Citation de cette fiche : Yésou P., 2003. Le Goéland argenté : Larus argentatus Pontoppidan, 1763. Pages 215-219, in : Évolution holocène de la faune de Vertébrés de France : invasions et disparitions (M.Pascal, O. Lorvelec, J.-D. Vigne, P. Keith & P. Clergeau, coordonnateurs), Institut National de la Recherche Agronomique, Centre National de la Recherche Scientifique, Muséum National d'Histoire Naturelle (381 pages). Rapport au Ministère de l'Écologie et du Développement Durable (Direction de la Nature et des Paysages), Paris, France. Version définitive du 10 juillet 2003.
Le Goéland argenté
La position systématique du Goéland argenté fait l'objet d'abondants débats. Jusque dans les années 1970, la majorité des taxonomistes s'accordaient pour regrouper dans l'espèce Larus argentatus de nombreuses formes nichant en Eurasie et en Amérique du Nord (Mayaud, 1940 ; Vaurie, 1965 ; Voous, 1977 i.a.). De récents progrès dans la connaissance de la génétique de ces grands goélands, et la reconnaissance de la pertinence de traits phénotypiques et biologiques des formes asiatiques, ont conduit à distinguer plusieurs espèces au sein du groupe "Goéland argenté" sensu lato (Collinson, 2001 ; Liebers et al., 2001 ; Crochet et al., 2002 ; Yésou 2002a).
En conséquence, le Goéland argenté sensu stricto est actuellement considéré comme une espèce strictement nord-européenne. Son actuelle aire de répartition, essentiellement côtière, s'étend de la mer Blanche, la Fennoscandie et l'Islande au nord, atteint le golfe de Gascogne au sud, et englobe les rivages de la mer du Nord, de la Manche, et des îles Britanniques. C'est au sein de cette vaste aire de répartition que la distribution et les effectifs de l'espèce ont connu de profondes modifications aux 19ème et 20ème siècles.

En France, les témoignages de présence du Goéland argenté dans les gisements du Pléistocène supérieur sont très rares (Mourer-Chauviré, 1975). Au cours de l'Holocène, la présence de l'espèce est signalée dans 3 documents relatifs à des fouilles situées dans la région méditerranéenne, la première dans un gisement du Mésolithique de la région Bonifacienne (Corse ; Cuisin, 2001), la seconde dans un gisement du Néolithique ancien de la région de Leucate (Vilette, 1983), la troisième dans un gisement gallo-romain de la région de Marseille (Jourdan, 1976). Cependant, la récente révision de la position systématique de l'espèce et la connaissance de son actuelle aire de répartition incitent à la prudence et conduisent à rapporter ces mentions à Larus sp. jusqu'à preuve du contraire. Bien que la détermination taxinomique des restes collectés dans la fouille du château de Boulogne (Pas-de- Calais) datée de la fin 17ème siècle début du 18ème siècle après J.-C. (Vadet, 1997) ne soit pas mieux étayée, elle est plus vraisemblablement attribuable à L. argentatus. Quoi qu'il en soit, ces quelques données, si elles constituent une présomption de la présence ancienne de l'espèce en France, ne renseignent pas sur son statut local de reproducteur au début de l'Holocène et témoignent surtout d'une relative rareté de l'espèce avant les Temps modernes, y compris dans les sites bretons de bord de mer qui renferment pourtant une très riche avifaune marine (Tresset, inédit).
D'après Henry & Monnat (1981), au début du 19ème siècle, le Goéland argenté nichait communément sur le littoral de la Picardie, de la Normandie et de la Bretagne, atteignant le Morbihan au sud. À l'époque, la collecte de ses oeufs cantonnait déjà ses colonies reproductrices à des falaises et des îlots peu accessibles. À partir du milieu du 19ème siècle, cette collecte, outre qu'elle est devenue commerciale, s'est accompagnée de l'abattage d'un grand nombre de reproducteurs, tant dans l'exercice d'un tir considéré alors comme sportif que pour alimenter le très important commerce de la plumasserie. Ces destructions massives ont conduit à la quasi-disparition des colonies de reproduction du Goéland argenté sur les côtes françaises au début du 20ème siècle.
Ce n'est que dans les années 1920, que des colonies, ayant probablement pour fondateurs des oiseaux originaires des îles Anglo-Normandes, furent à nouveau signalées en Bretagne (Henry & Monnat, 1981 ; Pons, 2002). Ces premières installations constituent les prémices d'une forte expansion démographique et géographique de l'espèce observée à l'échelle de la totalité de son aire de répartition. Cet essor trouve son explication dans la conjugaison de facteurs de deux types (Spaans et al., 1991). Le premier correspond à un changement de l'attitude de l'Homme à l'égard des oiseaux marins qui s'est concrétisé, d'abord par l'arrêt de la collecte de leurs oeufs et de la chasse des adultes, puis par la protection légale des espèces et de certains de leurs sites de reproduction. Le second correspond à la mise à la disposition de l'espèce d'importantes ressources alimentaires d'origine anthropique constituées de rejets de la pêche chalutière et d'ordures ménagères.
C'est en 1965 que l'aire de reproduction du Goéland argenté redevient comparable à celle connue au début du 19ème siècle et s'étend du Pas-de-Calais à l'île Dumet en Loire- Atlantique. C'est aussi à ce moment que l'espèce a débuté la conquête d'espaces dont elle semble avoir été absente par le passé. En 1969, quelques couples ont niché sur l'île d'Yeu en Vendée (Hily, 1977), prélude de la colonisation du littoral atlantique qui a atteint le bassin d'Arcachon en Gironde (Nicolau-Guillaumet, 1977 ; Dubois et al., 1988 ; Yésou, 2002b), puis s'est poursuivie au Pays Basque espagnol. En simultanéité avec cette invasion du littoral, l'espèce établit des nids dans de nouveaux habitats tels des bâtiments de milieux urbains ou industriels (Cadiou, 1997), et, ponctuellement, le long du cours de certains fleuves comme la Seine jusqu'aux Yvelines (Dubois et al., 2000 ; Le Maréchal & Lesaffre, 2000), ou la Loire.
En 1998, 49 villes localisées essentiellement sur le littoral de la Manche et de l'Atlantique, depuis la Somme jusqu'à la Vendée, hébergeaient près de 11 000 couples, soit près de 14 % de l'effectif des reproducteurs français (Pons, 2002).
Cette phase d'expansion territoriale entamée dans les années 1920 semble cependant toucher à sa fin. Si les effectifs de reproducteurs du milieu urbain et des régions les plus récemment conquises paraissent stables ou en légère progression, ceux des secteurs les plus anciennement peuplés manifestent un net déclin depuis les années 1980. C'est ainsi que, si l'effectif total de reproducteurs français estimé à 88 100 couples en 1987- 1989 est tombé à 78 500 couples en 1997-1999 enregistrant un déclin de 11 % en 10 ans, le déclin enregistré en Bretagne pour la même période atteint 25 % (Pons, 2002). Ce déclin s'observe à l'échelle de l'aire de répartition de l'espèce, tout comme le fut l'essor initial. Il est corrélé à une réduction des ressources trophiques générées par la fermeture progressive des décharges publiques (Pons, 1992), à la modification des techniques de pêche (Furness et al., 1988), à la mise en place de campagnes de destructions conduites tant en milieu naturel qu'en milieu urbain (Cadiou & Jonin, 1997 ; Pons, 2002), au développement de la prédation exercée par le Goéland marin, L. marinus, et à l'intensification de la concurrence pour l'espace exercée par ce dernier et le Goéland brun, L. fuscus (Noordhuis & Spaans, 1992 ; Linard & Monnat, 1992).

