Citation de cette fiche : Lorvelec O., Vigne J.-D. & Pascal M., 2003. Le Pigeon marron (le Pigeon biset) : Columba livia J.F. Gmelin, 1789. Pages 230-233, in : Évolution holocène de la faune de Vertébrés de France : invasions et disparitions (M.Pascal, O. Lorvelec, J.-D. Vigne, P. Keith & P. Clergeau, coordonnateurs), Institut National de la Recherche Agronomique, Centre National de la Recherche Scientifique, Muséum National d'Histoire Naturelle (381 pages). Rapport au Ministère de l'Écologie et du Développement Durable (Direction de la Nature et des Paysages), Paris, France. Version définitive du 10 juillet 2003.
Le Pigeon marron (le Pigeon biset)
D'après Voous (1960), l'aire initiale de reproduction du Pigeon biset s'étendait du nord de l'Afrique jusqu'à l'Asie centrale, au nord, et le sous-continent indien, au sud, à l'exclusion du massif de l'Himalaya. En Europe, elle englobait l'ensemble des côtes méditerranéennes, la péninsule ibérique et les côtes de Bretagne et des îles britanniques. La forme domestique de l'espèce a été progressivement introduite en milieu naturel sur l'ensemble des autres continents, notamment aux États-Unis d'Amérique dès le début du 17ème siècle (Johnston & Garret, 1994), à l'exception de l'Antarctique (del Hoyo et al., 1997).

Le Pigeon biset est fortement représenté dans le Nafoutien d'Israël (10 000 avant J.- C.) et dans les sites habités du Levant datés du Néolithique précéramique (Masseti, 2002). Si Lever (1987) le suppose domestiqué à cette époque, pour Tchernov (1984) l'évolution morphologique observée sur les restes osseux collectés dans les sites néolithiques précéramiques du Proche-Orient ne signerait pas obligatoirement une domestication, mais plutôt une pré-domestication conséquence d'un commensalisme induit par la mise à disposition de l'espèce d'importantes quantités de céréales provenant de l'essor de l'agriculture. Sa domestication est avérée de façon certaine dès la fin de l'Antiquité (Masseti, 2002). Sans préjuger de sa domestication, indépendante ou non, dans d'autres civilisations et d'autres époques, l'analyse de 5 documents zootechniques datant de la 3ème dynastie d'Ur (fin du 3ème millénaire) amène Limet (1994) à conclure que l'espèce était parfaitement domestiquée en Mésopotamie dès cette époque.

En France, des restes de Pigeons bisets ont été identifiés dans de nombreux assemblages du Pléistocène supérieur du Midi de la France et de Corse (Mourer-Chauviré, 1975 ; Vilette, 1983 ; Louchart, 2001).
Les mentions de l'espèce se raréfient au début de l'Holocène, au Mésolithique et au Néolithique, mais perdurent dans le Midi (Vilette, 1983, 1988) comme en Corse (Vigne et al., 1997). Il est vraisemblable qu'à ces époques l'espèce ait été absente d'une large partie du territoire français.
En effet, ce n'est qu'à partir de l'Âge du Fer (Poulain, 1985), et surtout de la Période romaine, que le Pigeon biset est mentionné dans le Nord et l'Est du pays, au 1er siècle avant J.-C. dans le Pas-de-Calais (Vadet & Vadet, 1993) et à Meaux (Yvinec, 1988) et du 1er au 4ème siècle après J.-C. à Lutèce (Oueslati, 2002) et dans les départements de l'Oise, du Pas-de- Calais, de l'Aisne, du Nord (Lepetz, 1996), de l'Ain (Vadet, 1981) et de l'Essonne (Leblay et al., 1997). Il est probable qu'il s'agit déjà en majorité de pigeons domestiques ou marrons.
L'augmentation du nombre de mentions, notamment en provenance du Centre, du Nord et de l'Est du pays, pendant le Moyen Âge, ne laisse plus aucun doute quant à la nature domestique ou marronne des sujets dont on trouve les restes en Dordogne dans des couches datées du 11ème au 14ème siècle (Caillat & Laborie, 1997-1998), à Paris dans des sites du 12ème - 13ème (Audoin-Rouzeau, 1989) et du 14ème siècle (Pichon, 1992), dans la Nièvre dans des couches datées du 11ème au 17ème siècle (Audoin-Rouzeau, 1986), à Lille (Vadet, 1986) et à Compiègne (Clavel, 1997) dans des sites du 16ème siècle, et enfin dans de nombreux autres sites du Nord et de l'Est de la France, datés de la période comprise entre le 12ème et le 17ème siècle après J.-C. (Clavel, 2001 ; Marinval, 2002). Toujours au Moyen Âge, l'espèce est aussi mentionnée au nombre des oiseaux consommés (Saly, 1984) et figure sur la liste des espèces à l'étale établie sur 41 marchés allant de 1602 à 1711 (Couperie, 1970).

