7110-1 - Végétation des tourbières hautes actives

Liste hiérarchisée et descriptifs des habitats des Cahiers d'habitats

Caractéristiques stationnelles

Communautés caractéristiques des tourbières acidiphiles ombrotrophes ou en voie d’ombrotrophisation. Dans leurs formes typiques, elles se rencontrent essentiellement à l’étage montagnard. Elles se développent également de l’étage planitiaire à collinéen, mais dans leurs formes essentiellement fragmentaires, si les conditions climatiques, principalement la pluviosité et la température, sont favorables. Les climats les plus favorables au développement de cet habitat sont ceux qui allient de fortes précipitations à des températures relativement basses (au moins 1000 mm/an et des températures moyennes de l’ordre de 10 à 12°C pour l’existence des formes typiques). Le type fragmentaire se développe dans des conditions climatiques beaucoup plus variables, sans qu’il n’existe toutefois de vraie saison sèche, incompatible avec leur existence (région méditerranéenne par exemple).
Les formes typiques de cet habitat sont assez peu dépendantes du substratum, ce qui n’est pas le cas des formes fragmentaires alimentées pour partie par des eaux minérotrophiques ayant circulé sur le substratum et qui se développeront préférentiellement sur des roches mères acides. Le sol, le plus souvent holorganique, est constitué d’un dépôt de tourbe, d’épaisseur variable (de quelques décimètres à plusieurs mètres dans les formes typiques), constamment gorgé d’une eau très faiblement minéralisée et à forte acidité (pH compris entre 3,5 et 5). La nappe est subaffleurante et ses variations de niveau sont faibles (20-30 cm). Des formes fragmentaires peuvent néanmoins se développer sur des substrats non tourbeux, voire minéraux comme sur certains étangs landais ou solognots en marge desquels se développent des buttes de Sphaignes sur des substrats sableux très acides et oligotrophes.
L’alimentation hydrique de cet habitat est entièrement ombrotrophique dans ses formes typiques, et principalement ombrotrophique dans ses formes fragmentaires où les zones ombrotrophes (buttes de Sphaignes) côtoient ou se superposent à des zones minérotrophes (bas-marais) ou minéro-ombrotrophes (tourbières de transition).

Variabilité

La variabilité de cet habitat se structure principalement le long d’un gradient biogéographique qui voit s’opposer des communautés atlantiques occidentales et des communautés médioeuropéennes montagnardes. Dans la mesure où il règne au sein des tourbières où se développent ces communautés végétales des conditions de vie « extrêmes », cette variabilité est peu importante si l’on devait la comparer à celle d’autres écosystèmes moins contraignants. Même si le fond floristique demeure dans une large mesure assez constant, le cortège végétal varie suffisamment pour que l’on puisse distinguer ici deux groupes d’habitats.

Communautés de tourbières hautes actives atlantiques
Ces communautés relèvent, au sein des Oxycocco-Sphagnetea, de l’ordre des Erico tetralicis-Sphagnetalia papillosi caractérisant les communautés des hauts-marais atlantiques. On les rencontre sur une large partie du territoire, dans le Bassin parisien, en Normandie, dans le Massif armoricain, le Poitou, la majeure partie du Massif central (Limousin), dans les Landes et jusqu’aux Pyrénées occidentales. La pluviosité y est bien répartie au fil des saisons mais avec une prédominance hivernale et de faibles écarts de température. Ces communautés abritent un certain nombre d’espèces caractéristiques des régions occidentales, comme les Sphaignes Sphagnum papillosum ou Sphagnum subnitens, le Narthécium ossifrage, la Bruyère à quatre angles, le Rhynchospora brun-rougeâtre, le Rossolis intermédiaire, le Scirpe gazonnant (Trichophorum cespitosum subsp. germanicum), l’Ajonc nain (Ulex minor) et l’Ajonc de Le Gall (U. gallii) ou le Piment royal.
Il existe une faible variabilité nord/sud de ces communautés qui demeurent assez constantes. En revanche, on note depuis les régions occidentales atlantiques sous influence océanique (Bretagne, Pays basque), jusqu’aux régions sous influence davantage continentale et montagnarde (Massif central, Pyrénées), un appauvrissement progressif du cortège atlantique en même temps que s’enrichit l’habitat en espèces du cortège boréo-continental.

Communautés de tourbières hautes actives médio- européennes
Regroupées au sein de l’ordre des Sphagnetalia medii, ces communautés médioeuropéennes s’enrichissent d’espèces à tendance boréale et continentale. On y rencontre la Sphaigne de Magellan (Sphagnum magellanicum) et la Sphaigne brune (Sphagnum fuscum), la Canneberge, l’Andromède à feuilles de polium, la Laiche des bourbiers et la Laiche pauciflore, l’Airelle des marais (Vaccinium uliginosum var. uliginosum), la Camarine noire, le Scirpe gazonnant (Trichophorum cespitosum subsp. cespitosum) et le Bouleau nain. Ces communautés ont leur optimum de développement dans le Jura, où le cortège d’espèces médio-européennes se trouve le plus complet. À mesure que l’on s’éloigne de ce noyau central, ce cortège caractéristique s’appauvrit, en raison soit de sa contamination par des espèces atlantiques vers l’ouest, soit par une chute brutale du nombre d’espèces vers les régions sous influence méditerranéenne. En dehors du Jura, on les rencontre principalement dans les Vosges, les Alpes du nord, le nord-est du Massif central et les Pyrénées orientales et centrales. Les températures moyennes y sont basses avec de forts écarts thermiques et des précipitations estivales importantes.
On peut observer une certaine variabilité de ces communautés en fonction de l’altitude : elles se trouvent très peu développées à basse altitude (en dessous de 800 m), avec un appauvrissement très rapide du cortège végétal et le développement de formes fragmentaires. Elles sont également peu développées à haute altitude, où l’on observe là aussi un appauvrissement floristique à partir de 1300 m (1500 m vers la région méditerranéenne), moins rapide que vers les basses altitudes et s’accompagnant généralement d’une régression des Vaccinium au profit des cypéracées (Trichophorum cespitosum notamment).
Il est bien évident qu’un passage progressif s’opère entre ces deux groupes de communautés vicariantes et qu’un mélange d’espèces atlantiques et médioeuropéennes s’observe dans les régions où se superposent les deux influences biogéographiques (bordure orientale du Massif central, nord des Vosges et Ardennes).

Physionomie, structure

Végétation composée, dans ses formes les plus typiques, d’une alternance de buttes constituées principalement de Sphaignes (Cor. 51.11) et éventuellement d’éricacées, et de dépressions (gouilles, chenaux, mares) créant à la surface de la tourbière une mosaïque d’habitats et une microtopographie caractéristiques. Alors que la présence de ces buttes est fondamentale en ce qu’elles constituent l’élément typique de cet habitat de haut-marais, les autres communautés que cet habitat englobe (végétation des dépressions humides, des chenaux, du lagg, des pré-bois tourbeux) peuvent leur être associées (formes typiques), ou non (formes fragmentaires).
Ces buttes ont des dimensions variables (en général quelques décimètres, mais jusqu’à plus d’un mètre de diamètre, et moins d’un mètre de hauteur) et se composent d’espèces dont la nature varie en fonction de la localisation du site (influences climatiques, altitudinales) et de leur position au sein de ces buttes (gradient hydrique, de minéralisation et de pH depuis la base immergée jusqu’au sommet plus sec, oligotrophe et acide : par exemple la succession Sphagnum cuspidatum, S. papillosum, S. fallax, S. angustifolium, S. magellanicum, S. capillifolium, S. fuscum de bas en haut dans un haut-marais médioeuropéen. Si les Sphaignes sont à l’origine même des buttes et participent en permanence à leur croissance, d’autres bryophytes peuvent être présentes comme Aulacomnium palustre, Polytrichum commune ou Polytrichum strictum. Ces communautés bryophytiques s’accompagnent d’un certain nombre d’espèces herbacées ou chaméphytiques caractéristiques, comme la Linaigrette engainante, l’Andromède à feuilles de polium, la Canneberge, la Laiche pauciflore, la Bruyère à quatre angles dans les régions atlantiques, la Callune, les Rossolis (Drosera rotundifolia, Drosera intermedia), le Scirpe gazonnant ou la Camarine.
Entre ces buttes de Sphaignes, le haut-marais typique est parcouru ou parsemé de dépressions s’organisant soit sous la forme de petites cuvettes aquatiques (gouilles) ou seulement humides, soit sous la forme de chenaux ou de rigoles, soit - mais plus rarement sous nos latitudes - sous la forme de mares (Cor. 51.12,
51.13 et 51.14). Ces dépressions sont occupées par des communautés relevant des Scheuchzerio palustris-Caricetea fuscae que l’on peut rencontrer ici tout comme au sein des bas-marais acides ou des tourbières de transition. Elles appartiennent tantôt au Caricion fuscae (végétation des bas-marais acides à Carex nigra, Carex echinata, Carex curta, Eriophorum angustifolium, Carex rostrata, Viola palustris…), tantôt au Caricion lasiocarpae (végétation des tourbières de transition et des tremblants à Carex lasiocarpa, Potentilla palustris, Menyanthes trifoliata, Carex rostrata…), tantôt au Rhynchosporion albae (dépressions humides à Lycopodiella inundata, Rhynchospora alba et R. fusca, Drosera intermedia, ou gouilles à Carex limosa, Scheuchzeria palustris, Drosera longifolia…). Dans leurs formes typiques, les hauts-marais sont bordés d’une ceinture de végétation recueillant les eaux de la tourbière en même temps qu’elles reçoivent des écoulements latéraux enrichis en éléments minéraux. Cette ceinture végétale (Cor. 51.15) - le lagg - est constituée d’espèces relevant également de ces bas-marais et tourbières de transition, auxquelles peuvent s’adjoindre des éléments de mégaphorbiaies ou de prairies hygrophiles.
Dans leur stade terminal, ces communautés de tourbières hautes actives peuvent se voir coloniser par les ligneux à la faveur de l’assèchement du substrat, formant des pré-bois tourbeux de Saules, de Bouleaux, de Pins sylvestres et Pins de montagne, ou d’Épicéa (Cor. 51.16). Certains hauts-marais terminaux voient également le développement important de certaines espèces à fort pouvoir de colonisation, adaptées à un assèchement du milieu et une minéralisation du substrat, conférant à la tourbière une physionomie herbeuse, par exemple lorsque les brosses de Scirpe gazonnant ou de Linaigrette engainante dominent le milieu.
Il est important de rappeler que, si les tourbières hautes actives dans leur forme typique sont susceptibles d’abriter cet ensemble de « sous-habitats » en mosaïque, celui-ci peut se réduire considérablement juqu’à se limiter - dans le cas des formes fragmentaires - aux seuls éléments réellement caractéristiques de l’habitat, à savoir les buttes de Sphaignes.

Confusions possibles

Cet habitat de tourbière haute active est très complexe, car il présente un grand nombre de « sous-habitats », généralement étroitement imbriqués en une mosaïque tout à fait originale. Mis à part la végétation des buttes de Sphaignes - typique - chacun de ces « sous-habitats », qu’il s’agisse de la végétation des dépressions humides, des mares, des chenaux, du lagg ou des pré-bois tourbeux, se trouve décrit sous différents codes dans la classification CORINE, autres que ceux des tourbières hautes actives, induisant d’importants risques de confusion que nous allons tenter de lever.

Avec la végétation des landes :
Notamment des landes hygrophiles et tourbeuses atlantiques (UE 4010 et UE 4020*) et plus rarement des landes submontagnardes à Vaccinium et Calluna (UE 4030 p.p.).
Cette confusion est possible dans la mesure où il existe souvent un continuum à la fois spatial et dynamique entre la végétation des tourbières et la végétation des landes. Lorsque le recouvrement des chaméphytes et nanophanérophytes est important et que la strate muscinale possède peu d’espèces caractéristiques des stades turfigènes, notamment un certain nombre d’espèces de Sphaignes (Sphagnum capillifolium, S. magellanicum, S. papillosum…) qui deviennent très peu recouvrantes alors que les espèces caractéristiques des landes augmentent (Callune, Bruyères, Ajoncs, Airelles, Sphagnum compactum…), lorsque l’activité turfigène devient nulle ou presque inexistante, lorsque l’on observe une minéralisation superficielle de la tourbe, la végétation devra être décrite sous le code des landes.

Avec la végétation des bas-marais acides (Cor. 54.4) :
Souvent en contact étroit avec la végétation des tourbières hautes actives, ces formations minérotrophes s’en distinguent cependant par un cortège d’espèces caractéristiques composé de petites Laiches, comme la Laiche noire (Carex nigra), la Laiche hérisson (Carex echinata) ou la Laiche courte (Carex curta) accompagnée par la Linaigrette à feuilles étroites, la Violette des marais ou le Jonc à fleurs aiguës (Juncus acutiflorus) dans les régions atlantiques. Si les Sphaignes accompagnent souvent ces espèces de bas-marais, la confusion ne doit pas être autorisée avec les communautés de tourbières hautes actives, les espèces étant ici différentes (Sphagnum gr. recurvum, S. subsecundum… avec des mousses du genre Drepanocladus ou Calliergon).

Avec la végétation des tourbières de transition et tremblants (UE 7140) :
Un certain nombre de communautés des tourbières hautes actives, notamment celles que l’on rencontre en bordure des gouilles ou au sein des chenaux très humides, par exemple au niveau du lagg, relevant de l’alliance du Caricion lasiocarpae, pourraient se voir attribuer un autre code. Ces communautés sont en effet très semblables à celles des tourbières de transition (UE 7140), avec un cortège floristique pouvant être identique. Cependant, c’est le contexte qui devra guider le gestionnaire dans l’attribution de tel ou tel code : le code UE 7110* des tourbières hautes actives devra être réservé aux petites communautés se trouvant localisées au sein du système tourbeux de haut-marais (forme typique) lorsque celles-ci se développent au niveau des gouilles ou au voisinage des chenaux, alors que le code UE 7140 sera à réserver aux formations ne relevant pas des tourbières hautes actives (tourbières de transition, tremblants lacustres couvrant de vastes espaces).

Avec la végétation des dépressions sur substrat tourbeux (UE 7150) :
Les communautés du Rhynchosporion peuvent se voir attribuer deux codes différents selon leur mode de genèse et leur position dynamique : d’une part, les communautés régressives sur tour- be décapée naturellement ou artificiellement, que l’on rencontrera aussi bien au sein des landes humides ou tourbeuses qu’au sein des tourbières hautes actives, voire au niveau de sables organiques humides, doivent recevoir le code 7150. En revanche, les communautés pionnières aquatiques ou hydrophiles du Rhynchosporion qui se développent au sein des gouilles comme stade initial de la genèse des buttes de Sphaignes (par exemple les communautés du Caricetum limosae riches en Sphaignes) et ne se rencontrent pas au sein des landes, doivent être intégrées ici.

Avec la végétation des tourbières boisées (Cor. 44.9, UE 91D0) :
Les stades terminaux des tourbières hautes actives peuvent se voir colonisés par les ligneux, formant des boisements sur tourbe. Le code Cor. 51.16 des tourbières hautes actives concerne les pré-bois tourbeux, qui font partie intégrante du complexe de tourbière bombée typique et qui peuvent préfigurer une évolution logique, mais non systématique, de la tourbière vers des formations boisées. Ce code concerne les formations de petits ligneux (quelques décimètres de haut) ayant sur le site une faible densité et un recouvrement peu important (individus dispersés). Les vrais boisements sur tourbe (boulaies, pineraies et pessières sur tourbe) devront se voir attribuer le code UE 91D0*, ou Cor. 44.9 pour les forêts marécageuses tourbeuses de Saules et d’Aulnes.

Avec la végétation des tourbières hautes dégradées (UE 7120) :
Des confusions sont possibles entre les stades terminaux des tourbières hautes actives et la végétation des tourbières hautes dégradées. Dans les deux cas, les espèces caractéristiques de stades actifs de la tourbière ont régressé, voire disparu, au profit d’espèces à fort pouvoir de colonisation, souvent monopolistes. Dans le cas des tourbières hautes dégradées, cette évolution est généralement d’origine anthropique, à la suite le plus souvent d’atteintes portées au fonctionnement hydrique du site, parfois à la suite d’un incendie ; c’est à ces situations que devra être réservé le code UE 7120. On observe généralement sur ces sites un fort développement de la Callune, de la Molinie bleue, parfois de la Linaigrette engainante, avec Polytrichum strictum et parfois de Cladonia spp., qui s’accompagne d’une homogénéisation de la microtopographie et parfois de l’apparition de surfaces de tourbe mise à nue. Ces stades terminaux peuvent éventuellement faire l’objet de travaux de restauration dans la perspective de rétablir des communautés de tourbières actives (cf. fiche des tourbières hautes dégradées UE 7120 pour les techniques).

Dynamique

La végétation des tourbières hautes actives se caractérise en pre- mier lieu par la présence de buttes de Sphaignes, ombrotrophes. C’est l’élément typique de ces milieux que l’on peut considérer comme le stade optimum de la dynamique de la végétation des hauts-marais. Ces buttes dérivent généralement de l’évolution dynamique progressive de stades de végétation antérieurs, aquatiques ou hydrophiles, et évoluent généralement elles- mêmes vers des stades moins hygrophiles selon une dynamique d’assèchement et de minéralisation pouvant conduire, à terme, à ce que cessent les processus d’élaboration et d’accumulation de la tourbe (turfigenèse).
En règle générale, en France, ces buttes de Sphaignes sont issues de l’ombrotrophisation progressive de tourbières minérotrophes (bas-marais acides ou alcalins) ou minéro-ombrotrophes (tour- bières de transition). Des coussins, puis des buttes, de Sphaignes s’y individualisent, ici ou là, s’élevant au-dessus de la nappe minérotrophe et s’affranchissant progressivement de son alimentation. Petit à petit, c’est l’ensemble de la tourbière qui évoluera dans ce sens. Le plus souvent, c’est au sein des bas-marais acides (Caricetalia fuscae à Carex nigra, C. curta, C. echinata, Eriophorum angustifolium, et dans les régions atlantiques Narthecium ossifragum et Juncus acutiflorus) que s’individualisent ces buttes d’ombrotrophisation, ces formations pouvant elles-mêmes dériver de stades aquatiques. On peut également les rencontrer au sein des tourbières de transition (Caricion lasiocarpae à Carex lasiocarpa, Menyanthes trifoliata, Carex rostrata, Potentilla palustris… et Sphaignes aquatiques et hygrophiles), des pelouses tremblantes et radeaux flottants se développant à la surface d’eaux libres de nature variée (de oligo- à mésotrophes, plus ou moins acides), dans lesquelles s’individualisent de manière similaire des buttes de Sphaignes préfigurant l’évolution du système vers une tourbière ombrotrophe. Dans les systèmes mésotrophes, on peut observer une succession d’espèces d’abord neutro-acidoclines (Sphagnum subsecundum, Sphagnum subsecundum subsp. inundatum, Sphagnum angustifolium), puis acidoclines (Sphagnum palustre, Sphagnum papillosum, Sphagnum fallax) et enfin acidophiles (Sphagnum magellanicum, Sphagnum capillifolium subsp. rubellum).
Il arrive également que ces buttes d’ombrotrophisation apparaissent au sein de tourbières neutro-alcalines oligotrophes, notamment au sein de groupements de bas-marais alcalins (Caricion davallianae médioeuropéen et montagnard à Carex davalliana, Schoenus ferrugineus, Primula farinosa, Swertia perennis, Gymnadenia odoratissima… et Hydrocotylo vulgaris-Schoenion nigricantis planitiaire atlantique à Schoenus nigricans, Hydrocotyle vulgaris, Cirsium dissectum, Samolus valerandi, Oenanthe lachenalii, Juncus subnodulosus…). Dans ces systèmes neutro-alcalins, des Sphaignes tolérantes aux pH relativement élevés peuvent apparaître en pionnières d’une dynamique d’acidification du milieu et en préfiguration de son évolution vers une tourbière acidiphile. Il s’agit par exemple de Sphagnum contortum, S. teres, S. squarrosum ou Sphagnum warnstorfii. Ces buttes de Sphaignes peuvent également apparaître dans des formations hélophytiques plus mésotrophes (roselières, cladiaies) où les conditions locales - ombrage, fraîcheur, isolement de la nappe par la litière - peuvent favoriser leur installation.
