Citation de cette fiche : Veysset A., 2003. La Tortue de Floride (la Trachémyde écrite) : Trachemys scripta (Schoepff, 1792). Pages 162-165, in : Évolution holocène de la faune de Vertébrés de France : invasions et disparitions (M.Pascal, O. Lorvelec, J.-D. Vigne, P. Keith & P. Clergeau, coordonnateurs), Institut National de la Recherche Agronomique, Centre National de la Recherche Scientifique, Muséum National d'Histoire Naturelle (381 pages). Rapport au Ministère de l'Écologie et du Développement Durable (Direction de la Nature et des Paysages), Paris, France. Version définitive du 10 juillet 2003.
La Tortue de Floride (la Trachémyde écrite)
L'aire de répartition initiale de la Trachémyde écrite couvre une partie des Etats-Unis d'Amérique (au sud d'une ligne allant de la Virginie au Nouveau Mexique et remontant au centre jusqu'aux Grands-Lacs), l'Amérique centrale continentale et le nord de l'Amérique du Sud jusqu'à atteindre le Brésil (Anonyme, 2002). L'espèce a été introduite dans de nombreuses régions intertropicales dont Hawaï, le Japon, l'Asie du Sud-Est et les Antilles (Anonyme, 2002), mais aussi en Israël et dans différents pays d'Europe où des populations se sont établies dans le milieu naturel (Ineich, 1997).

La Trachémyde écrite comprend un nombre important de sous-espèces dont la Trachémyde à tempes rouges (Trachemys scripta elegans), souvent appelée "Tortue de Floride" en France, du fait d'une confusion entre une zone d'élevage supposée, la Floride (le principal lieu d'élevage est en réalité la Louisiane – Veysset, 1992), et son aire réelle de répartition qui correspond à la vallée du Mississipi, depuis l'Illinois jusqu'au Golfe du Mexique (Arvy & Servan, 1995 ; Bonin et al., 1996).

Depuis les années 1970, une cinquantaine de fermes de Louisiane, fonctionnant en ranching, ont exporté pour la terrariophilie dans le monde entier, jusqu'à 6 millions de tortues nouveau-nées par an, appartenant essentiellement au taxon T. s. elegans (Salzberg, 1995 ; Arvy, 1997). Cette stratégie de commercialisation vers d'autres pays a été menée en toute connaissance de l'interdiction (1975) qui leur était faite de vendre des tortues en dessous de 4 inches (12 cm) sur le territoire des Etats-Unis, du fait du risque avéré de développement de salmonelloses dans la population humaine (Veysset, 1992).

En France métropolitaine, de 300 000 à 800 000 T. s. elegans nouveau-nées, dont la plupart mourra en captivité, ont été importées annuellement et vendues sous l'appellation de "Tortues naines", depuis les années 1970 et jusqu'à une première interdiction en 1992, puis une définitive en 1997 (Dupré, 1995 ; Servan & Arvy, 1997 ; Veysset, 2000). La taille, les pollutions occasionnées et l'agressivité relative des animaux ayant survécu en captivité, ont conduit de nombreux terrariophiles amateurs à s'en débarrasser en les lâchant dans le milieu naturel en dépit de l'arrêté de 1996 du Ministère de l'Environnement l'interdisant. Certains individus se sont acclimatés dans des mares, marais, bassins de villes, étangs, lagunes et lacs, où ils peuvent survivre de nombreuses années. Les cartes de présence (Arvy & Servan, 1998) montrent que T. s. elegans est actuellement observée sur l'ensemble du territoire français dont la Corse, principalement autour des grandes agglomérations, mais également, dispersée, dans les zones rurales.
Globalement, il semble que la dynamique démographique de T. s. elegans pourrait être limitée en France par le climat, notamment la température qui semble insuffisante dans le nord du pays et les régions océaniques pour permettre l'incubation des oeufs en milieu naturel, par le faible nombre de mâles disponibles ou par le nombre réduit de milieux favorables à la reproduction. Son maintien pourrait être lié, dans de nombreux cas, au vecteur humain qui continue à la distribuer dans le milieu naturel (Veysset, 2000). Cependant, elle se reproduit dans le sud de la France continentale où des populations pérennes semblent désormais s'être constituées. De nombreuses observations et témoignages ont été communiqués dans la lettre de liaison du groupe Cistude de la Société Herpétologique de France. Ils montrent, depuis 1994, que ces populations sont installées dans la banlieue des principales villes d'Aquitaine, dans la Garonne et le Canal du Midi en amont et en aval de Toulouse, en Provence, dans la Vallée du Rhône et de ses affluents dans le sud de Lyon, et que des juvéniles sont aperçus régulièrement.
À la lueur de ces données, nous avons considéré cette espèce comme durablement installée sur une partie du territoire national. La troisième édition de l'Atlas national de répartition des Amphibiens et des Reptiles de France (Société Herpétologique de France, à paraître) a d'ailleurs retenu ce taxon dans sa liste d'espèces, sous l'appellation vernaculaire de Tortue de Floride (Jean Lescure, comm. pers., octobre 2001).
D'autres sous-espèces de T. scripta et d'autres espèces de Tortues d'eau douce sont toujours vendues dans les animaleries françaises et leur implantation dans le milieu naturel demeure un risque potentiel d'actualité.

