Citation de cette fiche : Vigne J.-D., Lorvelec O. & Pascal M., 2003. Le Cheval : Equus ferus Boddaert, 1785. Pages 91-93, in : Évolution holocène de la faune de Vertébrés de France : invasions et disparitions (M.Pascal, O. Lorvelec, J.-D. Vigne, P. Keith & P. Clergeau, coordonnateurs), Institut National de la Recherche Agronomique, Centre National de la Recherche Scientifique, Muséum National d'Histoire Naturelle (381 pages). Rapport au Ministère de l'Écologie et du Développement Durable (Direction de la Nature et des Paysages), Paris, France. Version définitive du 10 juillet 2003.
Le Cheval
En Europe, à la fin du Pléistocène supérieur, le Cheval manifeste une importante diversité morphologique dans le temps et dans l'espace (Guérin, 1996). Il semble issu d'Equus gallicus, dont la forme ouest-européenne (arcelini), qui vivait dans les steppes et les milieux ouverts, fut l'un des principaux gibiers des chasseurs du Tardiglaciaire dans toutes les régions de France jusqu'au Dryas récent.

Dès le début de l'Holocène, avec la réduction des espaces steppiques, l'aire de répartition de l'espèce a fortement régressé dans toutes les régions tempérées d'Europe, notamment en France. Sa présence est encore enregistrée ici et là dans des assemblages archéologiques du Néolithique moyen ou final (4ème et 3ème millénaires avant J.-C.), en Provence, dans le bassin Parisien et dans le Jura (Helmer, 1979 ; Tresset, 1996 ; Eisenmann & Arbogast, 1997). La persistance de larges populations néolithiques dans le sud-ouest de la France a été récemment démentie (Lesur et al., 2001). Les analyses isotopiques réalisées sur des restes de Chevaux sauvages du Néolithique moyen de la basse vallée de la Seine (Lisieu : Bocherens & Tresset, inédit) suggèrent que les populations de cette région, mais aussi probablement du Jura (Eisenmann & Arbogast, 1997) s'étaient réfugiées dans les forêts. Les populations françaises de l'espèce, très raréfiées, voir disparues, semblent donc depuis longtemps ne plus exploiter la même niche écologique que par le passé au moment où apparaissent les premiers témoins de l'arrivée du Cheval domestique sur le territoire au 3ème millénaire avant J.-C. En effet, les témoignages ostéoarchéologiques, comme les mentions textuelles, ne permettent pas, à l'heure actuelle, de déterminer si le Cheval sous sa forme non domestiquée était encore présent en France au moment de l'introduction de sa forme domestique.

Les dernières populations sauvages du Cheval de Przewalski ont survécu au sud-ouest de la Mongolie et en Chine (Kansu, Sinkiang et Mongolie intérieure) jusqu'à une époque récente (Wilson & Reeder, 1993), et celles du Tarpan, jusqu'à la fin du 19ème siècle dans les steppes du sud de la Russie et de l'Ukraine (Hainard, 1997 ; Guérin, 1996). Aujourd'hui, la forme non domestique du Cheval est considérée comme éteinte.

L'extinction des populations non domestiquées de Cheval en France a probablement débuté avec les prélèvements d'une chasse intensive dont les conséquences auraient été amplifiées par une évolution des formations végétales induite par un réchauffement climatique. Ces deux contraintes auraient conduit les populations d'Équidés à exploiter ou à se réfugier dans des milieux fermés qui leur sont moins favorables que les steppes et les milieux ouverts qui les accueillaient auparavant. C'est la compétition avec les animaux d'élevage, peut-être même avec les premiers Chevaux domestiques introduits d'Europe de l'Ouest à la fin du Néolithique, qui a probablement porté le dernier coup à l'espèce.

Différentes populations de Chevaux ayant occupé un territoire s'étendant de l'Espagne à la Mongolie constituent les sources potentielles de l'ensemble des formes domestiques actuelles de Chevaux et de Poneys (Guérin, 1996) apparues à l'issue de plusieurs événements de domestication d'individus supposés, pour l'essentiel, originaires d'Europe orientale ou d'Asie centrale (Eisenmann, 1996 ; Vila et al., 2001 ; Jansen et al., 2002).

En France, dès le Chalcolithique, au 3ème millénaire avant J.-C. (Guilaine et al., 1986 ; Eisenmann & Arbogast, 1997), et de manière de plus en plus massive au fil de l'Âge du Bronze, au 2ème millénaire avant J.-C. (Gascó et al., 1996), le Cheval redevient abondant dans les faunes archéologiques. Il s'agit de Chevaux domestiques probablement importés d'Europe centrale, voire de sujets marrons. Leur apparition ne semble pas synchrone dans les différentes régions de France. Dans le sud du pays par exemple, le Cheval est régulièrement présent dans les sites archéologiques du Bronze ancien des contreforts du Massif Central (Montagne Noire, Causses), alors qu'il ne semble apparaître qu'à l'Âge du Bronze final dans les Corbières, le Roussillon et la Cerdagne (PTH, 1998 ; Vigne, sous presse). Ces premiers Chevaux domestiques ont sans nul doute joué un rôle important pour la monte mais, durant tout l'Âge du Bronze et l'Âge du Fer, ils étaient principalement élevés pour leur viande (Guilaine et al., 1986 ; Columeau, 1991 ; Vigne, sous presse).
Comme toujours, lorsque de petits groupes d'éleveurs introduisent un taxon domestique (Digard, 1990 ; Vigne, 2002), des populations marronnes sont probablement apparues, entrant éventuellement en compétition avec les derniers représentants du Cheval non domestique. S'il n'est pas possible d'apporter la preuve d'un tel phénomène sur la base de l'examen des restes osseux en raison de l'actuelle impossibilité à distinguer ceux provenant d'animaux marrons de ceux provenant d'animaux d'élevage, l'existence, dès l'Âge du Bronze, de populations marronnes de chevaux est hautement probable, sans qu'il soit toutefois possible de préciser s'il s'agissait de populations stables ou labiles. Les textes qui mentionnent la présence de Chevaux sauvages dans les Alpes, au 1er siècle après J.-C., ou dans les Vosges jusqu'au 16ème siècle, font peut-être référence à de telles populations (Beaufort et al., 1983 ; Hainard, 1997).
Si des populations marronnes existent actuellement dans différents pays, les actuelles manades de Pottock des Pyrénées ou de Chevaux de Camargue (Raveneau, 1993) relèvent plutôt de la semi-liberté que du marronnage.

Ressources
Experts
Fiche rédigée par Jean-Denis VIGNE
Muséum national d'Histoire naturelle
Anatomie Comparée
55 rue Buffon
75005 Paris

Olivier LORVELEC
Insitut National de la Recherche Agronomique
Campus de Beaulieu - Avenue du Général Leclerc
35042 Rennes Cedex

Michel PASCAL
Insitut National de la Recherche Agronomique
Campus de Beaulieu - Avenue du Général Leclerc
35042 Rennes Cedex
Bibliographie

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