Citation de cette fiche : Paysant F., Lorvelec O. & Thiery G., 2003. La Vipère aspic : Vipera aspis (Linné, 1758). Pages 165-168, in : Évolution holocène de la faune de Vertébrés de France : invasions et disparitions (M.Pascal, O. Lorvelec, J.-D. Vigne, P. Keith & P. Clergeau, coordonnateurs), Institut National de la Recherche Agronomique, Centre National de la Recherche Scientifique, Muséum National d'Histoire Naturelle (381 pages). Rapport au Ministère de l'Écologie et du Développement Durable (Direction de la Nature et des Paysages), Paris, France. Version définitive du 10 juillet 2003.
La Vipère aspic
L'aire naturelle de répartition de la Vipère aspic est limitée à une partie de l'Europe occidentale. Ses extensions méridionales atteignent le nord de l'Espagne, la Sicile, la Calabre et l'extrême nord-ouest de la Slovénie. Sa limite septentrionale actuelle est une ligne courbe s'étirant depuis la frange nord de l'embouchure de la Loire jusqu'au sud de la Forêt- Noire en Allemagne. Cette ligne passe par le sud de l'Ille-et-Vilaine, le sud du Perche, le sud du bassin Parisien, la Lorraine, région où l'on constate une remontée vers le nord jusqu'en limite du Luxembourg, puis s'infléchie vers le sud, excluant les Vosges et l'Alsace (Saint Girons, 1978, 1989 & 1997 ; Doré, 1983 ; Naulleau, 1986 & 1997 ; Gruber, 1989 ; Engel & Thorn, 1996 ; Joger, 1996 ; Renner, 1996 ; Barbadillo, 1999 ; David & Ineich, 1999 ; Tome, 2001 ; Uetz et al., 2002). À l'intérieur de cette zone, l'espèce est absente de Corse et de Sardaigne, mais elle est présente sur deux autres îles tyrrhéniennes, Elbe et Montecristo. Elle est également connue de l'île d'Oléron. En Europe de l'Est, les données concernant son éventuelle présence en Bulgarie ne sont pas confirmées par Saint Girons (1997) et seraient même erronées selon Jogger cité par David & Ineich (1999).

En France, il existe quelques données fiables indiquant la présence passée de l'espèce au nord de l'aire actuelle de répartition. Elles concernent le Morbihan méridional au 19ème siècle (Taslé, 1866) et le sud de la presqu'île de Crozon dans le Finistère où des spécimens ont été observés dans les années 1950 et 1960 (Le Garff, 1973, 1984 & 1988). Ces données sont parfois interprétées comme le témoignage de l'existence, jusqu'à une période récente, de populations reliques (Saint Girons, 1978 ; Parent, 1981), l'hypothèse alternative étant celle de l'introduction de l'espèce par l'Homme sur ces sites. Une population comparable existe encore dans le Perche (sud de l'Orne) où la Vipère aspic, considérée comme peut-être encore présente par Fretey (1975), a finalement été retrouvée par René Reboux (Cochard, 2000) après plus d'un siècle d'absence d'observation.
Dans la partie sud-ouest de son aire de répartition, Saint-Girons (1978) considère la Vipère aspic comme rare dans les landes de Gascogne, sans doute en raison d'une colonisation récente.

Au nord de son aire de répartition, quelques populations sont le résultat d'introductions délibérées. Il s'agit d'une population au nord de Granville dans la Manche (Chabot, 1995 ; Livory, 1999 ; Cochard, 2000 & 2002) et de populations alsaciennes aux environs de Colmar dans le Haut-Rhin (Baumgart, Parent & Thorn, 1983 ; Thiriet, 2001).

