Citation de cette fiche : Marion L. & Clergeau P., 2003. L'Ibis sacré : Threskiornis aethiopicus (Latham, 1790). Pages 186-187, in : Évolution holocène de la faune de Vertébrés de France : invasions et disparitions (M.Pascal, O. Lorvelec, J.-D. Vigne, P. Keith & P. Clergeau, coordonnateurs), Institut National de la Recherche Agronomique, Centre National de la Recherche Scientifique, Muséum National d'Histoire Naturelle (381 pages). Rapport au Ministère de l'Écologie et du Développement Durable (Direction de la Nature et des Paysages), Paris, France. Version définitive du 10 juillet 2003.
L'Ibis sacré
L'Ibis sacré, disparu vers 1850 d'Egypte où il était très abondant et probablement du sud est de l'Irak où il était encore reproducteur dans les années 1970, reste bien présent en Afrique sub-saharienne et à Madagascar (del Hoyo et al., 1992). Sans surprise, il est absent du répertoire paléontologique de l'Europe occidentale (Mourer-Chauviré, 1993).

En France, l'espèce a été acclimatée entre 1975 et 1980 dans le parc zoologique de Branféré (Morbihan) à la suite de 4 introductions concernant 20 individus au total provenant de parcs zoologiques et pour partie du Kenya (Marion & Marion, 1994), dans le parc ornithologique de Villars-les-Dombes dans les années 1985 où les oiseaux ne sont restés libres de déplacement qu'un temps limité (Jarry & Philippot, 1994), et enfin, dans le parc zoologique de Sigean où 8 sujets provenant de parcs zoologiques britanniques ont été introduits en 1982. Une partie de cette dernière population qui comptait environ 25 couples en 1997 (J.J. Boisard in litt.), laissée libre, se reproduit dans le parc et ne semble pas s'être reproduite à l'extérieur à ce jour.
La population du parc zoologique de Branféré a compté 100 individus en 1984 (Dubois et al., 2000), 280 en 1991 (Frémont, 1991), et 350 en 1993 (Jarry & Philippot, 1994). Ses jeunes, laissés libres, se sont alimentés régulièrement sur le proche estran atlantique dès les années 1980, manifestant un erratisme internuptial limité à la Bretagne méridionale à l'exception de quelques individus dont l'un a été observé au Pays Basque en 1993 (Marion & Marion, 1994 ; Jarry & Philippot, 1994).
C'est en 1991 que fut réalisée la première observation de la reproduction de l'espèce en nature sur le Lac de Grand-Lieu (Marion & Marion, 1994), au sein d'une colonie mixte de Spatules blanches et d'Ardéidés (Héron pourpré, Héron cendré, Héron gardes-boeuf, Héron bihoreau, Aigrette garzette). En 1993, afin de prévenir l'amplification du processus d'évasion, la Préfecture du Morbihan a demandé l'éjointement des oiseaux du parc. Ces opérations de capture et d'éjointage ont provoqué le déclin de la reproduction au sein de la population du parc, déclin qui aboutit à un arrêt total en 1997, et l'exode d'une importante fraction de la population vers le lac de Grand-Lieu, d'une part, et vers une colonie de Hérons cendrés et d'Aigrettes garzette du golfe du Morbihan, d'autre part. Cet exode contribua à augmenter l'effectif des couples se reproduisant en nature (Marion & Marion, 1994). L'effectif de reproducteurs de la population de Grand-Lieu dont une importante fraction retournait hiverner sur le site de Branféré, chuta à 26 couples en 1996 pour remonter à 134 couples en 1998 (Marion, 1999). La population morbihannaise connut, elle aussi, d'importantes fluctuations d'effectifs à cette époque et se délocalisa à plusieurs reprises. Récemment, des colonies éphémères ont été signalées en Brière, et un couple a niché en 1998 en Charente- Maritime, dans le marais de Seudre (Dubois et al., 2000).
Les processus de dispersion inter-nuptiale et de colonisation de l'espèce sont actuellement suivis grâce à un important effort de marquage coloré.