Peut-être autochtone d'une partie du territoire continental de la France, le Goéland argenté semble en être totalement absent à la fin du 19ème siècle. Il a donc conquis ou reconquis ce territoire au 20ème siècle, et a envahi récemment, de façon sub-spontanée, des entités biogéographiques d'où il était absent initialement.

L'impact global de l'espèce sur ses écosystèmes d'accueil n'a pas fait l'objet de travaux spécifiques. Cependant, un ensemble conséquent de travaux a été consacré, en France comme dans d'autres pays européens, à diverses interactions entre ce goéland et certains éléments de ces écosystèmes d'une part, et certaines activités humaines, d'autre part (Furness & Monaghan, 1987 i.a.). Pourvu d'un large spectre alimentaire, le Goéland argenté se nourrit aussi bien de proies vivantes que de déchets, tant sur l'estran qu'en mer, voire plus ponctuellement en milieu terrestre. La nature et l'importance de son impact sur les populations d'invertébrés de l'estran ou de poisson en mer ne sont pas documentées. En revanche, l'impact de sa prédation et du dérangement qu'il occasionne dans certains cas aux colonies de sterne Sterna sp. est établi. Par ailleurs, l'installation de vastes colonies a entraîné localement la dégradation de pelouses aérohalines par piétinement et nitrification. Sa prédation peut avoir un impact économique notable comme cela a été établi pour des élevages de moules sur bouchots en Bretagne (Brien, 1975). Son rôle dans la dissémination de pathogènes aux plans d'eau potable, la dégradation de bâtiments, l'augmentation des risques d'accidents d'aviation par collision est connu.

Le Goéland argenté est protégé par la loi française, mais l'administration peut en autoriser la destruction en cas de dommages à d'autres espèces ou à des activités humaines. C'est dans ce cadre que, pour protéger des colonies de sternes, d'importantes campagnes de destruction ont été conduites en Bretagne aboutissant à l'élimination de plus de 16 000 oiseaux entre 1979 et 1996 (Cadiou & Jonin, 1997), et que des campagnes de stérilisation de pontes touchant des milliers de nids sont menées depuis 1993 dans plusieurs agglomérations urbaines (Pons, 2002). Ces opérations, menées à l'échelle locale, sans réelle planification ni réflexion globale à l'exception de quelques tentatives de coordination (Cadiou & Jonin, 1997), ont eut divers effets pervers. Au nombre de ceux-ci figure la genèse d'un climat de type "haro sur les goélands", à l'origine de fréquentes actions illégales allant à l'encontre du but poursuivi, comme l'introduction de renards roux, Vulpes vulpes, sur plusieurs îlots de Bretagne et des Pays de la Loire. Ces introductions ont eu entre autres conséquences, et comme cela a été le cas pour de nombreuses opérations urbaines de stérilisation de couvées, de provoquer une dissémination et une fragmentation des colonies, phénomène qui a augmenté la difficulté de leur gestion.

Dans un autre registre, afin d'entraver la dégradation du tapis végétal de deux îles de l'archipel des Glénan (Finistère) qui héberge une sous-espèce endémique de Narcisse, Narcissus triandus capax, un système de fils a été tendu afin de prévenir, avec succès, l'installation de couples nicheurs (Bioret & Malengreau, 2002). Enfin, des systèmes d'effarouchement optiques et acoustiques et l'usage d'oiseaux de fauconnerie sont mis en oeuvre sur les aéroports pour limiter les probabilités de collisions entre oiseaux et aéronefs, et l'espèce bénéficie indirectement du statut de protection accordé à plusieurs de ses sites de reproduction au titre de leur importance globale pour l'avifaune marine.

Ressources
Experts
Fiche rédigée par Pierre YESOU
Bibliographie

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