T. s. elegans est d'abord carnivore puis devient omnivore avec l'âge. Dans son aire de répartition d'origine, où elle fréquente les eaux stagnantes ou à faible cours, sa durée de vie est en moyenne de 20 ans et peut atteindre 50 ans. Elle se reproduit à partir d'un âge compris entre 3 et 8 ans et pond 3 à 14 oeufs chaque année en une ou plusieurs pontes (Gibbons, 1990).
En France, l'impact de T. s. elegans sur ses écosystèmes d'accueil commence à être connu. Elle peut avoir un effet destructeur sur la faune et la flore, en particulier sur les amphibiens, dont de nombreuses espèces sont de plus en plus menacées dans de nombreux écosystèmes fragilisés, péri-urbains notamment (Prévot-Julliard & Girondot, 2001).

Elle peut également entrer en compétition avec la Cistude d'Europe (Emys orbicularis), Tortue d'eau douce autochtone en France continentale et en Corse, en raison du large recouvrement des niches écologiques des deux taxons (Servan & Arvy, 1997 ; Arvy & Servan, 1998 ; Cadi & Joly, 2000). On constate que les cistudes disparaissent des milieux où une population de T. s. elegans a été introduite (Christophe Coïc, comm. pers., octobre 2001). L'éventuel transfert d'agents pathogènes à la Cistude d'Europe n'a pas été étudié à ce jour. Il n'y a pas actuellement de T. s. elegans dans les biotopes occupés par l'Emyde lépreuse (Mauremys leprosa), autre Tortue d'eau douce présente en France continentale (Manuel Franck, comm. pers., juillet 1999).
En France, la Société Protectrice des Animaux a ouvert ses centres d'accueil aux individus abandonnés et cette initiative a été reprise par quelques jardins zoologiques et centres, comme "Tortues Passion" à Vergèze, dans le Languedoc, qui peut en recevoir 1500 et, en région parisienne, dans le cadre de l'opération programmée par Prévot-Julliard & Girondot (2001) et financée par l'Office National des Forêts. Les populations actuellement présentes dans le milieu naturel ne font pas l'objet de mesures de gestion spécifiques et programmées.

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Experts
Fiche rédigée par Alain VEYSSET
Bibliographie

Anonyme, 2002. Trachemys scripta (Schoepff, 1792). In : The European Molecular Biology Laboratory (EMLB) Reptile Database (P. Uetz, T. Etzold & R. Chenna, editors). Systematics Working Group of the German Herpetological Society (DGHT) : http :// www.embl-heidelberg.de/ ~uetz/ LivingReptiles.html.

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