IV.3.5. - Biocénose de la roche du large (RL)

Typologie nationale des biocénoses benthiques de Méditerranée (NatHab-Med)

Facteurs abiotiques

Etage : Circalittoral
Nature du substrat : Rocheux
Répartition bathymétrique : De 90 jusqu’à 200 m
Situation : Mer ouverte
Hydrodynamisme : Courants au niveau de la rupture de pente, ou sur des remontées rocheuses isolées.
Salinité : 38
Température : 13°C
Régime trophique : Oligotrophe

Caractéristiques stationnelles

La biocénose de la roche du large (RL) a été observée pour la première fois à l’aide de la soucoupe plongeante « Cousteau » à proximité de la rupture de pente du plateau continental au niveau du canyon de la Cassidaigne (Laborel et al., 1961). Cette biocénose a tout d’abord été attribuée à l’étage bathyal puis au circalittoral (bien que les végétaux en soient absents) pour les deux raisons suivantes :
- Les peuplements des substrats meubles aux mêmes profondeurs sont attribués aux fonds détritiques du large.
- Dans les échantillons étudiés, une nette prédominance des espèces appartenant au circalittoral a été observée.
Les campagnes MedSeaCan et CorSeaCan, réalisées à l’aide de ROV, ont permis d’observer les fonds rocheux au niveau de bancs rocheux et des têtes de canyons de toute la Méditerranée française ainsi que la côte ouest de la Corse. Ces études ont permis de mieux comprendre la répartition et la composition de cette biocénose à la charnière entre circalittoral et bathyal, mais une réelle étude biocénotique permettrait de préciser les connaissances sur cette roche du large.
 
D’après les observations anciennes et récentes (MedSeaCan et CorSeaCan), la biocénose de la roche du large peut se situer au niveau des bancs rocheux du plateau continental entre 90 et 200 m ainsi que sur les roches de la rupture de pente dans les canyons sous-marins (dans leur partie haute) entre 90 et 200 m de profondeur.
 
Le peuplement visible de la biocénose de la roche du large est dominé par les éponges. Ces dernières sont accompagnées principalement par des anthozoaires, des bryozoaires, les hydraires et des brachiopodes. L’hydrodynamisme important au niveau de la rupture de pente va influencer la composition faunistique de cette biocénose (Pérès et Picard, 1964).
 
La biocénose de la roche du large est une zone de transition entre plusieurs étages. Le cortège d’espèces qui la caractérise peut donc contenir des espèces des biocénoses supérieures (comme celle du coralligène) et des espèces des biocénoses inférieures (comme celle des roches bathyales).

Variabilité

La variabilité de cette biocénose repose en grande partie sur l’importance de la pente et sur l’orientation du substrat par rapport à la courantologie. En effet, des différences notables existent dans la composition des peuplements, en particulier des éponges dans le canyon de la Cassidaigne et d’autres localités en Méditerranée nord-occidentale (Pérès, 1967), en fonction de l’orientation du substrat et de l’importance de la sédimentation dans la zone (Pérès et Picard, 1964). Vacelet (1969) a également relevé des différences de peuplement d’éponges en fonction de l’orientation des surfaces des roches. Au niveau des surfaces subhorizontales, les éponges sont abondantes dans des zones où l’épaisseur du sédiment est faible, généralement là où il y a du courant, sur des petits blocs rocheux et sur les rebords des marches. Au niveau des tombants et des petits surplombs, la diversité spécifique est importante ainsi que la surface couverte par les espèces qui recouvrent souvent quasi-entièrement la roche. Pour les espèces qui ont été déterminées, citons par exemple Suberites carnosus var. ramosus, Haliclona magna et Haliclona poecillastroides. Une partie de la variabilité de la composition de cette biocénose repose aussi sur le niveau de contact qu’elle a avec les biocénoses voisines, notamment la partie profonde de la biocénose coralligène et celles de l’étage bathyal supérieur. Ainsi, une variabilité dans la composition spécifique peut être observée. En effet, des intrusions d’espèces du coralligène, comme par exemple Eunicella verrucosa ou des intrusions d’espèces de l’étage bathyal comme Antipathes dichotoma, Leiopathes glaberrima, Poecillastra compressa ou Cidaris cidaris ont été observées durant les campagnes MedSeaCan et CorSeaCan. Cette variabilité peut s’expliquer par le fait que la biocénose des roches du large et celle des roches bathyales (V.3.1.) sont des zones de transitions entre l’étage circalittoral et l’étage bathyal au niveau de la rupture de pente continentale des canyons sous-marins. La limite entre ces deux biocénoses n’est pas vraiment nette ce qui explique ces intrusions d’espèce.

Dynamique

La dynamique de cette biocénose est complexe à déterminer. La première étude a été réalisée par Laborel et al. (1961) avec la soucoupe plongeante. Les études actuelles sont réalisées à l’aide de ROV. La faible quantité et la "qualité" de l’échantillonnage ne permettent pas d’apprécier précisément la dynamique de cette biocénose. Il semble néanmoins que les éponges des replats observées durant les campagnes MedSeaCan et CorSeaCan (Fourt et Goujard, 2012 ; Fourt et al., 2013) avaient une taille moyenne inférieure à celles observées avec la "Soucoupe plongeante" en 1960 (Vacelet J., com. pers.). Un envasement accéléré du substrat est évidemment susceptible de faire évoluer la biocénose.

Espèces caractéristiques

La biocénose de la roche du large est caractérisée par Dendrophyllia cornigera, Eunicella cavolini, Anthias anthias, Corallium rubrum, Poecillastra compressa ainsi que d'autre Porifera en lame, des Haliclona spp. comme Haliclona poecillastroides ou Haliclona magna, Antipathella subpinnata et Echinus melo (Fourt et Goujard, 2012 ; Fourt et al., 2013). La rencontre simultanée de ces espèces fait la caractéristique de cette biocénose.

Espèces associées

Les campagnes MedSeaCan et CorSeaCan ont permis d’observer différentes espèces associées à la biocénose de la roche du large. Ces espèces associées sont Paramuricea clavata, Holothuria sp., Paralcyonium spinulosum, Savalia savaglia, des espèces d’Hydrozoa, le brachiopode Megerlia truncata, l’echiuride Bonellia viridis ou encore des décapodes comme Palinurus elephas (communs dans les petites fissures). Certaines espèces d’éponge peuvent également y être associées comme Latrunculia citharistae, Geodia spp., "Axinella spp." (telles que Cymbaxinella damicornis et Axinella polypoides) ou encore Hexadella spp. (exemple Hexadella cf. pruvoti, Hexadella cf. racovitzai, Hexadella cf. topsenti). Même si un faciès à Viminella flagellum est présent dans l’étage bathyal, cette gorgone peut également être associée à la biocénose de la roche du large (Fourt et Goujard, 2012 ; Fourt et al., 2013). Des polychètes serpulidés tels que Serpula vermicularis ont pu être observés. L’hydraire Lafoea dumosa a fréquemment été rencontré lors de l’exploration du canyon de Cassidaigne avec la "soucoupe plongeante" (Pérès et Picard, 1964).
Les téléostéens Helicolenus dactylopterus, