Citation de cette fiche : Yésou P., 2003. Le Goéland leucophée : Larus michahellis Naumann, 1840. Pages 226-228, in : Évolution holocène de la faune de Vertébrés de France : invasions et disparitions (M.Pascal, O. Lorvelec, J.-D. Vigne, P. Keith & P. Clergeau, coordonnateurs), Institut National de la Recherche Agronomique, Centre National de la Recherche Scientifique, Muséum National d'Histoire Naturelle (381 pages). Rapport au Ministère de l'Écologie et du Développement Durable (Direction de la Nature et des Paysages), Paris, France. Version définitive du 10 juillet 2003.
Le Goéland leucophée
Le Goéland leucophée a longtemps été considéré comme une sous-espèce du Goéland argenté Larus argentatus, puis comme une sous-espèce du Goéland pontique L. cachinnans (Devillers, 1977). La récente prise en compte de descripteurs moléculaires du génome et de traits de la biologie de la reproduction de ces taxons a montré qu'il s'agit d'espèces distinctes (Klein & Buchheim, 1997 ; Liebers et al., 2001).
L'aire de reproduction du Goéland leucophée englobe l'ensemble du bassin méditerranéen, le littoral atlantique depuis le golfe de Gascogne jusqu'au sud de Maroc, et les îles de Macaronésie où la sous-espèce L. m. atlantis est endémique des Açores. Ce goéland niche ponctuellement dans les terres en Europe occidentale et centrale jusqu'en Pologne (Yésou, 2002).

Aucun reste osseux de Goéland leucophée n'est mentionné à ce jour dans les produits de fouilles pléistocènes et holocènes de France. Les récentes révisions systématiques et la difficulté à discriminer les espèces regroupées autrefois au sein du taxon Larus argentatus à partir de leurs restes osseux incitent à la prudence quant au crédit qu'il faut accorder aux déterminations archéologiques passées. Pour des raisons de répartition géographique actuelle, on est par exemple en droit de se demander si les Larus argentatus signalés du site néolithique de Leucate (Vilette, 1983) ou du site gallo romain de La Bourse, à Marseille (Jourdan, 1976) ne concernent pas le Goéland leucophée. À souligner toutefois que les restes de goélands de la taille de Larus michahellis sont très rares dans les assemblages archéozoologiques holocènes, y compris ceux des sites côtiers (Vigne et al., 1997 ; Thibault & Bonaccorsi, 1999). En Corse, par exemple, les nombreux sites archéologiques de l'archipel des Lavezzi, de Bonifacio ou du Cap Corse n'ont livré à ce jour qu'un seul reste, daté du Boréal et provenant de Bonifacio qui satisfasse à ce critère de taille (Cuisin, 2001). Par ailleurs si ce reste témoigne de la présence probable de l'espèce en Corse, il ne permet pas d'en inférer de façon formelle qu'elle se reproduisait sur place à l'époque.

Au milieu du 19ème siècle, sa reproduction, établie uniquement pour les îles de Marseille, s'étendait probablement à certains étangs du Languedoc. En 1908, elle est mentionnée pour la première fois en Corse, mais déjà localement abondante, l'espèce devait y être implantée de plus longue date. Sa reproduction est signalée pour la première fois en 1926 sur les îles d'Hyères et en 1929 en Camargue (Guyot et al., 1985). Jusqu'aux années 1960, les effectifs du Goéland leucophée restent réduits sur l'ensemble de ses sites de reproduction à l'exception de l'archipel de Riou près de Marseille, qui hébergeait déjà 2 500 à 3 000 couples en 1963 (Anonyme, 1963). C'est alors qu'une forte expansion démographique s'est amorcée (Thibault et al., 1996). En 1983, l'effectif des reproducteurs français est estimé à 24 500 couples (Guyot et al., 1985), en 1990, à 32 000, et en 2001, à 38 000 (Vidal et al., 2002).
Cet accroissement des effectifs s'est accompagné d'une extension de l'aire de reproduction de l'espèce, d'abord à l'ensemble des départements méditerranéens, où la colonie de Riou reste cependant toujours la plus importante avec 8 500 couples recensés en 1995 (Vidal et al., 1997), puis vers l'intérieur des terres et le littoral atlantique. Elle niche dans la haute vallée du Rhône dès la fin des années 1940, en Alsace à partir de 1982, dans l'Eure en 1994, dans le bassin d'Arcachon et l'île d'Oléron dès 1976, et dans la vallée de la Garonne dès 1982. Cependant, entre 1996-2001, l'espèce n'est représentée que par moins de 200 et de 350 couples respectivement dans les 7 départements atlantiques et les 22 départements intérieurs qu'elle colonise, ce qui ne constitue que 1,5 % de l'effectif total des reproducteurs français (Vidal et al., 2002).

En région méditerranéenne, l'accroissement démographique de l'espèce s'est par ailleurs accompagné de la colonisation du milieu urbain constatée pour la première fois à Menton en 1984. En 2000, plus de 300 couples colonisaient les bâtiments d'une dizaine de communes (Vidal et al., 2002).
Deux causes sont avancées pour expliquer l'explosion démographique qu'a connu le Goéland leucophée dans la seconde moitié du 20ème siècle : la mise à sa disposition par l'Homme d'importantes ressources alimentaires constituées par les rejets de la pêche chalutière et les décharges d'ordures ménagères, et les mesures de protection prises en sa faveur et à l'égard de certains de ses sites de nidification (Beaubrun, 1994 ; Bosch et al., 1994 ; Oro et al., 1995 ; Sol et al., 1995). Cependant, si le taux d'accroissement moyen annuel de la population française s'est élevé à 9 % pendant la période s'étendant de 1920 à 1990, il a récemment décliné et atteint la valeur de 1,6 % pour la période s'étendant de 1990 à 2000 (Vidal et al., 2002). Ce déclin est mis en rapport avec la saturation des sites de reproduction et la réduction des ressources alimentaires d'origine anthropique (Beaubrun, 1994 ; Vidal et al., 2001 ; Bourgeois et al., 2002).

Le Goéland leucophée, selon toute vraisemblance autochtone de la Corse et de la frange méditerranéenne de la France continentale, a colonisé récemment de façon sub-spontanée des entités biogéographiques du territoire d'où il était absent par le passé.

L'impact global de l'espèce sur ses écosystèmes d'accueil n'a pas fait l'objet de travaux spécifiques. Cependant, il est connu pour exercer une prédation significative et pour entrer en compétition pour l'espace lors de la reproduction avec des espèces faisant l'objet de mesures de conservation en Camargue et aux îles Lavezzi en Corse (vis-à-vis du Goéland d'Audouin, Larus audouinii, dans cette dernière localité), pour dégrader le tapis végétal de ses sites de reproduction et être à l'origine de l'introduction de plantes allochtones sur des îles méditerranéennes (Vidal et al., 1998a,b,c), pour être un agent de transmission de pathogènes aux plans d'eau potable, pour augmenter les risques d'accidents d'aviation par collision et pour générer diverses nuisances quand il niche en milieu urbain (Salathé, 1983 ; Beaubrun, 1994 ; Vidal et al., 1998a,b, 2000).

Le Goéland leucophée est protégé par la loi française, mais l'administration peut en autoriser la destruction en cas de dommages à d'autres espèces ou à des activités humaines. C'est dans ce cadre que ses populations font l'objet de mesures de limitation par l'empoisonnement d'adultes nicheurs et la stérilisation d'oeufs, depuis 1960 en Camargue (Blondel, 1963), et plus récemment en Languedoc-Roussillon et sur les îles de Marseille (Vidal et al., 2002). L'efficacité de ces mesures semble limitée car elles n'entraînent pas de baisse sensible des effectifs et génèrent des éclatements de colonies à l'origine d'une dissémination du problème (Bosch et al., 2000) et d'une augmentation des échanges d'individus d'une colonie à l'autre qui ne serait pas sans conséquence sur la dynamique des populations (Brooks & Lebreton, 2001). Pour Vidal et al. (2002), la seule solution pérenne permettant une limitation à grande échelle des populations de Goélands leucophées réside dans l'élimination de la cause principale de sa récente explosion démographique, c'est-à-dire la réduction des ressources alimentaires d'origine anthropique mises à sa disposition en particulier par la fermeture des décharges d'ordures ménagères à ciel ouvert. Par ailleurs, l'espèce bénéficie de la protection accordée à plusieurs de ses sites de reproduction au titre de leur importance globale pour l'avifaune aquatique.

Ressources
Experts
Fiche rédigée par Pierre YESOU
Bibliographie

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