière J.-L. & Ombredane D., 2001. La Truite arc-en-ciel Oncorhynchus mykiss (Walbaum, 1792). In : Atlas des poissons d'eau douce de France (Keith P. & Allardi J. Édit.). Patrimoines naturels, MNHN, Paris, n°47 : 250-251.

De Kinkelin, P. & Le Berre M., 1977. Isolement d'un rhabdovirus pathogène de la truite fario (Salmo trutta). Comptes rendus de l'Académie des Sciences, Paris, 284 : 101-105.

De Kinkelin P., Hattenberger A.M., Torchy C. & Lieffrieg F., 1987. Infectious haematopoietic necrosis (IHN) : first report in Europe. Abstracts of the 3d EAFP international conference : 57.

Dixon P.F., 1999. VHSV came from the marine environment : clues from the litterature or just red herrings ? Bulletin of European Association of Fish Pathologists, 19 (2) : 60-65.

Dixon P.F., Feist S., Kehoe E., Parry L., Stone D.M. & Way K., 1997. Isolation of viral haemorragic septicaemia virus from atlantic herring Clupea harengus from the English Channel. Disease Aquatic Organisms, 30 (2) : 81-89.

Dubois P., 1903. Les poissons du département du Cher d'après la classification du Dr Moreau. Bulletin de la Société Centrale d'Aquiculture et de Pêche, 15 : 53-59.

Gerdill H. & Lefebvre A., 1910. Les résultats du réempoissonnement artificiel. L'oeuvre de la "Truite châtillonnaise". Bulletin de la Société Centrale d'Aquiculture et de Pêche, 22 : 192-193.

Hershberger W.K., 1992. Genetic variability in rainbow trout populations. In : The rainbow trout. (Gall G.A.E., Éd.). Elsevier, Amsterdam : 49-71.

Hershberger P.K., Kocan R.M., Elder N.E., Meyers T.R. & Winton J.R., 1999. Epizootiology of viral haemorrhagic septicaemia virus in pacific herring from the spawn-on-kelp fishery in Prince William Sound, Alaska, USA. Disease Aquatic Organisms, 37 (1) : 23-31.

Jensen M.H., 1963. Preparation of fish tissue cultures for virus research. Bull. Off. Intern. Epiz., 59 (1- 2) : 131-134.

Jensen N.J., Bloch B. & Larsen J.L., 1979., The ulcus syndrome in cod (Gadus morhua). III A preliminary virological report. Nord. Vet. Med., 31 : 436-442.

Josse E., 1924. Les poissons du bassin du lac de Saint-Point. Faivre-Vernay, Pontarlier, F : 59 pp.

Keith P., 1998. Evolution des peuplements ichtyologiques de France et stratégies de conservation. Thèse Université de Rennes I : 236 pp.

Lambert A., 1997. Introduction de poissons dans les milieux aquatiques continentaux : "Quid de leurs parasites ?". Bulletin Français de Pêche et de Pisciculture, 344/345 : 323-333.

Lésel R., Lésel L.M., Gavini F. & Vuillaume A., 1983. Outbreak of enteric redmouth disease in rainbow trout, Salmo gairdneri, in France. Journal of Fish Disease, 6 : 385.

Michel C., Faivre B. & De Kinkelin P., 1986. A clinical case of enteric redmouth in minnows (Pimephales promelas) imported in Europe as bait fish. Bulletin of European Association of Fish Pathologists, 6 : 97-99.

Meier W. & Vestergard Jorgensen P.E., 1980. Isolation of VHS virus from pike fry (Esox lucius) with hemorrhagic symptoms. Fish Diseases, IIId COPRAQ Session (Ahne W. Éd.), Springer-Verlag, Berlin Heidelberg New York : 8-17.

Quincy H., 1907. L'acclimatation de poissons dans la Saône. Bulletin de la Société Centrale d'Aquiculture et de Pêche, 19 : 279.

Raveret-Wattel C., 1889. Le Saumon de Californie dans le bassin de la Méditerranée. Bulletin de la Société Centrale d'Aquiculture et de Pêche, 1 : 13-14.

Roché B. & Mattei J., 1997. Les espèces animales introduites dans les eaux douces de Corse. Bulletin Français de Pêche et de Pisciculture, 344/345 : 233-241.

Schlotfeldt H.J., Ahne W., Jorgensen P.E.V. & Glende W., 1991. Occurrence of viral haemorrhagic septicaemia in turbot, (Scophtalmus maximus) - a natural outbreak. Bulletin of European Association of Fish Pathologists, 11 : 105-107.

Soler M.-J., 1999. La salmoniculture française en 1997. Agreste primeur. Statistique agricole du Ministère de l'Agriculture et de la Pêche. N° 54 : 4 pp.

Winton J.R., Batts W.N., Nishinawa T. & Stehr C.M., 1989. Characterization of the first North American isolates of viral hemorrhagic septicaemia virus. Amer. Fish. Soc. Fish Health Section Newsletter, 17 (2) : 2.