Citation de cette fiche : Pascal M., Vigne J.-D. & Lorvelec O., 2003. L'Oie cendrée et l'Oie marronne : Anser anser (Linné, 1758). Pages 190-192, in : Évolution holocène de la faune de Vertébrés de France : invasions et disparitions (M.Pascal, O. Lorvelec, J.-D. Vigne, P. Keith & P. Clergeau, coordonnateurs), Institut National de la Recherche Agronomique, Centre National de la Recherche Scientifique, Muséum National d'Histoire Naturelle (381 pages). Rapport au Ministère de l'Écologie et du Développement Durable (Direction de la Nature et des Paysages), Paris, France. Version définitive du 10 juillet 2003.
L'Oie cendrée et l'Oie marronne
L'actuelle aire de reproduction de l'Oie cendrée est limitée à l'Islande, à l'Europe du Nord et du Centre et au territoire de l'Asie compris entre les 40ème et 50ème parallèles Nord (Voous, 1960 ; Del Hoyo et al., 1992 ; van den Bergh, 1997). En Europe, le morcellement de cette aire témoignerait, selon Voous (1960), de l'impact de l'activité de l'Homme sur cette espèce dont la sous-espèce occidentale, anser, se serait reproduite initialement sur l'ensemble du continent.

L'analyse de 5 documents zootechniques datant de la 3ème dynastie d'Ur (fin du 3ème millénaire) amène Limet (1994) à conclure à la complète domestication de l'Oie cendrée à cette époque en Mésopotamie, très probablement à partir de sa sous-espèce orientale rubrirostris. Zeuner (1963 in Masseti, 2002) la dit largement élevée aux temps du Nouveau Règne égyptien (1567-1085 avant J.-C.) et l'épisode bien connu des oies du Capitole laisse entendre sans ambiguïté que l'espèce était élevée en Italie sous l'Empire Romain.

La présence de l'Oie cendrée est attestée en France dans plusieurs sites archéologiques du Pléistocène supérieur (Mourer-Chauviré, 1975 ; Laroulandie, 2000). Citée par Vansteenwegen (1998) comme présente 6 000 ans avant J.-C. en Europe occidentale, elle figure en France dans des assemblages archéologiques du Mésolithique de Corse (Cuisin, 2001), de l'Âge du Fer et de l'Antiquité de France septentrionale (Méniel, 1987 ; Pichon, 1987 ; notamment à Lutèce : Oueslati, 2002), dans les produits d'une fouille menée à Compiègne sur un site des 9ème et 10ème siècles (Yvinec, 1997) et dans ceux d'une fouille menée à Lille et datée du 16ème siècle (Vadet, 1986). Il est cependant délicat de distinguer les restes squelettiques de l'Oie cendrée autochtone de ceux de l'Oie domestique très souvent présente et abondante dans les faunes archéologiques des périodes historiques et ce probablement dès l'Âge du Fer (Pichon, 1987 ; Audoin-Rouzeau, 1993 ; Oueslati, 2002).
Lorsque cette distinction a été faite, les auteurs concluent que la majorité des restes se rapportent à l'Oie domestique, ce qui suggère que ceux de l'Oie cendrée sont peu nombreux, voir, rares. À ce jour, aucun des riches assemblages d'avifaune du Nord de la France et du bassin de la Loire n'a livré de solide témoignage de la présence de l'Oie cendrée pendant le bas Moyen Âge ou la Renaissance (Clavel, 2001 ; Marinval, 2002). Par ailleurs, l'Oie cendrée est mentionnée au nombre des oiseaux consommés au Moyen Âge d'après deux ouvrages de la fin du 14ème siècle (Saly, 1984) et figure sur la liste des espèces à l'étale établie sur 41 marchés allant de 1602 à 1711 (Couperie, 1970). Ces données attestent de la présence ancienne de cette espèce migratrice en France, mais ne permettent pas d'assurer qu'elle s'y reproduisait à ces époques. Elles permettent en revanche d'avancer avec une bonne sécurité, que la forme domestique y était élevée dès les premiers siècles de notre ère (Pichon, 1987 ; Oueslati, 2002).

