Citation de cette fiche : Pascal M. & Vigne J.-D., 2003. La Musaraigne des jardins : Crocidura suaveolens (Pallas, 1811). Pages 267-268, in : Évolution holocène de la faune de Vertébrés de France : invasions et disparitions (M.Pascal, O. Lorvelec, J.-D. Vigne, P. Keith & P. Clergeau, coordonnateurs), Institut National de la Recherche Agronomique, Centre National de la Recherche Scientifique, Muséum National d'Histoire Naturelle (381 pages). Rapport au Ministère de l'Écologie et du Développement Durable (Direction de la Nature et des Paysages), Paris, France. Version définitive du 10 juillet 2003.
La Musaraigne des jardins
Espèce paléarctique, actuellement présente de l'Espagne à la Corée et au Japon (Wilson & Reeder, 1993 ; Libois et al., 1999), la Musaraigne des jardins, également appelée Crocidure des jardins, est réputée présente à la fin de la dernière glaciation et au début de l'Holocène sur l'ensemble continental du domaine méditerranéen de la France (Poitevin et al., 1990 ; Mistrot, 2001), mais n'est pas mentionnée dans les assemblages paléontologiques du nord du pays (PTH, 1998) ou des îles britanniques (Yalden, 1999). Corbet (1961 in Yalden, 1999) attribue sa présence actuelle dans certaines îles britanniques à des introductions fortuites anciennes. Elle a donc envahi les deux tiers nord de la France spontanément au cours de l'Holocène sans que sa progession puisse être précisée à l'heure actuelle en raison de la rareté de ses restes sub-fossiles.

Par ailleurs, en France, sa répartition continentale actuelle est discontinue et l'analyse moléculaire d'une portion du cytb de l'ADNmt a permis à Taberlet et al. (1998) de distinguer deux formes, est et ouest-européennes, de part et d'autre de la barrière géographique que constitue la chaîne des Alpes (Manero, 1997 ; Hewitt, 1999).

D'après Vigne (1999), l'espèce, totalement absente des faunes autochtones de Corse jusqu'au début du Néolithique au moins, y a été introduite au plus tard dès le premier millénaire avant J.-C. Les populations corses (Fons, 1984), comme celles des îles de l'Atlantique et de la Manche (Cosson et al., 1996), montrent une tendance au gigantisme, l'une des manifestations du syndrome d'insularité. En Corse, des populations de petit format apparaissent, semble-t-il brusquement, et uniquement pendant le premier millénaire de notre ère. Vigne & Marinval-Vigne (1990) voient dans ce phénomène la conséquence d'introductions successives ou celle des déboisements médiévaux, les deux hypothèses ne s'excluant pas au demeurant.

La Musaraigne des jardins a colonisé d'autres îles françaises, probablement introduite involontairement par l'Homme. Présente sur une seule des îles provençales, Porquerolles (Cheylan, 1984), mais sur la quasi-totalité des îles de la Manche et de l'Atlantique qui n'ont pas été envahies par Crocidura russula, elle peut occuper des îlots de très petite superficie. À titre d'exemple, dans l'Archipel de Molène, les îlots de Roc'h Hir et d'Enez ar C'hriszienn ont une superficie de 0,86 et 0,63 ha respectivement, et hébergent chacun une population de C. suaveolens (Pascal, 1998). Dans ces milieux insulaires, cette espèce voit son abondance réduite et sa répartition spatiale morcelée en présence d'un muridé allochtone, le Rat surmulot Rattus norvegicus (Pascal et al., 1998).

Ces informations archéozoologiques et de génétique moléculaire conduisent à conclure que la Musaraigne des jardins est très probablement autochtone de la zone méditerranéenne de la France continentale et allochtone de ses autres entités biogéographiques. Elle a colonisé vraisemblablement de façon spontanée les entités continentales du pays d'où elle était absente, et a été introduite fortuitement sur les îles.

L'impact des populations introduites sur leurs écosystèmes d'accueil n'est pas connu et ces populations n'ont pas fait l'objet d'opérations de gestion spécifiques. La Musaraigne des jardins est protégée par la loi française.

Ressources
Experts
Fiche rédigée par Michel PASCAL
Insitut National de la Recherche Agronomique
Campus de Beaulieu - Avenue du Général Leclerc
35042 Rennes Cedex

Jean-Denis VIGNE
Muséum national d'Histoire naturelle
Anatomie Comparée
55 rue Buffon
75005 Paris
Bibliographie

Cheylan G., 1984. Les mammifères des îles de Provence et de Méditerranée occidentale : un exemple de peuplement insulaire non équilibré ? Revue d'Ecologie (Terre & Vie), 39 : 37-54.