Les tourbières dans leurs formes typiques voient se juxtaposer ces buttes de Sphaignes avec des dépressions aquatiques (gouilles). Il s’agit d’une juxtaposition dynamique complexe, l’évolution de l’ensemble buttes/gouilles étant régi par des processus encore mal identifiés. En règle générale, c’est le comblement progressif des gouilles (Sphaignes aquatiques comme Sphagnum gr. recurvum, diverses Laiches comme Carex limosa, C. rostrata ou C. lasiocarpa, Scheuchzeria palustris…) qui conduit à la formation progressive des buttes de Sphaignes s’élevant au-dessus de la surface de la tourbière, celles-ci étant susceptibles de connaître par la suite des phénomènes d’« effondrement » pouvant régénérer la formation de nouvelles gouilles. Des phénomènes de cryoturbation ou d’érosion lors de la fonte des neiges ou au cours d’abondantes précipitations, participent également à l’entretien de cette dynamique de rajeunissement du milieu. D’autres actions perturbatrices, comme le piétinement par la faune ou l’incendie superficiel, peuvent entraîner une évolution régressive de la végétation par la mise à nu du sol favorisant l’installation d’espèces pionnières relevant de l’alliance du Rhynchosporion albae (lorsque les conditions stationnelles sont favorables, notamment d’un point de vue hydrique, groupements de cicatrisation à Rhynchospora alba, Rhynchospora fusca, Lycopodiella inundata, Drosera intermedia…).
Dans la plupart des cas, le stade optimal des tourbières hautes actives que constitue le complexe buttes/gouilles n’est pas stable, car l’hydromorphie de surface a tendance à diminuer à mesure que la tourbe se forme et s’accumule. Celle-ci est alors soumise à des phénomènes d’oxydation et de minéralisation progressive. Ces stades optimaux évoluent alors généralement vers des stades minéralisés, selon une dynamique progressive naturelle ou induite par les activités humaines, par exemple lorsque la nappe se trouve abaissée artificiellement (drainage, boisement). Ce phénomène n’est pas systématique et le complexe buttes/gouilles constituera parfois un stade climacique dans certaines tourbières sous climat très pluvieux ou froid, en montagne notamment.
La minéralisation de la tourbe entraîne une modification de la végétation qui se traduit par le développement tantôt de chaméphytes (landes atlantiques des tourbières de plaines à Calluna vulgaris, Erica tetralix, Erica cinerea, Ulex minor, Sphagnum compactum…, landes des tourbières de montagne à Vaccinium uliginosum, Vaccinium myrtillus, Vaccinium vitis-idaea…), tantôt de populations fortement paucispécifiques d’Eriophorum vaginatum et de Trichophorum cespitosum ou de Molinia caerulea pouvant former de grandes étendues au sein des hauts-marais terminaux, tantôt par l’intrusion de ligneux, notamment si l’assèchement est important. La tourbière se voit alors progressivement colonisée par des fourrés ou pré-bois de Bourdaine (Frangula alnus), Saules (Salix acuminata, Salix aurita), Bouleau pubescent (Betula alba), Aulne glutineux (Alnus glutinosa) ou Piment royal dans les tourbières atlantiques, de Pin sylvestre, Pin à crochets (Pinus uncinata var. rotundata), Bouleau des Carpates et Épicéa (Picea abies) dans les tourbières de montagne. Ce boisement n’est absolument pas systématique et des tourbières pourront se maintenir à un stade ouvert sans que ne se développe de végétation ligneuse.