L'espèce n'a pas fait l'objet d'inventaire exhaustif à ce jour, mais l'effectif des reproducteurs français en milieu naturel a été estimé à moins de 200 couples en 1998 ce qui représente un total de 600 à 1000 individus avant l'intervention de la mortalité hivernale.

C'est sur cet ensemble d'arguments historiques et biogéographiques que l'Ibis sacré est compté ici au nombre des espèces allochtones du territoire de la France, et introduite de façon délibérée à l'initiative de particuliers.

L'impact de l'espèce sur ses écosystèmes d'accueil est abordé sur le site de Grand- Lieu depuis 1994, et, de façon moins intensive, sur des sites occupés moins régulièrement. Ces études portent notamment sur le régime alimentaire local de l'Ibis sacré et la nature de ses interactions avec d'autres espèces d'oiseaux coloniaux pendant la période de reproduction. À l'heure actuelle, ces travaux n'ont pas permis de mettre en évidence de manifestations de prédation, de compétition pour les sites de reproduction, ou d'effet dépressif sur le succès de reproduction de la part de l'Ibis sacré à l'égard des différentes espèces d'oiseaux coloniaux prises en compte (Ardéidés, Spatule). À l'inverse, il a été constaté que la présence d'Ibis sacrés pouvait avoir un effet attractif pour la Spatule blanche et l'Aigrette garzette sur les sites de reproduction et d'alimentation (Marion & Marion 1994 ; Marion, 1999). Cependant, la présence d'un groupe important d'Ibis s'alimentant sur une prairie inondée de Brière a entraîné l'abandon du site par une colonie de Guifettes moustac, Chlidonias hybridus (Yésou, comm. pers.). La population de Grand-Lieu consomme des larves d'Eristale (Taonidae), et, secondairement, d'insectes aquatiques (Dytiques). Elle fréquente une décharge ménagère et occasionnellement des tas de fumier (Marion & Marion, 1994). En Brière, elle consomme de façon privilégiée une espèce proie allochtone de France, l'Écrevisse de Louisiane (Procambarius clarckii). L'impact de ces prélèvements sur ces populations d'invertébrés ne fait pas l'objet de travaux. La possible dissémination de pathogènes par cette espèce qui réalise de grands déplacements et fréquente décharges et tas de fumier a été évoquée mais n'est actuellement pas démontrée, aucun travail spécifique n'ayant au demeurant été initié en la matière.

Inscrite sur la liste des oiseaux protégés en France et à l'annexe II de la convention de Berne (Dubois et al., 2000), les populations de l'Ibis sacré implantées en milieu naturel en France ne font l'objet d'aucune mesure de gestion spécifique.

Ressources
Experts
Fiche rédigée par Loïc MARION

Philippe CLERGEAU
Muséum National d'Histoire Naturelle
Conservation des espèces
57 rue Cuvier
75005 Paris
Bibliographie

Del Hoyo J., Elliot A. & Sargatal J. (Edits.), 1992. Handbook of the Birds of the World. Vol. 1. Lynx Edicions, Barcelona : 696 pp.

Dubois Ph.J., Le Maréchal P., Olioso G. & Yésou P., 2000. Inventaire des Oiseaux de France. Avifaune de la France métropolitaine. Nathan, Paris, F : 397 pp.

Frémont J.-Y., 1991. Mise au point sur les observations d'Ibis sacrés (Threskiornis aethiopicus) dans la nature, en France. Alauda, 59 : 247.

Jarry G. & Philippot Y. 1994. Ibis sacré. In : Nouvel atlas des oiseaux nicheurs de France (Yeatman- Berthelot D. & Jarry G. édts.). Société Ornithologique de France, Paris : 728.

Marion L., 1999. Le Lac de Grand-Lieu. SNPN ed., Paris : 64 pp.

Marion L. & Marion P., 1994. Première installation spontanée d'une colonie d'Ibis sacré Threskhiornis aethiopicus au lac de Grand-Lieu. Données préliminaires sur la production en jeunes et sur le régime alimentaire. Alauda, 62 : 275-280.

Mourer-Chauviré C., 1993. The Pleistocene avifauna of Europe. Archeofauna, 2 : 53-66.