Citation de cette fiche : Vigne J.-D., Lorvelec O. & Pascal M., 2003. L'Outarde barbue : Otis tarda Linné, 1758. Pages 76-78, in : Évolution holocène de la faune de Vertébrés de France : invasions et disparitions (M.Pascal, O. Lorvelec, J.-D. Vigne, P. Keith & P. Clergeau, coordonnateurs), Institut National de la Recherche Agronomique, Centre National de la Recherche Scientifique, Muséum National d'Histoire Naturelle (381 pages). Rapport au Ministère de l'Écologie et du Développement Durable (Direction de la Nature et des Paysages), Paris, France. Version définitive du 10 juillet 2003.
L'Outarde barbue
L'actuelle aire de reproduction de l'Outarde barbue, également appelée Grande Outarde, couvre, de façon très morcelée, une vaste zone paléarctique allant du nord du Maroc à l'est de la Sibérie, généralement centrée autour du 50ème parallèle Nord. Elle comprend, pour sa partie européenne, le sud de la péninsule ibérique et l'Europe de l'Est (Voous, 1960). Dans le courant du second millénaire de notre ère, l'espèce a occupé une aire de reproduction beaucoup plus vaste en Europe, dans les zones où les milieux ouverts par les activités agricoles correspondaient à ses exigences écologiques. Selon Voous (1960), elle a disparu depuis d'Écosse, d'Angleterre, de France, du Danemark, du sud de la Suède, de Grèce et d'Ukraine. Son déclin continue d'être constaté dans la plus grande partie de son aire de reproduction, en raison de la chasse et du développement agricole (Beaman & Madge, 1998).

La recension des données archéologiques disponibles du Tardiglaciaires d'Europe occidentale suggère que l'Outarde barbue, bénéficiant du réchauffement et de la persistance à cette époque de milieux ouverts, était présente (se reproduisant ?) dans de nombreuses régions européennes de la Méditerranée occidentale (Mourer-Chauviré, 1975). Son aire de répartition semble avoir régressé dès le début de l'Holocène avec la rapide reconquête de la végétation boisée. L'Outarde barbue s'est cependant maintenue dans les milieux restés ouverts (Cuisin & Vigne, 1998), comme c'est le cas au Boréal (8ème millénaire avant J.-C.), époque pendant laquelle ses mentions sont moins rares qu'au Préboréal dans trois sites du Vaucluse et des Bouches-du-Rhône et dans un site de Corse-du-Sud, sur le plateau calcaire sec de Bonifacio. L'abondance des restes enregistrée à Châteauneuf-les-Martigues (Vilette, 1983 : 13 restes correspondant à trois individus) est le seul indice d'une possible reproduction locale de l'espèce. Dans plusieurs de ces sites, des indices convaincants enseignent que l'Outarde barbue y a été chassée et consommée par l'Homme qui a dû tirer profit de l'important apport de graisse qu'apportaient ces oiseaux au sortir de l'hiver (Cuisin & Vigne, 1998).
À l'heure actuelle, les assemblages archéologiques du Néolithique, des Âges des Métaux et de l'Antiquité n'ont fourni aucun indice de la présence de l'espèce en France. Compte tenu de l'intérêt cynégétique qu'elle présentait et de sa forte visibilité archéologique, ce fait suggère que le boisement et l'anthropisation des espaces ouverts ont conduit, sinon à la disparition, au moins à une forte régression de l'Outarde barbue en France durant toute cette période.
Il est probable que l'espèce est réapparue ou a fortement augmenté sa fréquentation du territoire français à la faveur des forts déboisements médiévaux et de l'augmentation associée des surfaces cultivées et des friches. C'est ce que suggèrent les références à l'Outarde barbue identifiée comme un gibier de luxe dans le Pantagruel (XXVI) de Rabelais ("Ainsi comme ilz bancquetoyent, Carpalim dist : ‘Et, ventre sainct Quenet, ne mangeronsnous jamais venaison ?’ (…) et en courant print de ses mains en l'air : quatre grandes outardes, sept bitars,…"), et dans deux livres de cuisine de la fin du 14ème siècle (1ère édition en 1392 et 1393, Saly, 1984), mais pas dans la réédition du second, qui date du 15ème siècle (Marinval-Vigne, 1993 ; Marinval, 2002). L'Outarde barbue est pourtant encore citée dans des listes d'oiseaux présents sur des marchés français entre 1602 et 1711 (Couperie, 1970). Les fouilles de Bourges ont également livré cinq restes osseux d'Outardes barbues, dont les plus anciens sont datés entre le dernier quart du 12ème et la première moitié du 13ème siècle, et les plus récents entre le dernier quart du 16ème et la première moitié du 17ème siècle (Callou & Marinval-Vigne, 1999).
En dépit de leur relative abondance, ces mentions archéozoologiques et historiques ne permettent cependant pas de statuer de manière certaine sur la reproduction de l'espèce en France à ces époques, car elle réalise de grandes migrations.