Dans la Manche, la première observation de l'espèce date de 1982. Depuis, les observations sont devenues régulières mais peu fréquentes (Chabot & Cochard, comm. pers., décembre 2002). Des juvéniles ont été observés dès 1995, attestant, sous l'hypothèse qu'ils n'aient pas eux-mêmes été introduits, de la reproduction de l'espèce sur le site (Chabot, 1995). Il semble que des lâchers successifs réalisés par un particulier, peut-être à partir de reproductions obtenues en terrarium, soient à l'origine de cette population, mais aucune précision n'est disponible concernant la ou les dates d'introductions ainsi que le nombre ou l'appartenance sub-spécifique des individus introduits. Cette population pourrait être actuellement menacée par la destruction de ses biotopes et son apparente expansion géographique résulterait vraisemblablement d'un effort de prospection plus soutenu (Pierre- Olivier Cochard, comm. pers., décembre 2002).
En Alsace, cinq sites répartis sur un rayon de 15 à 20 km autour de Colmar ont fait l'objet d'introductions délibérées par un naturaliste local, qui avait pour objectif d'identifier les facteurs responsables de l'absence locale de Vipères (facteurs environnementaux, biogéographiques ou historiques). Sur la commune de Ribeauvillé, trois noyaux de populations ont été constitués en 1973, chacun à partir d'une trentaine de fondateurs appartenant à la sous-espèce zinnikeri et originaires du Gers. Un renforcement de population a été effectué en 1979 sur l'un des sites au moyen de vingt à trente individus de la sous-espèce aspis originaires du Jura. Sur la commune du Bonhomme, une quinzaine d'individus du taxon aspis, originaires du Puy de Dôme, a été introduit en 1979. Une quinzaine d'individus de ce même taxon, originaires du Jura, a été introduit en 1987 sur la commune de Rouffach. Le suivi régulier des sites de Ribeauvillé entre 1973 et 1981 et de Rouffach entre 1987 et 2001, a permis à l'auteur des introductions de confirmer la reproduction de l'espèce in situ. La population du Bonhomme n'a pas fait l'objet de suivi depuis son introduction et l'on ne dispose d'aucune information sur son évolution. Il faut aussi signaler l'introduction de la Vipère péliade (Vipera berus), effectuée par le même naturaliste en 1979, sur les communes de Lapoutroie et de Ribeauvillé. La soixantaine d'individus transférés, qui comprenait surtout des femelles, était originaire du Jura, du Doubs et du Puy de Dôme. Certains individus appartenaient à la forme mélanique "prester". La population introduite sur la commune de Ribeauvillé semble actuellement, plus de 20 ans après l'introduction, en voie d'extinction (Barbery & Thiriet, 1999), contrairement à celle du site de Lapoutroie, où des individus sont régulièrement observés.

C'est la présence de populations délibérément introduites et apparemment pérennes depuis au moins 21 ans dans la Manche et accessoirement depuis 30 ans dans le Haut- Rhin, qui font retenir la Vipère aspic au nombre des espèces ayant réalisé une invasion biologique dans une entité biogéographique de France. Dans l'entité Nord-Ouest du découpage géographique retenu pour ce travail, un hiatus géographique important existe entre la population introduite dans la Manche et les populations autochtones situées dans le sud de l'Ille-et-Vilaine et dans le sud et l'Orne. Dans l'entité Est, les populations introduites dans le Haut-Rhin apparaissent relativement moins éloignées géographiquement des populations autochtones périphériques de la Lorraine ou de la porte de Bourgogne.

Dans ces deux régions, l'impact de la Vipère aspic sur la composition et le fonctionnement des écosystèmes d'accueil n'a pas fait l'objet d'études approfondies. Cependant, à la suite d'une introduction d'individus de cette espèce, il faut garder en mémoire que des phénomènes de compétition pour les sites d'insolation ou pour la ressource trophique sont susceptibles d'apparaître avec la Vipère péliade ou avec des populations déjà présentes de la Vipère aspic (Saint Girons, 1975 ; Monney, 1996), que des hybridations entre sous-espèces d'une même espèce ou entre espèces différentes sont théoriquement possibles (Saint Girons, 1975) et qu'une interaction peut s'établir avec la Coronelle lisse (Coronella austriaca) qui se révèle être un prédateur occasionnel de la Vipère aspic (Engelmann, 1993).
Dans la Manche, la Vipère péliade est présente aux alentours et il n'existe pas de données concernant la Coronelle lisse.
En Alsace, tous les sites où ont eu lieu les introductions étaient initialement totalement dépourvus de Vipéridés, mais dans les deux localités où l'espèce est connue avec certitude, elle est sympatrique avec la Coronelle lisse. La commune de Ribeauvillé, où ont été introduits successivement des individus appartenant aux sous-espèces zinnikeri et aspis, ne semblerait plus abriter actuellement que des individus de phénotype zinnikeri. Bien que Zuffi (2002) propose, sur la base de données morphométriques, d'élever zinnikeri au rang d'espèce (Vipera zinnikeri Kramer, 1958), il a été décidé de conserver à ce taxon un statut sub-spécifique pour l'Atlas national de répartition des Amphibiens et des Reptiles de France (troisième édition à paraître, Jean Lescure, comm. pers., janvier 2003). Cependant, si le point de vue de Zuffi se trouvait validé à l'avenir par l'ensemble de la communauté scientifique, le site de Ribeauvillé nécessiterait des investigations approfondies pour déterminer l'appartenance spécifique des populations présentes.

La Vipère aspic est partiellement protégée par la législation française (Anonyme, 1993). La destruction d'individus de cette espèce ne peut être autorisée que lorsque qu'ils présentent un danger, mais les spécimens tués doivent être laissés sur place. Ses populations introduites ne font pas l'objet d'opérations de gestion particulières.

Ressources
Experts
Fiche rédigée par Franck PAYSANT

Olivier LORVELEC
Insitut National de la Recherche Agronomique
Campus de Beaulieu - Avenue du Général Leclerc
35042 Rennes Cedex

Gilles THIERY
Bibliographie

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