Citation de cette fiche : Chastel O., Vigne J.-D. & Lorvelec O., 2003. Le Moineau domestique : Passer domesticus (Linné, 1758). Pages 256-260, in : Évolution holocène de la faune de Vertébrés de France : invasions et disparitions (M.Pascal, O. Lorvelec, J.-D. Vigne, P. Keith & P. Clergeau, coordonnateurs), Institut National de la Recherche Agronomique, Centre National de la Recherche Scientifique, Muséum National d'Histoire Naturelle (381 pages). Rapport au Ministère de l'Écologie et du Développement Durable (Direction de la Nature et des Paysages), Paris, France. Version définitive du 10 juillet 2003.
Le Moineau domestique
Le Moineau domestique est actuellement une espèce cosmopolite (Summers-Smith 1988) dont l'aire de reproduction s'étend entre le 71ème parallèle Nord au niveau du Cap Nord en Norvège et le 54ème parallèle Sud au niveau d'Ushuaia en Argentine.
Cette aire de reproduction englobe une grande partie de la région paléarctique, depuis le nord-ouest de l'Afrique jusqu'au nord de la Mongolie pour atteindre l'océan Pacifique. Au sud de cette région, elle intègre certaines îles méditerranéennes, la vallée du Nil, la péninsule arabique, le Proche et le Moyen-Orient, ainsi que l'Asie centrale et le sous-continent indien (Voous, 1960 ; Summers-Smith, 1988, Indykiewicz & Summers-Smith, 1997).
Cette aire de reproduction s'étend, en outre, à d'autres zones biogéographiques du globe où l'espèce a été introduite au cours des deux derniers siècles (Summers-Smith, 1988). C'est le cas notamment de l'Afrique du Sud où le Moineau domestique a été introduit entre 1893 et 1902 et d'où sa progression a pu être suivie en détail jusqu'au Zimbabwe et au Botswana (Msimanga & Slotow, 2000). C'est également le cas de certaines zones de l'Amérique du Nord où il est signalé à New-York dès 1850, du Mexique où il est présent dès le début du 20ème siècle ainsi que du reste de l'Amérique Centrale qui a vu son établissement dans les années 1970. En Amérique du sud, il a été introduit avec succès en Argentine en 1872 et au Chili en 1918, localités d'où il a gagné la Bolivie, la Colombie et les îles Falkland en 1919, le Brésil en 1959 et l'Équateur en 1969. L'espèce est également présente dans les Antilles. En Océanie, le Moineau domestique a été introduit en Australie en 1863 ainsi qu'en Nouvelle-Zélande.

Si l'origine eurasiatique de l'espèce ne fait pas de doute, il demeure difficile de reconstruire le contour précis de son aire originelle de reproduction au début de l'Holocène, en raison de son comportement anthropophile marqué. Cependant, selon Voous (1960) et Summers-Smith (1988), le Moineau domestique est probablement une espèce originaire de régions arides du sud-ouest de l'Asie. De fait, une forme ancestrale, Passer predomesticus, a été décrite par Tchernov (1962) dans le Tardiglaciaire ancien (Kébarien) d'Israël. Selon Tchernov (1984 & 1993) et Pichon (1984), cette forme serait progressivement devenue commensale de l'homme au Proche-Orient, peut-être dès la fin du Kébarien, mais plus certainement à l'extrême fin du Tardiglaciaire, au moment où sont apparus les premiers villages sédentaires de chasseurs-cueilleurs natoufiens, environ 10 000 ans avant J.-C. Tchernov rapproche ce processus de celui suivi par la Souris domestique (Mus musculus) à peu près à la même époque sur les mêmes sites. Du Proche-Orient, ces populations commensales se seraient étendues en accompagnant la diffusion des économies villageoises néolithiques (Summers-Smith, 1988).

En France, le Moineau domestique est représenté sur l'ensemble du territoire par sa forme nominale, sauf en Corse où il est remplacé par la forme italiae, le Moineau cisalpin (Faggio, 1995). Pour certains auteurs, la forme italiae serait un hybride stable issu du croisement du Moineau domestique et du Moineau espagnol (P. hispaniolensis) mais, pour d'autres, il s'agirait en réalité d'une sous-espèce du Moineau espagnol.

En France continentale, plusieurs sites du Pléistocène moyen et du Pléistocène supérieur ancien (Würm I) ont livré des restes qu'il n'a pas été possible d'attribuer de façon certaine à P. domesticus ou à P. predomesticus (Mourer-Chauviré, 1975). Parmi les nombreuses avifaunes du Pléistocène supérieur de France et de Corse inventoriées à ce jour (Mourer-Chauviré, 1975 ; Vilette, 1983 ; Louchart, 2001), seul le site de la Colombière dans l'Ain, daté du Dryas récent mais fouillé anciennement et dans des conditions de sécurité chronostratigraphiques mal contrôlées, aurait livré des restes de deux moineaux. Excepté cette mention dont il faudrait vérifier la datation et l'attribution spécifique, ce maigre bilan plaide en faveur de l'absence du Moineau domestique en France au cours du Tardiglaciaire.
Il semble d'ailleurs que l'espèce ne soit pas mieux représentée durant la première moitié de l'Holocène en France continentale. En effet, Vilette (1983) ne la signale d'aucun des sites mésolithiques ou néolithiques du Midi et, à notre connaissance, sa seule mention concerne la couche superficielle et les éboulis sujets à contamination de la grotte du Rond du Barry dans la Haute-Loire (Poulain, 1972 ; Mourer-Chauviré, 1975). En Corse cependant, l'apparition du Moineau domestique date probablement de la fin du Néolithique ancien, près de Bonifacio (Vigne et al., 1997).