Considérée comme nichant dans le nord-est de la France au 19ème et au début du 20ème siècle, la sous-espèce occidentale, anser, de l'Oie cendrée en serait totalement disparue avant que sa sous-espèce orientale, rubrirostris, y soit volontairement introduite à partir des années 1970 dans le nord-est et sur la côte ouest du pays dans une dizaine de sites bénéficiant d'un statut de protection (Riols, 1994 ; Maurin, 1994 ; Dubois et al., 2000). Ces introductions se poursuivent actuellement. Dans les années 1990, des cas de nidifications ponctuelles de sujets réputés a priori sauvages ont été signalés dans plusieurs régions de France. Cet événement concernerait une cinquantaine de couples localisés en particulier en Camargue où une petite population comptant 9 couples en 1997 se reproduit depuis 1991 (Kayser, 2003 ; Dubois et al., 2000).
Autochtone au moins de la partie nord-est de la France, la forme autochtone de l'Oie cendrée a disparu du territoire. L'espèce y a été réintroduite récemment sous la forme de sa sous-espèce orientale dans des régions où elle était présente, mais aussi absente initialement. Elle y constitue donc des populations marronnes issues d'individus d'élevage. Par ailleurs une population de sujets sauvages de sa forme occidentale serait en cours de constitution dans le sud du pays. Enfin, la forme domestique de l'espèce étant élevée sur le territoire depuis les premiers siècles de notre ère au moins, il n'est pas exclu que des populations marronnes y aient vu le jour à diverses époques.

L'impact de cette espèce sur ses écosystèmes d'accueil n'a pas fait l'objet de travaux spécifiques. Herbivore, l'Oie cendrée occasionne des dégâts marginaux à la céréaliculture française lors de son hivernage et ces dégâts ont fait l'objet d'évaluation (Schrike, 1997).

Classée parmi les espèces gibiers par la loi française, elle est inscrite à l'annexe II de la Directive Oiseaux et à l'annexe III de la Convention de Berne (Maurin, 1994). Ses populations françaises ne font pas l'objet de mesures de gestion particulières.

Ressources
Experts
Fiche rédigée par Michel PASCAL
Insitut National de la Recherche Agronomique
Campus de Beaulieu - Avenue du Général Leclerc
35042 Rennes Cedex

Jean-Denis VIGNE
Muséum national d'Histoire naturelle
Anatomie Comparée
55 rue Buffon
75005 Paris

Olivier LORVELEC
Insitut National de la Recherche Agronomique
Campus de Beaulieu - Avenue du Général Leclerc
35042 Rennes Cedex
Bibliographie

Audoin-Rouzeau F., 1993. Hommes et animaux en Europe. Corpus de données archéozoologiques et historiques. Paris, CNRS.

Clavel B., 2001. L'animal dans l'alimentation médiévale et moderne en France du nord (XIIe-XVIIe siècles). Rev. Archéol. Picardie, n° sp. 19.

Couperie P., 1970. Les marchés de pourvoierie : viandes et poissons chez les Grands au XVIIe siècle. In : Pour une histoire de l'Alimentation (Hémardinquer J.-J. Edit). Cahiers des Annales, 28, Armand Colin, Paris : 241-259.

Cuisin J., 2001. L'avifaune. In : J.-D. Vigne, dir., L'abri du Monte Leone, grand site mésolithique insulaire méditerranéen, Doc. Archéol. Fr., à paraître.

Del Hoyo J., Elliot A. & Sargatal J. (Edits.), 1992. Handbook of the Birds of the World. Vol. 1. Lynx Edicions, Barcelona : 696 pp.

Dubois Ph.J., Le Maréchal P., Olioso G. & Yésou P., 2000. Inventaire des Oiseaux de France. Avifaune de la France métropolitaine. Nathan, Paris, F : 397 pp.

Kayser Y., Girard C., Massez G., Chérain Y., Cohez D., Hafner H., Johnson A., Sadoul N., Tamisier A. & Isenmann P., 2003. Compte-rendu ornithologique camarguais pour les années 1995-2000. Rev. Écol. (Terre & Vie), 58 : 5-76.