Les travaux d'archéolozoologie et d'histoire témoignent donc d'un probable indigénat du Pigeon bizet au début de l'Holocène dans le Midi de la France et en Corse, l'indigence des données ornitho-archéologiques en provenance la façade atlantique du pays ne permettant pas de se prononcer pour cette partie du territoire. À partir de l'Antiquité gallo-romaine au moins, les enregistrements archéologiques témoignent de l'apparition de pigeons domestiques et de leurs inévitables corollaires marronés. Il faut par ailleurs garder à l'esprit que la forme domestique du Pigeon biset a rempli longtemps deux fonctions distinctes, celle de ressource alimentaire et celle de messager, la seconde étant à même de favoriser la disséminatrice de sujets domestiques. En France, sous la royauté, le droit de détenir des pigeons constituait un privilège exclusif de la noblesse, et, sous la République, celui de détenir des pigeons voyageurs a été soumis à l'autorisation du Ministère des Armées jusque récemment.

Columba livia est très proche de deux espèces d'Asie centrale, le Pigeon des rochers, C. rupestris, et le Pigeon des neiges, C. leuconota, dont l'aire de répartition va de l'Himalaya à la Corée. Il est également proche de deux espèces africaines, le Pigeon roussard, C. guinea, originaire de l'Afrique nord-tropicale et du sud, et le Pigeon à collier blanc, C. albitorques, dont la répartition est limitée à l'Éthiopie et à l'Érythrée (del Hoyo et al., 1997). D'après Voous (1960), certains pigeons domestiques extérioriseraient des caractères morphologiques du Pigeon des rochers et du Pigeon roussard. Selon cette appréciation, ces deux espèces auraient donc contribué, avec le Pigeon bizet, à la constitution des actuelles populations de pigeons domestiques.

L'ancienneté de la domestication du Pigeon biset en France rend délicat l'établissement de l'aire initiale de répartition de sa forme sauvage réputée sédentaire, et rupicole. Voous (1960) propose de la limiter aux côtes et aux îles, et dans son inventaire de 1936, Mayaud la cite exclusivement liée aux falaises maritimes des Côtes d'Armor, d'Houat, de Corse, et de la côte méditerranéenne. Depuis, toutes ces populations ont perdu leur pureté phénotypique, à l'exception peut être de celle de Corse (Dubois et al., 2000), et l'évocation de l'existence actuelle de populations sauvages de Pigeon biset dans le Massif Central et en Provence (Patrimonio, 1994) est sujette à caution.
À cette importante réduction de l'aire de répartition de la forme sauvage de l'espèce s'oppose la colonisation de la quasi-totalité des agglomérations urbaines du territoire par des populations marronnes de la forme domestique, processus rapporté pour la ville de Londres dès le 14ème siècle (Lever, 1987).

Initialement autochtone de la Corse, du Midi de la France et probablement d'une partie des rivages maritimes de la France continentale, voire, de sites rocheux continentaux, la forme "sauvage" du Pigeon biset présentait une aire de répartition limitée au début du 20ème siècle. Dès l'Antiquité gallo-romaine et plus encore au Moyen Âge, des individus issus de populations domestiques sont venus se joindre à ces populations sauvages. L'espèce, dans laquelle il est difficile actuellement de déterminer ce qu'il reste du pool génique autochtone, colonise maintenant la totalité du territoire par l'entremise d'un vaste ensemble de populations maronnes.

Ses nombreux sujets urbains constituent des réservoirs et vecteurs de bactéries des genres Chlamydia, Mycobacterium et Salmonella, de levures du genre Cryptococcus et produisent des allergènes aviaires auxquels l'Homme est sensible (Guiguen & Camin, 1997). Par ailleurs, l'espèce est vectrice de l'agent de la maladie de Newcastle qui a de sérieuses incidences sur les élevages de volailles (Moutou, 1997) et ses importantes populations périurbaines occasionnent des dégâts en céréaliculture sur semis et lors de la levée. Le constat de ces interactions négatives avec diverses activités humaines ne doit pas masquer l'absence d'information sur l'éventuel impact des populations urbaines et périurbaines de l'espèce sur l'avifaune sauvage et les écosystèmes périurbains en général.

Le Pigeon biset est inscrit sur la liste des oiseaux susceptibles d'être chassés, et à l'annexe II de la Directive Oiseaux (Dubois et al., 2000). Ses populations marronnes urbaines font l'objet d'opérations de régulation et des réintroductions de la forme sauvage à partir de sujets corses sont tentées sur le continent (Dubois et al., 2000).

Ressources
Experts
Fiche rédigée par Olivier LORVELEC
Insitut National de la Recherche Agronomique
Campus de Beaulieu - Avenue du Général Leclerc
35042 Rennes Cedex

Jean-Denis VIGNE
Muséum national d'Histoire naturelle
Anatomie Comparée
55 rue Buffon
75005 Paris

Michel PASCAL
Insitut National de la Recherche Agronomique
Campus de Beaulieu - Avenue du Général Leclerc
35042 Rennes Cedex
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