Ce n'est donc qu'à partir des périodes historiques que le Moineau domestique fait son apparition certaine dans les assemblages archéologiques de France continentale, plus particulièrement au Moyen Âge (Marinval, 2002). Des restes ont en effet été plus ou moins formellement identifiés dans un site rural du département du Nord (1-2ème siècles après J.-C., Vadet, 1979), mais surtout en Dordogne (12-15ème siècles, Caillat & Laborie, 1998), dans l'Indre-et-Loire (11-16ème siècles), le Cher (12-14ème siècles), le Loiret (16ème siècle, Marinval, 2002), les Yvelines (11-16ème siècles ; Méniel, 1980), la Picardie (deux sites datés du 16ème siècle, Clavel, 2001) et le Pas-de-Calais (4-12ème siècles, Poulain, 1967). Par ailleurs, le nom français du Moineau serait apparu au 12ème siècle (Lavory, 1985) et de nombreuses mentions soulignent que l'espèce était couramment consommée aux 15ème, 16ème et 17ème siècles (Labbé, 1990 ; Flandrin et al., 1983).
Les travaux de paléontologie, d'archéozoologie et les textes suggèrent donc que le Moineau domestique était absent de l'avifaune de France au début de l'Holocène. Si la Corse a pu accueillir dès le Néolithique ses premières colonies commensales en provenance du Proche-Orient, elles ne s'installèrent pas avant l'Antiquité, et plus probablement au Moyen Âge, sur la partie continentale de la France qu'elles ont envahie en totalité de façon sub-spontanée. En effet, les atlas de répartition de l'avifaune nicheuse de France le signalent présent partout pendant tout le 20ème siècle (Mayaud, 1936 ; Yeatman,1976 ; Chastel, 1995).

Le Moineau domestique est, dans beaucoup de régions comme l'Europe du Nord, l'Europe centrale ou la Sibérie, très dépendant des cultures humaines pour pourvoir à ses besoins alimentaires (Voous, 1960) et, s'il peut nicher dans des fissures et des cavités ainsi que dans des arbres, il utilise des bâtiments pour établir ses sites de reproduction (Chastel, 1995).
Si l'urbanisation et la production agricole ne connaissent pas actuellement de récession en Europe, le Moineau domestique, espèce commune, y voit cependant ses effectifs décliner depuis une vingtaine d'années dans plusieurs pays. En Angleterre par exemple, l'effectif de couples reproducteurs a régressé de plus de 50 % en une vingtaine d'années, passant de 12 à 15 millions au début des années 1970 à environ 6 millions à la fin des années 1990 (Indykiewicz & Summers-Smith, 1997). Si l'histoire récente de ses populations françaises est restée longtemps peu documentée, le programme de suivi mis en place par le Centre de Recherches sur la Biologie des Populations d'Oiseaux (Anonyme, 2003), a révélé également une diminution de près de 16 % des effectifs sur l'ensemble du territoire entre 1989 et 2001. Ce phénomène, particulièrement marqué en zone rurale, a vraisemblablement pour origine un changement des pratiques agricoles qui a eu pour conséquence une diminution drastique des disponibilités trophiques hivernales de graines générant une réduction de la survie hivernale des juvéniles (Hole et al. 2002).

Le Dictionnaire encyclopédique Flammarion de la fin du 19ème siècle soulignait l'effet "fort nuisible", à l'époque, de cette espèce granivore-omnivore (Marinval, 2002).
Aujourd'hui, cette perception a changé et, si le Moineau domestique peut être parfois à l'origine de dégâts sur les céréales stockées ou sur pied (Gramet, 1991), cet impact limité ne doit pas masquer le peu de connaissances relatives au rôle écologique de cette espèce sur les agro-écosystèmes ainsi que sur les écosystèmes urbains et périurbains.

Le Moineau domestique, espèce protégée en France, est inscrit à l'Annexe I de la Directive Oiseaux (Dubois et al., 2000) et n'y fait pas l'objet d'opérations de gestions particulières.

Ressources
Experts
Fiche rédigée par Olivier CHASTEL

Jean-Denis VIGNE
Muséum national d'Histoire naturelle
Anatomie Comparée
55 rue Buffon
75005 Paris

Olivier LORVELEC
Insitut National de la Recherche Agronomique
Campus de Beaulieu - Avenue du Général Leclerc
35042 Rennes Cedex
Bibliographie

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