La comparaison des cartes de répartition de Voous (1960) et de del Hoyo et al.
(1997) et des textes associés conduit à penser que l'aire initiale de répartition de la
Tourterelle turque, espèce réputée sédentaire, s'étendait sur l'Asie Mineure, le Proche et le
Moyen-Orient, le sous-continent indien et l'ouest de la Chine. Elle a été introduite au Japon
et aux Etats-Unis et a colonisé l'Europe et l'Afrique sahélienne (del Hoyo et al., 1997). Voous
(1960) rapporte que, s'il n'est pas exclus que la Tourterelle turque ait atteint spontanément
Constantinople pour y constituer d'importantes populations dès le 16ème siècle, les turques
l'ont introduite dans les diverses régions d'Europe du sud sous leur contrôle avant 1700.
C'est à partir de ces populations naturalisées que l'espèce aurait étendu son aire de
reproduction à la quasi-totalité de l'Europe au cours du 20ème siècle, atteignant Belgrade en
1912, le sud de la Hongrie en 1930, l'Autriche en 1943, l'Allemagne en 1946, les Pays-Bas,
le Danemark et la Suède entre 1948 et 1949, la France en 1952, la Norvège en 1954 et
l'Angleterre en 1955. Cette progression occidentale et septentrionale de l'aire de
reproduction de l'espèce s'est accompagnée d'un fort accroissement de ses effectifs. À titre
d'exemple, l'effectif de reproducteurs des Pays-Bas qui s'élevait à 5 couples en 1950, a été
estimé compris entre 60 000 et 100 000 couples entre 1975 et 1977, et celui de la Grande-
Bretagne, colonisée en 1955, à 30 000-40 000 couples en 1972 (del Hoyo et al., 1997).
La Tourterelle turque a été identifiée dans les produits de la fouille du Castrum
d'Auberoche en Dordogne datée du 12ème siècle (Caillat & Laborie, 1997-1998). Si d'autres
observations venaient à confirmer celle-ci, l'espèce aurait été présente, au moins dans le sud
de la France continentale, beaucoup plus précocement qu'il n'est supposé actuellement. Sa
première reproduction française référencée remonte à 1952 et a eu lieu dans les Vosges.
Depuis, mais surtout dans les années 1970, à l'exception des massifs montagneux des
Alpes et des Pyrénées, elle a colonisé l'ensemble du territoire, y compris toutes les grandes
îles du littoral (Sueur, 1994) dont la Corse en 1976 (Thibault, 1983), occupant des
écosystèmes naturels aussi bien qu'urbains et périurbains. L'effectif de reproducteurs
français est estimé à plus de 500 000 couples à la fin des années 1990 (Dubois et al., 2000).
Le fort pouvoir colonisateur que manifeste la Tourterelle turque, pourtant réputée
sédentaire, aussi bien en Europe de l'Ouest et du Nord que dans le Sahel et en Amérique du
Nord est hypothétiquement attribué à sa grande résistance au froid lors d'hivers rigoureux
(Voous, 1960 ; Yeatman, 1971), à la précocité de sa période de reproduction et à son fort
taux annuel de production de jeunes (Voous, 1960) qui n'est au demeurant pas lié au
nombre d'oeufs par ponte mais au nombre important de pontes qu'elle est susceptible de
réaliser dans une année (Hengeveld, 1997), et enfin, à son anthropophilie (Sueur, 1994).
La Tourterelle turque est très probablement allochtone du territoire de la France au
début de l'Holocène. Il est possible qu'elle y ait constitué des populations au début du
second millénaire après J.-C. à la suite d'introduction ou à partir de fondateurs provenant de
populations introduites d'Espagne. Ce n'est que dans la seconde moitié du 20ème siècle qu'elle
a conquis la quasi-totalité du territoire de la France de façon très probablement
subspontannée.
L'impact de cette espèce granivore sur les écosystèmes français n'a pas fait l'objet de
travaux spécifiques. Elle serait à l'origine de forts prélèvements dans les silos de céréale de
coopératives agricoles, mais cet éventuel impact n'est pas documenté à l'heure actuelle. Par
ailleurs, Voous (1960) cite des cas d'hybridations de la Tourterelle turque et de l'autochtone
Tourterelle des bois, Streptopelia turtur, observées dans la nature en Allemagne et évoque
l'existence d'une compétition entre ces deux espèces, compétition qui se ferait au détriment
de la seconde.
La Tourterelle turque est inscrite au nombre des espèces susceptibles d'être
chassées en France, à l'annexe II de la Directive Oiseaux et à l'annexe III de la convention
de Berne (Dubois et al., 2000). Ses populations françaises qui ne font pas l'objet de mesures
de gestion particulières ont connu un prélèvement cynégétique estimé à 305 700 individus
pendant la saison 1998-1999 (Landry, 2000).
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Experts |
Fiche rédigée par |
Michel PASCAL
Insitut National de la Recherche Agronomique
Campus de Beaulieu - Avenue du Général Leclerc
35042 Rennes Cedex
Olivier LORVELEC
Insitut National de la Recherche Agronomique
Campus de Beaulieu - Avenue du Général Leclerc
35042 Rennes Cedex
Philippe CLERGEAU
Muséum National d'Histoire Naturelle
Conservation des espèces
57 rue Cuvier
75005 Paris
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Bibliographie |
Caillat P. & Laborie Y., 1997-1998. Approche de l'alimentation carnée des occupants du castrum
d'Auberoche (Dordogne) d'après les données de l'archéozoologie. In : Usages et goûts culinaires
au Moyen Âge en Languedoc et en Aquitaine. Colloque du Centre d'Archéologie Médiévale du
Languedoc, Carcassonne & Villerouge-Termenès, 1996, Archéologie du Midi Médiéval, t. 15 et 16
: 161-177.
Del Hoyo J., Elliot A. & Sargatal J. (Edits.), 1997. Handbook of the Birds of the World. Vol. 4. Lynx
Edicions, Barcelona : 679 pp.
Dubois Ph.J., Le Maréchal P., Olioso G. & Yésou P., 2000. Inventaire des Oiseaux de France,
avifaune de la France métropolitaine. Nathan, Paris, F : 400 pp.
Hengeveld R., 1997. Collared Dove Streptopelia decaocto. In : The EBCC atlas of european breeding
birds : their Distribution and Abundance (Hagemeijer E.J.M. & Blair M.J. eds.). T & AD Poyser,
London : 388-389.
Landry P., 2000. Enquête nationale sur les tableaux de chasse à tir. Saison 1998-1999. Faune
Sauvage, 251 : 8-17.
Sueur F., 1994. Tourterelle turque. In : Nouvel atlas des oiseaux nicheurs de France. 1985-1989
(Yeatman-Berthelot D. & Jarry G. eds). Société Ornithologique de France, Paris : 376-379.
Thibault J.-C., 1983. Les Oiseaux de la Corse. Parc Naturel Régional de Corse, Ajaccio.
Yeatman L., 1971. Histoire des oiseaux d'Europe. Bordas, Paris : 365 pp.
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