Citation de cette fiche : Vigne J.-D., 2003. La Musaraigne endémique de Corse : Episoriculus corsicanus (Bate, 1944). Pages 86-87, in : Évolution holocène de la faune de Vertébrés de France : invasions et disparitions (M.Pascal, O. Lorvelec, J.-D. Vigne, P. Keith & P. Clergeau, coordonnateurs), Institut National de la Recherche Agronomique, Centre National de la Recherche Scientifique, Muséum National d'Histoire Naturelle (381 pages). Rapport au Ministère de l'Écologie et du Développement Durable (Direction de la Nature et des Paysages), Paris, France. Version définitive du 10 juillet 2003.
La Musaraigne endémique de Corse
Au sein de la famille des Soricidés, la Musaraigne endémique de Corse appartient au groupe des Musaraignes à dents rouges. Lors de sa description, Bate (1944) l'a classée dans le genre Nesiotites qui regroupait à l'époque un ensemble de musaraignes de grande taille du Pléistocène, inféodées aux îles de la Méditerranée occidentale (Baléares, Sardaigne, Corse). Plus tard, plusieurs auteurs ont souligné les ressemblances entre ce groupe de formes endémiques et le genre Episoriculus (Ellermann & Morison-Scott, 1951) crée entre temps (cf. références in Vigne, 1988). Reumer (1980) a néanmoins proposé de conserver le nom de Nesiotites en sous-genre, pour souligner la parenté entre les formes endémiques insulaires de la Méditerranée occidentale. D'après Esu & Kotsakis (1983), Nesiotites est issu d'une longue évolution insulaire débutée à la fin du Pliocène (Villafranchien) à partir de la forme Episoriculus aff. gibberodon. Le genre Episoriculus, apparenté au genre actuel Soriculus, s'en différencie par le fait que les espèces qui le constituaient n'étaient probablement pas fouisseuses (Jammot, 1977). Le taxon corse, corsicanus, bien différencié de ceux de la Sardaigne, similis puis sardus, semble avoir peu évolué depuis le Pléistocène moyen (Jammot, 1977 ; Pereira, 2001 ; Turmès, 2002).

Il a longtemps été admis que la Musaraigne endémique de Corse s'était éteinte pendant le Pléistocène. Sa persistance jusqu'au début du Néolithique (Vigne, 1988) et, plus récemment, jusqu'au premier millénaire de notre ère, a depuis été démontrée (Vigne et al., 1997). Cette espèce a donc vécu en Corse en sympatrie avec les deux musaraignes introduites accidentellement par l'Homme avant l'Âge du Fer, la Musaraigne des jardins, Crocidura suaveolens, et la Pachyure étrusque, Suncus etruscus (Vigne & Marinval-Vigne, 1990 ; Vigne, 1999). Peu avant son extinction, la Musaraigne endémique de Corse atteignait une taille sensiblement supérieure à une fois et demie celle des actuelles Musaraignes des jardins présentes sur l'île. L'analyse quantitative des fluctuations d'abondance des différents micromammifères endémiques, autochtones et allochtones de Corse au cours des temps historiques (Vigne & Valladas, 1996) suggère que la Musaraigne endémique de Corse présentait une valence écologique large, comme beaucoup de taxons insulaires, tout en fréquentant plus volontiers les milieux ouverts et le maquis bas.

Le scénario le plus vraisemblable à l'origine de son extinction est celui en deux temps suggéré pour l'ensemble des micromammifères autochtones de Corse (Vigne & Valladas, 1996). Dans un premier temps, l'introduction d'espèces allochtones, Musaraigne des jardins et Pachyure étrusque dans ce cas particulier, aurait engendré une régression de l'aire de répartition et des effectifs de l'espèce par le jeu de la compétition. Puis, dans un second temps, l'extinction serait intervenue comme une conséquence de la raréfaction ou de la disparition des biotopes d'élection de l'espèce lors de l'un ou l'autre des épisodes historiques de fort déboisement qu'a connu l'île (Vigne & Marinval-Vigne, 1990). Les données actuelles ne permettent pas de préciser si les déboisements en questions sont ceux de la Période romaine qui se sont produits entre le 1er et le 3ème siècle après J.-C., ou ceux de l'An Mil, pendant le Moyen Âge central.

Ressources
Experts
Fiche rédigée par Jean-Denis VIGNE
Muséum national d'Histoire naturelle
Anatomie Comparée
55 rue Buffon
75005 Paris
Bibliographie

Bate D.M.A., 1944. Pleistocene shrews from the larger Western Mediterranean islands. Ann. Mag. nat. Hist., 11 (83) : 738-769.

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Pereira E., 2001. Le peuplement mammalien quaternaire de Corse (Post-Glaciaire exclu), son contexte environnemental, biologique et physique. Thèse Université Pascal Paoli - Corte, Corse, F.

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Vigne J.-D., 1988. Les Mammifères post-glaciaires de Corse, étude Archéozoologique. Paris, CNRS (Gallia Préhistoire, XXVIe suppl.).

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