Citation de cette fiche : Pascal M., 2003. La Musaraigne musette : Crocidura russula (Hermann, 1780). Pages 265-267, in : Évolution holocène de la faune de Vertébrés de France : invasions et disparitions (M.Pascal, O. Lorvelec, J.-D. Vigne, P. Keith & P. Clergeau, coordonnateurs), Institut National de la Recherche Agronomique, Centre National de la Recherche Scientifique, Muséum National d'Histoire Naturelle (381 pages). Rapport au Ministère de l'Écologie et du Développement Durable (Direction de la Nature et des Paysages), Paris, France. Version définitive du 10 juillet 2003.
La Musaraigne musette
L'actuelle aire de répartition de la Musaraigne musette, également appelée Crocidure musette, couvre le nord-ouest de l'Afrique, certaines îles méditerranéennes ainsi que le sud et l'ouest de l'Europe (Wilson & Reeder, 1993). D'après Poitevin et al. (1986, 1990), l'espèce aurait débuté la colonisation de la France, depuis la péninsule ibérique, en franchissant les Pyrénées vers 4 000 avant J.-C. Son absence de la faune de Grande-Bretagne (Yalden, 1999) et la faible diversité d'haplotypes observée en France au sein du cytb de son ADNmt comparée à celle observée chez Crocidura suaveolens, la Musaraigne des jardins, confirme sa venue récente sur le territoire (Cosson, 1998).

Ces considérations paléontologiques et de génétique moléculaire conduisent à conclure que la Musaraigne musette est très probablement une espèce allochtone de la totalité de la France où elle serait apparue de façon spontanée au cours de l'Holocène.

Elle a colonisé, probablement introduite involontairement par l'Homme, les îles charentaises et vendéennes de Ré, Oléron et Noirmoutier (Heim de Balzac 1940b), et les îles bretonnes de Belle-Île, Houat, Groix, Saint Nicolas des Glénan, Sein, Molène, Batz, Bréhat (Heim de Balzac, 1940a ; Heim de Balzac & de Beaufort, 1966 ; Saint Girons & Nicolau Guillaumet, 1987 ; Cosson et al., 1996).

La répartition et l'abondance de C. russula et de C. suaveolens sur le continent sont très inégales. En particulier, C. russula est abondante et bien répartie sur l'ensemble du littoral Ouest européen, du Portugal aux Pays-Bas alors que C. suaveolens, beaucoup plus rare, présente une répartition très sporadique le long des côtes atlantiques françaises (Heim de Balzac & de Beaufort, 1966 ; Fons, 1984 ; Poitevin et al., 1986) où la limite nord de son aire de répartition serait constituée par la rive gauche de la Loire (Anjou et Sologne).
Par ailleurs, si les deux espèces peuvent coexister au sein d'un même archipel, elles s'excluent mutuellement sur les îles. En effet, la substitution de C. suaveolens par C. russula a récemment été observée sur l'île de Sein (Cosson et al., 1996). Ces faits conduisent Cosson et al. (1996) à confirmer l'existence, déjà signalée par Poitevin et al. (1987), d'une forte interaction entre les deux espèces. Ils invoquent ce phénomène pour expliquer la raréfaction de C. suaveolens sur la façade continentale ouest du pays et l'extinction de ses populations insulaires en cas de colonisation par C. russula.
Les mécanismes à l'origine de la substitution de C. suaveolens par C. russula ne sont pas connus.

Mis à part la forte interaction interspécifique évoquée ci-dessus, l'impact des populations de C. russula sur le fonctionnement de leurs écosystèmes d'accueil n'est pas documenté et ces populations n'ont pas fait l'objet d'opérations de gestion. La Musaraigne musette est protégée par la loi française.

Ressources
Experts
Fiche rédigée par Michel PASCAL
Insitut National de la Recherche Agronomique
Campus de Beaulieu - Avenue du Général Leclerc
35042 Rennes Cedex
Bibliographie

Cosson J.-F., Pascal M. & Bioret F., 1996. Origine et répartition des musaraignes du genre Crocidura dans les îles bretonnes. Vie et Milieu - Life & Environment, 46 (3/4) : 233-244.

Cosson J.-F., 1998. Historical biogeography of two competing schrews of the genus Crocidura inferred from mt DNA variation. Euro-American Mammal Congress.

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