Citation de cette fiche : Yésou P., 2003. Le Goéland brun : Larus fuscus Linné, 1758. Pages 220-222, in : Évolution holocène de la faune de Vertébrés de France : invasions et disparitions (M.Pascal, O. Lorvelec, J.-D. Vigne, P. Keith & P. Clergeau, coordonnateurs), Institut National de la Recherche Agronomique, Centre National de la Recherche Scientifique, Muséum National d'Histoire Naturelle (381 pages). Rapport au Ministère de l'Écologie et du Développement Durable (Direction de la Nature et des Paysages), Paris, France. Version définitive du 10 juillet 2003.
Le Goéland brun
L'aire initiale de reproduction du Goéland brun, espèce strictement nord-européenne, s'étend de la mer Blanche à l'Islande au nord, et atteint au sud les rives méridionales de la mer du Nord et la façade française de la Manche et de l'Atlantique. Seule la sous-espèce L. f. graellsii niche en France (Pons & Yésou, 1997 ; Yésou, 2002).

Les restes de Goéland brun sont rares dans les assemblages du Pléistocène supérieur de France (Mourer-Chauviré, 1975) et l'espèce ne fait l'objet que d'une seule mention pendant l'Holocène. Il s'agit de restes collectés dans les produits de fouilles d'un site rural du Pas-de-Calais daté de la fin du second, début du 3ème siècle après J.-C. (Vadet, 1988). Cette donnée, si elle constitue une forte présomption de la présence ancienne de l'espèce en France, ne renseigne cependant pas sur son statut local de reproducteur à l'époque.

Sa reproduction est attestée au 19ème siècle dans le Finistère et les Côtes d'Armor, et y demeure très rare jusqu'au début du 20ème siècle (Henry & Monnat, 1981). C'est dans le milieu des années 1920 que de nouvelles colonies sont découvertes en Bretagne (Lebeurier, 1925 ; Rapine, 1926), et que débute une phase de forte expansion démographique et géographique de l'espèce, d'abord à partir de transfuges des îles Britanniques, ou, pour le moins, des îles Anglo-Normandes, puis, plus récemment, à partir de sujets provenant du sud de la Mer du Nord (Pays-Bas et est de l'Angleterre) (Dubois, 2002). Cette expansion géographique s'est opérée à la fois vers le nord, où la reproduction de l'espèce est signalée pour la première fois en 1959 en Normandie, en 1976 en Haute-Normandie et en 1986 dans le Pas-de-Calais, et vers le sud, où sa reproduction est signalée pour la première fois en 1963 sur l'île Dumet (Loire-Atlantique) et en 1980 en Vendée. À la fin des années 1990, le Goéland brun se reproduit sur l'ensemble du littoral français depuis le département du Nord jusqu'au bassin d'Arcachon.
À cette expansion géographique est associé un fort accroissement de l'effectif de reproducteurs qui, estimé à un millier de couples en 1955, atteint 7 400 couples en 1970, puis 13 250 couples lors du recensement 1975-1977, et 23 000 couples lors des recensements 1987-1989 et 1997-1999 (Cadiou, 2002). L'apparente stabilité de ces deux derniers recensements masque des disparités régionales caractérisées par une décroissance des effectifs des régions les plus anciennement colonisées (Normandie et Bretagne) et une forte croissance de celles récemment colonisées (Nord-Pas-de-Calais et sud de la Loire), et des disparités locales. À titre d'exemple, l'effectif de couples nicheurs de la plus importante colonie française de Goélands bruns établie sur l'île de Béniguet dans l'archipel de Molène a été estimé à 200 couples en 1966, 6 600 en 1992 et 4 828 en 2001. Le déclin enregistré entre les deux derniers recensements s'élève à 27 % (Malassagne et al., 2002).
Depuis 1980, cette invasion du littoral s'est accompagnée d'une colonisation du milieu urbain. En 2001, plus de 500 couples se répartissent dans une trentaine de villes (Cadiou, 2002).
Comme pour les autres goélands dont les populations ont connu une forte progression pendant le 20ème siècle, l'essor du Goéland brun est attribué à la protection légale dont ont bénéficié les oiseaux marins depuis le début du siècle et à l'accroissement des ressources trophiques d'origine anthropique mises à sa disposition, en particulier celles constituées par les rejets de la pêche chalutière dans le cas de cette espèce (Spaans, 1998 ; Hälterlein et al., 2000 ; Rasmussen et al., 2000).

Le Goéland brun est probablement autochtone du rivage français de la Manche. Il a envahi récemment, de façon sub-spontanée, des entités biogéographiques du territoire d'où il était absent initialement.

L'impact global du Goéland brun sur ses écosystèmes d'accueil n'a pas fait l'objet de travaux spécifiques. Pourvu d'un large spectre alimentaire, il se nourrit aussi bien de proies vivantes que de déchets, tant sur l'estran qu'en mer, voire, plus ponctuellement en milieu terrestre. La nature et l'importance de son impact sur les populations d'invertébrés de l'estran ou de poisson en mer ne sont pas documentées. En revanche, l'impact de sa prédation et du dérangement qu'il occasionne aux colonies de sterne Sterna sp. et de Goélands argentés est établi. Par ailleurs, l'installation de vastes colonies a entraîné localement la dégradation de pelouses aérohalines par piétinement et nitrification. Son rôle dans la dissémination de pathogènes aux plans d'eau potable, la dégradation de bâtiments, l'augmentation des risques d'accidents d'aviation par collision est connu.

Le Goéland brun est totalement protégé par la loi française et ne fait l'objet d'aucune mesure de gestion spécifique en France.

Son expansion plus tardive et moins marquée que celle du Goéland argenté lui ont valu une image moins négative de la part des responsables gestionnaires. Cependant, comme les deux espèces nichent souvent en colonies mixtes, plusieurs dizaines de nids de Goélands bruns sont détruits chaque année par erreur, à l'occasion des opérations légales de destruction du Goéland argenté tant en milieu urbain qu'en milieu naturel. Par ailleurs, il pâtit des mesures de destructions illégales signalées à propos du Goéland argenté, mais bénéficie indirectement du statut de protection accordé à plusieurs de ses sites de reproduction au titre de leur importance globale pour l'avifaune marine.

Ressources
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Fiche rédigée par Pierre YESOU
Bibliographie

Cadiou B., 2002. Goéland brun Larus fuscus. In : Oiseaux marins nicheurs de France métropolitaine (1960-2000) (Cadiou B., Pons. J.-M. & Yésou P., Coordinateurs). Rapport au Ministère de l'Aménagement du Territoire et de l'Environnement. G.I.S. Oiseaux Marins, Muséum National d'Histoire Naturelle, Paris : 66-69.

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Mourer-Chauviré C., 1975. Les oiseaux du Pléistocène moyen et supérieur de France. Thèse d'État Université Claude Bernard, Lyon, n° 75-14.

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