A la Période contemporaine, l'Outarde barbue se reproduisait régulièrement dans les grandes plaines de France continentale. Des nidifications sont rapportées pour le Vaucluse au 18ème siècle et la Champagne au 19ème siècle (Jarry & Terrasse, 1983). Dans cette dernière région, l'espèce a disparue de l'Aube en 1842, de la Marne vers 1880 et des Ardennes en 1915 (Dubois et al., 2000). Vansteenwegen (1998) évoque également sa disparition de Vendée au cours du 19ème siècle, Yeatman (1976) du Poitou à la fin du 19ème siècle, et Mayaud (1936) la supposait encore présente dans les Landes au début du 20ème siècle, mais sans preuve décisive.
L'hivernage de cette espèce s'est fait de plus en plus rare en France au cours du 20ème siècle et, actuellement, elle n'y est observée qu'occasionnellement en migration (Dubois et al., 2000).

C'est sur la base de ces éléments paléontologiques, biogéographiques, archéozoologiques et historiques, que l'Outarde barbue est comptée ici au nombre des espèces autochtones de France continentale au début de l'Holocène. Elle en aurait peut-être disparu une première fois au Néolithique pour réapparaître au Moyen Âge. Elle en a disparu à nouveau au début du 20ème siècle sous le coup de pressions anthropiques. Par ailleurs, l'espèce est peut-être également autochtone de Corse et aurait alors disparu de l'île à une époque et pour des raisons non établies à ce jour.

Ressources
Experts
Fiche rédigée par Jean-Denis VIGNE
Muséum national d'Histoire naturelle
Anatomie Comparée
55 rue Buffon
75005 Paris

Olivier LORVELEC
Insitut National de la Recherche Agronomique
Campus de Beaulieu - Avenue du Général Leclerc
35042 Rennes Cedex

Michel PASCAL
Insitut National de la Recherche Agronomique
Campus de Beaulieu - Avenue du Général Leclerc
35042 Rennes Cedex
Bibliographie

Beaman M. & Madge S., 1998. Guide encyclopédique des Oiseaux du Paléarctique occidental. Nathan, Paris, F : 872 pp.

Callou C. & Marinval-Vigne M.-Ch., 1999. Les restes alimentaires animaux. Pp 295-337, in : La vie quotidienne dans une forteresse royale. La grosse tour de Bourges (fin XIIe - milieu XVIe siècle) (C. Monnet, dir.). Bourges, Editions de la Ville, Bituriga, Archéologie de la Cité. Monographie 1999, 1.

Couperie P., 1970. Les marchés de pourvoierie : viandes et poissons chez les Grands au XVIIe siècle. Pp 241-259, in : Pour une histoire de l'Alimentation (J.-J. Hémardinquer, éditeur). Cahiers des Annales, 28, Armand Colin, Paris, F.

Cuisin J. & Vigne J.-D., 1998. Présence de la grande outarde (Otis tarda) au Boréal dans la région de Bonifacio (Corse-du-Sud, France ; 8ème millénaire avant J.-C.). Geobios, 31 (6) : 831-837.

Dubois Ph.J., Le Maréchal P., Olioso G. & Yésou P., 2000. Inventaire des Oiseaux de France. Avifaune de la France métropolitaine. Nathan, Paris, F : 397 pp.

Jarry G. & Terrasse M.T. (coordonnateurs), 1983. Livre rouge des oiseaux menacés. Fasc. 20 : 81- 159, in : Livre rouge des espèces menacées en France. Tome 1 : vertébrés. (F. de Beaufort, éditeur). Ministère de l'Environnement (Direction de la Protection de la Nature, Secrétariat de la Faune et de la Flore), Muséum National d'Histoire Naturelle, Paris, F : 356 pp.

Marinval-Vigne M.-Ch., 1993. Consommation d'animaux sauvages en milieu ecclésial à Orléans au XVIe siècle : données archéozoologiques et livres de cuisine. Pp 473-490, in : Exploitation des animaux sauvages à travers le temps, 13ème Rencontres Internationales d'Archéologie et d'Histoire d'Antibes, 4ème Colloque International de l'Homme et de l'Animal. Société de Recherche Interdisciplinaire, octobre 1992, éditions APDCA, Juan-les-Pins, F.

Marinval M.-Ch., 2002. L'avifaune dans le bassin de la Loire aux Moyen Âge et Temps modernes : bilan à partir des données archéozoologiques. Alauda, 70 (1) : 69-81.

Mayaud N., 1936. Inventaire des oiseaux de France. Société d'Études Ornithologiques, Blot éditeur, Paris : 211 pp.

Mourer-Chauviré C., 1975. Les oiseaux du Pléistocène moyen et supérieur de France. Thèse d'État Université Claude Bernard, Lyon, F, n° 75-14.

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Vansteenwegen Ch., 1998. L'histoire des Oiseaux de France, Suisse et Belgique. L'évolution des populations, le statut des espèces. Delachaux et Niestlé SA, Neuchâtel, SW, Paris, F : 336 pp.

Vilette P., 1983. Avifaunes du Pléistocène final et de l'Holocène dans le sud de la France et en Catalogne. Laboratoire de Préhistoire Paléthnologique, Atacina, Carcassonne, F, 11 : 190 pp.

Voous K.H., 1960. Atlas of European birds. Elsevier, Amsterdam, NL : 284 pp.

Yeatman L., 1976. Atlas des oiseaux nicheurs de France. 1970-1975. Société Ornithologique de France, Paris : 282 pp.