Habitats associés ou en contact

Tourbières hautes dégradées (UE 7120).
Tourbières de couverture (UE 7130*) rarissimes, seulement deux sites pressentis en France.
Tourbières de transition et tremblants (UE 7140).
Végétation à hélophytes moyens ou grands du lagg (cariçaies, phragmitaies, mégaphorbiaies…).
Végétations aquatiques et amphibies, des mares de tourbières (notamment Cor. 22.45).
Bas-marais acides (Cor. 54.4).
Dépressions sur substrats tourbeux (UE 7150).
Moliniaies turficoles (UE 6410).
Jonchaies acidiphiles (Cor. 37.22).
Landes humides et tourbeuses (UE 4010, UE 4020*).
Bas-marais alcalins (UE 7230).
Végétations à Cladium mariscus (UE 7210*).
Tourbières boisées (UE 91D0*).

Répartition géographique

Habitat présent en France sur une grande partie du territoire, mais fortes concentrations dans les régions de moyenne montagne ou à l’étage intermédiaire (montagnard) des hautes montagnes (Vosges, Jura, Alpes du nord, Massif central, Pyrénées), également dans le Massif armoricain, le Bassin parisien et les Ardennes. Un site en Corse (tourbière de Moltifau) a récemment été mis en évidence.

Exemples de sites avec l’habitat dans un bon état de conservation :
Réserve naturelle de la tourbière du Vénec (Finistère).
Réserve naturelle de la tourbière de Mathon (Manche).
Réserve naturelle du Néouvielle (Hautes-Pyrénées).
Tourbière de l’Estanque (Landes).
Tourbière de la Plaine Jacquot (Puy-de-Dôme).
Tourbière de la Barthe (Puy-de-Dôme).
Tourbières de la Margeride (Haute-Loire-Lozère).
Marais de Limagne (Haute-Loire).
Tourbière de Sommant (Haute-Savoie).
Tourbière des Dauges (Haute-Vienne).
Réserve naturelle de Luitel (Isère).
Réserve naturelle du Tanet-Gazon du Faing (Vosges).
Réserve biologique domaniale de la Morte-Femme (Vosges).
Vallée du Drugeon (Doubs, tourbière de Frasne-Bonnevaux par exemple).
Sites du Morvan (Nièvre, Saint-Brisson).
Marais de Cessières-Montbavin (Aisne).
Tourbière de Moltifau (Haute-Corse).

Valeur écologique et biologique

Cet habitat possède une très grande valeur patrimoniale, notam- ment lorsqu’il se trouve dans ses formes typiques au sein des hauts-marais ombrotrophes. Les tourbières hautes actives constituent de véritables reliques postglaciaires qui ne se trouvent cantonnées sous nos latitudes qu’en de rares régions au microclimat très particulier où elles trouvent aujourd’hui leurs derniers refuges. Les conditions de vie dans ces milieux sont très contraignantes et les communautés animales et végétales qui s’y développent sont généralement strictement inféodées à ces milieux (espèces tyrphobiontes). Les tourbières hautes actives constituent ainsi le refuge d’espèces extrêmement rares et/ou menacées à l’échelle de notre territoire ou de l’Europe, boréo-subalpines ou arctico-alpines, et la plupart sont protégées au niveau national ou figurent sur les listes rouges d’espèces menacées en France.
Citons pour la flore la Laiche des bourbiers, la Scheuchzérie des marais, l’Andromède, les Rossolis, le Lycopode inondé ou le Bouleau nain, des champignons rares à l’échelle française tels que Galerina tibicystis et Galerina sphagnicola, Omphalina sphagnicola, Cortinarius sphagneti… Pour la faune, citons parmi les lépidoptères le Solitaire (Colias palaeno), le Nacré de la Canneberge (Boloria aquilonaris), le Fadet des tourbières (Coenonympha tullia) ; parmi les odonates l’Aeschne subarctique (Aeshna subarctica), la Cordulie arctique (Somatochlora arctica) et la Cordulie alpine (Somatochlora alpestris) ou la Leucorrhine douteuse (Leucorrhinia dubia); parmi les araignées les lycosides Pardosa sphagnicola et Pirata uliginosus, la gnaphoside Gnaphosa nigerrima ou la linyphiide Agyneta cauta… En plus de ces invertébrés, les tourbières hautes actives accueillent un certain nombre de vertébrés dont la dépendance vis-à-vis de ces milieux est plus ou moins forte : citons parmi les espèces fréquemment rencontrées la Grenouille rousse (Rana temporaria), le Lézard vivipare (Lacerta vivipara), le Pipit farlouse (Anthus pratensis), le Grand tétras (Tetrao urogallus) ou la Loutre d’Europe (Lutra lutra).

États de conservation

Privilégier les communautés de tourbières hautes actives dans leurs formes typiques, caractérisées par le complexe actif buttes/gouilles, où le cortège d’espèces caractéristiques (cf. liste des espèces « indicatrices ») est riche et diversifié. Privilégier ainsi la juxtaposition spatiale de communautés diversifiées en favorisant à la fois l’hétérogénéité structurale (et notamment verticale) et dynamique (des stades initiaux aquatiques aux landes et boisements terminaux) de la végétation. Que l’habitat se trouve sous sa forme typique ou fragmentaire, privilégier autant que faire se peut les stades actifs en termes de production de tourbe, caractérisés par la présence d’espèces turfigènes (notamment les Sphaignes caractéristiques de cet habitat). Les stades terminaux de la dynamique des tourbières, caractérisés par un assèchement et une minéralisation superficiels de la masse de tourbe, par la régression puis la disparition des espèces turfigènes, peuvent être conservés pour leur intérêt patrimonial en mosaïque avec les stades turfigènes, mais leur développement ne doit pas être généralisé et conduire à la disparition des communautés actives. Il est important de garder en mémoire le fait que cet habitat, notamment ses formes typiques, se compose de sous-habitats, de « compartiments », étroitement imbriqués et que la juxtaposition de ces sous-habitats doit être privilégiée car elle constitue un facteur important de diversité biologique. Privilégier les mosaïques, éviter les approches favorisant la dissociation des éléments fonctionnels de l’habitat.