Laroulandie V., 2000. Taphonomie et achéozoologie des oiseaux en grotte : application aux sites paléolithiques du Bois Ragot (Vienne), de Combe Saunière (Dordogne) et de La Vache (Arière). Thèse de Doctorat de l'Université de Bordeaux I, n° 2341.

Limet H., 1994. Le chat, les poules et les autres : le relais mésopotamien vers l'occident ? In : Des animaux introduits par l'homme dans la faune de l'Europe (Bodson L. édit.). Colloque d'histoire des connaissances zoologiques. 20 mars 1993. Université de Liège, Liège : 39-54.

Marinval M.-Ch., 2002. L'avifaune dans le bassin de la Loire aux Moyen Âge et Temps Modernes : bilan à partir des données archéozoologiques. Alauda, 70, 1 : 69-81.

Masseti M., 2002. Uomini e (non solo) topi. Gli animali domestici e la fauna antropocora. Firenze University Press, Firenze : 337 pp.

Maurin H. (dir.), 1994. Inventaire de la Faune menacée en France. Nathan ed., Paris : 176 pp.

Méniel P., 1987. Chasse et élevage chez les Gaulois (450-52 av. J.-C.). Coll. des Hespérides, Editions Errance, Paris : 154 pp.

Mourer-Chauviré C., 1975. Les oiseaux du Pléistocène moyen et supérieur de France. Thèse d'État Université Claude Bernard, Lyon, n° 75-14.

Oueslati T., 2002. Approche archéozoologique des modes d'acquisition, de transformation et de consommation des ressources animales dans le contexte urbain gallo-romain de Lutèce (Paris, France). Thèse Doct. Muséum National d'Histoire Naturelle, Paris.

Pichon J., 1987. L'Oie à l'époque gauloise et au Moyen Âge. Ethnozootechnie, 39 : 11-18.

Riols C., 1994. Oie cendrée. In : Nouvel atlas des oiseaux nicheurs de France. 1985-1989 (Yeatman- Berthelot D. & Jarry G. eds). Société Ornithologique de France, Paris : 120-121.

Saly A., 1984. Les oiseaux dans l'alimentation médiévale d'après le Viandier de Taillevent et Le Ménagier de Paris. In : Actes du Colloque de Nice 1982, t. 2, Cuisine, manières de table, régimes alimentaires. Publications de la Faculté des Lettres et Sciences Humaines de Nice, n° 28, Les Belles Lettres : 173-179.

Schrike V., 1997. Les oies en France, conflits avec l'agriculture. In : Oiseaux à risques en ville et en campagne (Clergeau P. ed). INRA, Paris : 43-51.

Vadet A., 1986. Les restes alimentaires. In : Vaisselle et nourriture du XVIème siècle à Lille (Nord) (Blieck G. & Vadet A. Edts.), Revue archéologique de Picardie, n° 1/2 : 136-151.

Van den Bergh L., 1997. Greylag Goose Anser anser. In : The EBCC atlas of european breeding birds : their Distribution and Abundance (Hagemeijer E.J.M. & Blair M.J. eds.). T & AD Poyser, London : 72-73.

Vansteenwegen C., 1998. L'histoire des oiseaux de France, Suisse et Belgique. Delachaux & Niestlé, Neuchâtel : 336 pp.

Voous K.H., 1960. Atlas of European birds. Elsevier, Amsterdam, NL : 284 pp.

Yvinec J.-H., 1997. Étude archéozoologique du site de la Place des Hallettes à Compiègne (Oise) du Haut Moyen Âge au XIIe siècle. In : Fouilles de sauvetage sous la Place du Marché à Compiègne (Oise) - 1991/1993. L'évolution urbaine de l'aire palatiale du Haut Moyen Âge au marché médiéval et moderne (Petitjean M. edit.). Revue Archéologique de Picardie, n° spécial 13 : 171-210.

Zeuner F.E., 1963. A history of domesticated animals. Hutchinson, Londres.