Corbet G.B., 1961. Origin of British insular races of small mammals and of the "Lusitanian" fauna. Nature, London, 191 : 1037-1040.

Cosson J.-F., Pascal M. & Bioret F., 1996. Origine et répartition des musaraignes du genre Crocidura dans les îles bretonnes. Vie et Milieu - Life & Environment, 46 (3/4) : 233-244.

Fons R., 1984. La Crocidure des Jardins Crocidura suaveolens. In : Atlas des Mammifères de France. Société Française pour l'Étude et la Protection des Mammifères, Paris : 46-47.

Hewitt G.M., 1999.- Post-glacial re-colonization of European biota. In : Molecular genetics in animal ecology (Racey P.A., Bacon P.J., Dallas J.F. & Piertney S.B. éds.). Biol. J. Linn. Soc., 68 : 87-112.

Libois R., Ramalhinho M.G. & Fons R., 1999. Crocidura suaveolens (Pallas, 1811). In : The atlas of European mammals. (Mitchell-Jones A.J., Amori G., Bogdanowicz W., Krystufek B., Reijnders P.J.H., Spitzenberger F., Stubb M., Thissen J.B.M., Vohralik V. & Zima J. Edts.) Academic Press, London UK, San Diego USA : 72-73.

Manero F., 1997. Localisation d'une zone de contact entre deux lignées mitochondriales de musaraigne Crocidura suaveolens. Rapport de stage de fin de licence de l'Ecole Nationale Supérieure de Lyon. Magistère de Biologie Moléculaire & Cellulaire : 30 pp.

Mistrot V., 2001. Contribution des micromammifères de la Balma de l'Abeurador à la connaissance de l'évolution des paysages tardiglaciaires et holocènes en Languedoc-Roussillon. Thèse de l'Université Panthéon-Sorbonne (Paris I).

Pascal M., 1998. Les mammifères terrestres sauvages d'Ouessant et de l'Archipel de Molène. Texte d'accompagnement de la carte de répartition des espèces mammaliennes d'Ouessant et de l'Archipel de Molène. Exposition permanente de la maison de la Réserve de Molène. SEPNB - Brest - Molène : 1 pp.

Pascal M., Siorat F. & Bernard F., 1998. Interactions between norway rats and shrews in Brittany Islands. Aliens Newletter of Invasive Species Specialist Group of the IUCN (ISSN : 1173-5988) Special Survival Commission, Newsletter 8 : 7.

Poitevin F., Bayle P. & Courtin J., 1990. Mise en place des faunes de micromammifères (Rongeurs, Insectivores) dans la région méditerranéenne française au post-glaciaire. Vie et Milieu - Life & Environment, 40 : 144-149.

PTH, 1998. Base de données constituée entre 1994 et 1998 dans le cadre du Programme National Diversité Biologique (PNDB) du CNRS (Programme Environnement, Vie et Société) pour les besoins du projet "Processus Tardiglaciaires et Holocènes de mise en place des faunes actuelles" (PTH). Gestion scientifique de la base : Archéozoologie et Histoire des Sociétés, CNRS - Muséum National d'Histoire Naturelle (ESA 8045), Paris.

Taberlet P, Fumagalli L., Wust-Saucy A. G. & Cosson J.-F., 1998. Comparative phylogeography and postglacial colonization routes in Europe. Molecular Ecology, 7 : 453-464.

Vigne J.-D., 1999. The large “true” Mediterranean islands as a model for the Holocene human impact on the European vertebrate fauna ? Recent data and new reflections. In : The Holocene History of European Vertebrate Fauna. Modern Aspects and Research (N. Benecke, editor). Deutsches Archäologisches Institut Eurasien-Abteilung. Verlag Marie Leidorf GmbH Rahden/Westf. : 295-322.

Vigne J.-D. & Marinval-Vigne M.-C., 1990. Nouvelles données sur l'histoire des musaraignes en Corse (Insectivora, Mammalia). Vie et Milieu, 40 (2-3) : 207-212.

Wilson Don E. & Reeder DeeAnn M. (Eds), 1993. Mammals species of the world. Smithsonian Institut Press, Washington & Londres : 1207 pp.

Yalden D., 1999. The history of Britsh Mammals. Academic Press, London : 305 pp.