Citation de cette fiche : Vigne J.-D., 2003. Le Campagnol endémique corso-sarde : Tyrrhenicola henseli (Forsyth Major, 1882). Pages 106-107, in : Évolution holocène de la faune de Vertébrés de France : invasions et disparitions (M.Pascal, O. Lorvelec, J.-D. Vigne, P. Keith & P. Clergeau, coordonnateurs), Institut National de la Recherche Agronomique, Centre National de la Recherche Scientifique, Muséum National d'Histoire Naturelle (381 pages). Rapport au Ministère de l'Écologie et du Développement Durable (Direction de la Nature et des Paysages), Paris, France. Version définitive du 10 juillet 2003.
Le Campagnol endémique corso-sarde
La stature du Campagnol endémique corso-sarde était sensiblement plus importante que celle de l'actuel Campagnol terrestre (Arvicola terrestris). Sa morphologie dentaire le rattache au groupe des petits Campagnols méditerranéens réunis par le passé dans le sous-genre Meridiopitymys (Chaline, 1972 & 1974), taxon actuellement mis en synonymie avec Tyrrhenicola (Vigne, 1988). La lignée qui a conduit, au Pléistocène supérieur, à l'espèce henseli est apparue au Pléistocène moyen ancien sous la forme orosei, connue seulement de Sardaigne à l'heure actuelle (Turmès, 2002). L'évolution insulaire de cette lignée est caractérisée par une forte augmentation de la taille associée à une évolution de la morphologie dentaire plus rapide en Corse septentrionale qu'en Sardaigne. Cette évolution se ralentit considérablement chez l'espèce henseli à la fin du Pléistocène et à l'Holocène (Turmès, 2002).

Les restes fossiles du Campagnol endémique corso-sarde sont abondants dans les assemblages fossiles du Pléistocène supérieur et du Tardiglaciaire de Corse (Vigne et al., 1997 ; Pereira, 2001). Il constituait au Tardiglaciaire l'une des proies des rapaces nocturnes de l'île, notamment du Grand-duc nain corso-sarde (Bubo insularis) et de la Chouette effraie (Tyto alba). Ces rapaces ont accumulé les restes du cortège de Rongeurs de l'époque dans les sites paléontologiques de l'île et la fréquence relative de ces restes indique que, globalement, le Campagnol endémique corso-sarde constituait, à égalité avec le Mulot endémique corso-sarde (Rhagamys orthodon) la seconde espèce proie de ces oiseaux après le Lapin rat (Prolagus sardus). Des travaux récents révèlent cependant des périodes de forte abondance relative du Campagnol endémique corso-sarde. Elles sont corrélées aux épisodes les plus froids du Tardiglaciaire (Vigne et al., 2002) alors que c'est le Mulot endémique corso-sarde qui prédomine pendant les phases tempérées (Böling-Alleröd, Holocène). Ces observations induisent l'hypothèse, très cohérente, que le Campagnol endémique corso-sarde était inféodé à la végétation herbacée des milieux ouverts, alors que le Mulot endémique corso-sarde fréquentait les formations ligneuses de l'île, plus fermées (Vigne & Valladas, 1996). Par ailleurs, il est probable que le comportement fouisseur du Campagnol endémique corso-sarde était réduit, comme c'est le cas pour beaucoup de Campagnols méditerranéens actuels.
Les restes du Campagnol endémique corso-sarde persistent en quantité modeste dans tous les sites archéologiques mésolithiques, néolithiques et des Âges des Métaux de l'île, pour peu que les sédiments aient fait l'objet d'un tamisage adéquat (Vigne, 1988 ; Vigne et al., 1997). Ils disparaissent de tous les sites corses inventoriés et datés de la période comprise entre le 3ème et le 12ème siècle après J.-C. (Vigne, 1999 ; Cucchi, 2000). La persistance de populations reliques d'altitude au-delà de cette date est cependant vraisemblable.
Le processus d'extinction du Campagnol endémique corso-sarde est moins bien documenté en Sardaigne qu'en Corse (Vigne, 1999), mais quelques indices suggèrent qu'il s'y serait éteint peu après la fin de l'Âge du Bronze (Delussu, 2000).

Alors que le Mulot endémique corso-sarde a été consommé par l'Homme au Mésolithique, aucun élément ne permet d'affirmer à l'heure actuelle qu'il en est de même pour le Campagnol endémique corso-sarde (Vigne, sous presse). En revanche, il est vraisemblable que l'introduction par l'Homme du Renard roux (Vulpes vulpes) et du Chien (Canis lupus) dès le début du Néolithique, aux environs de 5600 ans avant J.-C. (Vigne, 1999), a influé sur ses effectifs et sa répartition géographique en augmentant la pression de prédation dont il faisait l'objet.

Par ailleurs, sa faible représentation dans les assemblages archéologiques ne permet pas de juger de la réalité des fluctuations d'abondances observées au sein de ces restes et donc d'établir une corrélation entre celles-ci et l'introduction de compétiteurs potentiels comme le Loir gris (Myoxus glis), la Souris domestique (Mus musculus) ou le Rat noir (Rattus rattus), qui sont intervenues entre le 5ème et le 1er millénaire avant J.-C. Enfin, il est possible que l'ouverture des paysages résultant de l'avancée de la céréaliculture et de l'élevage, au cours des Âges des Métaux et de la Période romaine, lui ait été favorable en raison de sa prédilection pour les milieux ouverts (Vigne & Valladas, 1996). Si tel a été le cas, son extinction pourrait être imputée au développement massif de la culture de l'Olivier et de la Vigne au bas Moyen Âge (Istria, 2001), cultures qui engendrent des milieux a priori peu favorables à l'espèce.

Ressources
Experts
Fiche rédigée par Jean-Denis VIGNE
Muséum national d'Histoire naturelle
Anatomie Comparée
55 rue Buffon
75005 Paris
Bibliographie

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