Citation de cette fiche : Vigne J.-D. & Pascal M., 2003. La Pachyure étrusque : Suncus etruscus (Savi, 1822). Pages 268-270, in : Évolution holocène de la faune de Vertébrés de France : invasions et disparitions (M.Pascal, O. Lorvelec, J.-D. Vigne, P. Keith & P. Clergeau, coordonnateurs), Institut National de la Recherche Agronomique, Centre National de la Recherche Scientifique, Muséum National d'Histoire Naturelle (381 pages). Rapport au Ministère de l'Écologie et du Développement Durable (Direction de la Nature et des Paysages), Paris, France. Version définitive du 10 juillet 2003.
La Pachyure étrusque
La vaste aire de répartition de la Pachyure étrusque ou Pachyure, l'un des plus petits mammifères du monde, couvre le nord de l'Afrique, le sud de l'Europe, et se prolonge en Asie jusqu'au sous-continent indien et au Yunnan en Chine (Wilson & Reeder, 1993). En France, elle est actuellement cantonnée à la zone méditerranéenne, remontant vers le nord les vallées de la Garonne et du Rhône (Fons, 1985).

Si des formes fossiles du genre Suncus sont signalées dès le Pléistocène de France, S. etruscus a probablement conquis le territoire français au début de l'Holocène à partir des refuges méditerranéens qu'elle occupait au Tardiglaciaire.

La présence de l'espèce n'est attestée à ce jour que sur deux îles françaises de Méditerranée, Porquerolles et la Corse. Dans la première, elle ne figure pas aux inventaires du début des années 1980 (Cheylan, 1984), sans que ce défaut signe obligatoirement son absence du cortège mammalien insulaire à cette époque. En effet, espèce de très petite taille, elle n'est décelée que par l'examen de pelotes de réjection de rapaces ou par une méthode de piégeage très spécifique. C'est par cette méthode que Fons et al. (1993) l'ont mise en évidence à Porquerolles. Il est donc actuellement impossible de préciser si l'actuelle population de cette île est indigène et aurait été piégée au moment de la remontée du niveau marin du début de l'Holocène, ou si et quand elle a été introduite involontairement par l'Homme.
En Corse, la Pachyure étrusque est représentée par des populations qui ne diffèrent en rien de celles du continent (Fons, 1987) et ne manifestent donc pas de tendance au gigantisme comme c'est le cas pour la Musaraigne des jardins, Crocidura suaveolens (Vigne & Marinval-Vigne, 1990). Elle est assurément absente de l'île durant le Tardiglaciaire et le début de l'Holocène jusqu'à la fin du 5ème millénaire au moins, les données fondées relatives à la période comprise entre les 4ème et 2ème millénaires avant J.-C. faisant défaut. La date de la première attestation de sa présence est comprise entre le 7ème et le 5ème siècles avant J.- C. Elle côtoie alors deux autres espèces de musaraignes, la Musaraigne des jardins C. suaveolens, introduite fortuitement par l'Homme et la Musaraigne corse Episoriculus corsicanus, endémique de l'île et éteinte depuis (Vigne et al., 1997 ; Vigne, 1999). Elle a vraisemblablement été introduite fortuitement par l'Homme avant cette date. Le développement de ses populations sur l'île, comme celles de C. suaveolens, semble avoir été favorisé par les déboisements et les pratiques agricoles développées pendant les temps historiques (Vigne & Valladas, 1996), mais aussi par les phases climatiques plus humides telles celles du Petit Âge Glaciaire (Vigne & Bailon, 2002).

Ces éléments d'archéozoologie et de biogéographie suggèrent que la Pachyure étrusque est peut-être une espèce allochtone de la France. Elle aurait envahi la partie méditerranéenne du territoire continental du pays au début de l'Holocène et aurait été introduite fortuitement par l'Homme en Corse et sur quelques îles du littoral de la Méditerranée. Les données sur d'éventuelles fluctuations de son aire de répartition au fil de l'Holocène font défaut.

L'impact de l'espèce sur les écosystèmes de Porquerolles et de Corse n'est pas documenté. La Pachyure étrusque est protégée par la loi française et ne fait pas l'objet d'opérations de gestion spécifiques.

Ressources
Experts
Fiche rédigée par Jean-Denis VIGNE
Muséum national d'Histoire naturelle
Anatomie Comparée
55 rue Buffon
75005 Paris

Michel PASCAL
Insitut National de la Recherche Agronomique
Campus de Beaulieu - Avenue du Général Leclerc
35042 Rennes Cedex
Bibliographie

Cheylan G., 1984. Les mammifères des îles provençales. Travaux Scientifiques du Parc National de Port-Cros, 10 : 13-25.

Fons R., 1985. La Musaraigne étrusque ou Pachyure Suncus etruscus. In : Atlas des Mammifères de France. Société Française pour l'Étude et la Protection des Mammifères -Muséum National d'Histoire Naturelle, Paris : 48-49.

Fons R., 1987. Les insectivores. In : Les Mammifères en Corse, espèces éteintes et actuelles. Parc Naturel Régional de la Corse, Ajaccio : 31-37.

Fons R., Saint-Girons M.C., Orsini Ph., Clara J.P. & Olivier J., 1993. Nouvelles données sur les mammifères de l'île de Porquerolles (Var, France). Travaux Scientifiques du Parc National de Port- Cros, 15 : 171-176.

Vigne J.-D., 1999. The large “true” Mediterranean islands as a model for the Holocene human impact on the European vertebrate fauna ? Recent data and new reflections. In : The Holocene History of European Vertebrate Fauna. Modern Aspects and Research (N. Benecke, editor). Deutsches Archäologisches Institut Eurasien-Abteilung. Verlag Marie Leidorf GmbH Rahden/Westf. : 295-322.

Vigne J.-D. & Bailon S., 2002. Incidence hygrométrique des “ petits âges glaciaires ” subatlantiques sur les microvertébrés méditerranéens. Exemple corse. In : Équilibres et ruptures dans les écosystèmes durant les 20 derniers millénaires en Europe de l'Ouest (H. Richard Ed.). Actes du Colloque international de Besançon, sept. 2000. Besançon, Presses Universitaires Franc- Comtoises : 285-296.

Vigne J.-D., Bailon S. & Cuisin J., 1997. Biostratigraphy of Amphibians, Reptiles, Birds and Mammals in Corsica and the role of Man in the Holocene faunal turnover. Anthropozoologica, 25-26 : 587-604.

Vigne J.-D. & Marinval-Vigne M.-C., 1990. Nouvelles données sur l'histoire des musaraignes en Corse (Insectivora, Mammalia). Vie et Milieu, 40 (2-3) : 207-212.

Vigne J.-D. & Valladas H., 1996. Small Mammal Fossil Assemblages as Indicators of Environmental Change in Northern Corsica during the Last 2500 Years. Journal of Archaeological Science, 23 : 199-215.

Wilson Don E. & Reeder DeeAnn M. (Eds), 1993. Mammals species of the world. Smithsonian Institut Press, Washington & Londres : 1207 pp.