Tendances et menaces

Cet habitat a connu une forte régression au cours des dernières décennies, notamment dans les sites de plaines les plus touchés, et reste encore aujourd’hui fortement menacé par un certain nombre de pratiques peu compatibles avec son maintien dans un bon état de conservation. Les causes de régression et les menaces concernant cet habitat sont sensiblement différentes selon qu’il se trouve dans sa forme typique ou fragmentaire.
Dans le premier cas, c’est-à-dire celui des hauts-marais ombrotrophes, les principales causes de régression ont été le boisement artificiel (enrésinement) et les extractions de tourbe, anciennement pour la production de combustible et plus récemment pour la production de tourbe horticole. Ces usages se sont généralement accompagnés de travaux préalables de drainage avec un impact néfaste sur l’hydrologie des sites concernés. Des problèmes liés au surpâturage de certains sites (développement de groupements à Nardus stricta et Juncus squarrosus), à la pratique du brûlis dirigé, au creusement de plans d’eau, à l’ennoiement, aux aménagements pour la pratique du ski de fond en montagne… sont également observables. L’abandon ne constitue bien souvent une menace ou une cause de dégradation que dans le cas de tourbières ayant préalablement vu leur fonctionnement hydrique perturbé par des travaux de drainage, la dynamique des systèmes non perturbés ne conduisant pas systématiquement à leur colonisation par les ligneux.
Dans le second cas, l’habitat de tourbière haute active se trouve sous une forme fragmentaire au sein de systèmes tourbeux de nature très variée, bas-marais acide ou alcalin, tourbière de transition et tremblants, cladiaies, roselières… Les menaces pesant sur l’habitat ne sont plus celles pesant sur les seules tourbières hautes actives, mais celles qui touchent l’ensemble des types de tourbières susceptibles d’abriter l’habitat sous sa forme fragmentaire. Elles sont multiples et variées : l’intensification des pratiques agricoles (drainage, mise en culture, eutrophisation, pesticides…), l’enrésinement et la populiculture, le creusement de plans d’eau, l’ennoiement, la mise en décharge, l’abandon des pratiques traditionnelles extensives d’entretien de ces milieux…
Des études montrent enfin que la pollution atmosphérique (azotée) contribue à l’eutrophisation des tourbières qui souffrent également du réchauffement climatique global (modification du bilan hydrique).

Potentialités intrinsèques de production

Les tourbières hautes actives ont jadis été exploitées pour leur gisement de tourbe. Certaines le sont encore actuellement pour la production de tourbe destinée à la fabrication de supports de cultures (terreaux). La végétation des tourbières hautes actives des zones de montagne produit certaines ressources naturelles exploitées par les populations locales, comme les myrtilles ou les airelles. Dans ses formes typiques, cet habitat reste peu productif et difficilement valorisable d’un point de vue économique.

Axes de recherche

Poursuivre et améliorer les inventaires et la caractérisation des milieux tourbeux en France.
Poursuivre les actions de conservation et de gestion de ces milieux fragiles dans le droit fil des actions entreprises dans le cadre du programme Life « Tourbières de France ».
Poursuivre les expérimentations et les suivis scientifiques et techniques des méthodes de gestion des écosystèmes tourbeux.
Mettre en œuvre une stratégie nationale de conservation de ces milieux menacés, traitant notamment des problèmes liés au boisement, au creusement de plans d’eau ou à l’extraction industrielle de tourbe.

Fiche du cahier d'habitats (format pdf)
Bibliographie

 Bensettiti F., Gaudillat V. & Haury J. (coord.), 2002. « Cahiers d’habitats » Natura 2000. Connaissance et gestion des habitats et des espèces d’intérêt communautaire. Tome 3 - Habitats humides. MATE/MAP/MNHN. Éd. La Documentation française, Paris, 457 p. + cédérom. (Source)