Citation de cette fiche : Melin J.-M., Pascal M. & Vigne J.-D., 2003. Le Faisan de Colchide : Phasianus colchicus (Linné, 1758). Pages 207-209, in : Évolution holocène de la faune de Vertébrés de France : invasions et disparitions (M.Pascal, O. Lorvelec, J.-D. Vigne, P. Keith & P. Clergeau, coordonnateurs), Institut National de la Recherche Agronomique, Centre National de la Recherche Scientifique, Muséum National d'Histoire Naturelle (381 pages). Rapport au Ministère de l'Écologie et du Développement Durable (Direction de la Nature et des Paysages), Paris, France. Version définitive du 10 juillet 2003.
Le Faisan de Colchide
L'aire de répartition initiale du Faisan de Colchide, espèce à la taxonomie controversée qui regroupe actuellement 31 sous-espèces dont nombre sont connues pour s'hybrider dans la nature (Delacour, 1983 ; Johnsgard, 1986), est eurasiatique. Elle s'étendrait depuis l'ouest de la Géorgie et de la Caspienne jusqu'à la Mandchourie, la Corée et le Vietnam en passant par les pentes nord de l'Himalaya (del Hoyo et al., 1994 ; Bijlsma & Hill, 1997). La plus ancienne mention européenne de l'espèce est réputée consignée dans le texte des Argaunautiques d'Appolonios de Rhodes (295-215) qui rapporte que Jason et les Argonautes l'introduisirent en Grèce depuis le Caucase vers 1330 avant J.-C. (Trautman, 1982). La dénomination linnéenne de l'espèce rappelle cet événement, les Argonautes ayant rencontré cet oiseau sur les rives du Phase, l'actuel Rion, qui se jette dans la mer Noire, alors qu'ils se rendaient en Colchide, l'actuel Caucase. Les Romains l'auraient précocément introduit en Italie à la fois comme oiseau d'ornement, de chaire et de chasse (Pline l'Ancien, livre X, 67), puis dans leurs provinces de France et d'Allemagne (Bijlsma & Hill, 1997). Sa présence serait attestée vers 250 après J.-C. en Grande-Bretagne (Trautman, 1982), mais son implantation dans la nature serait postérieure à l'invasion normande et l'île n'aurait été colonisée dans sa totalité qu'à la fin des années 1700 (Bijlsma & Hill, 1997). C'est récemment que le Faisan de Colchide a été introduit en Europe du Nord, en Norvège en 1875-1876 et en Finlande vers 1900 (Bijlsma & Hill, 1997). Aux 19ème et 20ème siècles, il fut également introduit avec succès comme oiseau de chasse dans les grandes plaines d'Amérique du Nord et à Hawaï, en Nouvelle-Zélande et en Tasmanie (del Hoyo et al., 1994 ; Masseti, 2002) à partir de fondateurs provenant de Grande-Bretagne (Trautman, 1982). Depuis l'époque romaine au moins, l'espèce fait l'objet d'élevage pour la production d'animaux d'ornement, de chair et de chasse (Masseti, 2002) et de nombreux sujets furent et sont toujours fréquemment lâchés dans la nature. Aussi peut-on qualifier de marronne la quasi-totalité des actuelles populations introduites.

Si le Faisan de Colchide a été introduit en France par les Romains probablement au début de l'ère chrétienne, il semble qu'il y demeura longtemps un oiseau de volière réservé à la classe dirigeante. Charlemagne en faisait élever dans ses villas, Saint-Louis l'introduisit dans le bois de Vincennes et ce n'est que sous Henry IV qu'il devint gibier royal, et sous Louis XIV que le capitaine des chasses du roi en organisa l'élevage (Schricke, 1991).

Actuellement l'espèce n'a été signalée que de quatre sites archéologiques de France, tous abbatiaux ou seigneuriaux. Le premier, situé en Île-de-France (Saint-Denis), a livré des restes osseux localisés dans plusieurs assemblages datés du 6ème au 13ème siècle (Morel, 1985), le second, situé dans la Nièvre, est daté des 11ème-12ème siècles (Audouin-Rouzeau, 1986), les deux autres localisés en Dordogne ont été datés respectivement des 11ème-13ème siècles et du 15ème siècle (Gautier, 1972 ; Caillat & Laborie, 1997-1998). Il est toutefois difficile de dresser un inventaire complet et fiable des mentions archéozoologiques de Faisan de Colchide, les vestiges osseux de l'espèce étant souvent difficiles à distinguer de ceux du Coq domestique, Gallus gallus. Par ailleurs, l'espèce est mentionnée au nombre de celles consommées au Moyen Âge d'après deux ouvrages de 1393 et 1490 (Saly, 1984) et figure sur la liste des espèces à l'étale établie sur 41 marchés allant de 1602 à 1711 (Couperie, 1970).

En 1936, Mayaud disait le Faisan de Colchide présent sur l'ensemble de la France, îles atlantiques et Corse comprise, à l'exception des zones d'altitude. En 1994 et 2000, Birkan, puis Dubois et al. confirment cette répartition et Malassagne et al. (2002) rapportent que cette espèce s'est maintenue sans apport extérieur pendant plus de 30 ans sur l'île de Béniguet (Finistère) dont la superficie est réduite à 63 ha. À la fin des années 1990, l'effectif de reproducteurs français a été estimé compris entre 100 000 et 300 000 couples. Cependant, Dubois et al. (2000) font observer que l'importance de cet effectif est essentiellement la conséquence de fréquents et nombreux lâchés d'oiseaux de chasse. Ces lâchés concerneraient 12 à 15 millions d'individus par an (Mayot & Biadi, 2000) et, en 1987, moins d'une centaine de populations auraient été jugées capables de se maintenir sans apport extérieur.

Le Faisan de Colchide est donc une espèce allochtone de France, introduite délibérément à l'époque romaine, établi sur l'ensemble du territoire national entre 1500 et 1700 et y constituant des populations marronnes.

L'impact de cette espèce granivore sédentaire sur ses écosystèmes d'accueil n'a pas fait l'objet d'études spécifiques.

Le Faisan de Colchide est inscrit sur la liste des oiseaux gibiers de France et à l'annexe III de la convention de Berne (Dubois et al., 2000). Il fait l'objet de nombreuses opérations de gestion dans le cadre de l'activité cynégétique consistant en des aménagements de territoire et de nombreux lâchès. Pendant les saisons de chasse 1983- 1984 et 1998-1999, il a fait l'objet d'un prélèvement estimé à 6 155 000 et 5 061 100 sujets respectivement (Landry, 2000).

Ressources
Experts
Fiche rédigée par Jean-Michel MELIN

Michel PASCAL
Insitut National de la Recherche Agronomique
Campus de Beaulieu - Avenue du Général Leclerc
35042 Rennes Cedex

Jean-Denis VIGNE
Muséum national d'Histoire naturelle
Anatomie Comparée
55 rue Buffon
75005 Paris
Bibliographie

Audoin-Rouzeau F., 1986. Ossements animaux du Moyen Âge au monastère de La Charité-sur-Loire. Publications de la Sorbonne, Paris : 166 pp.

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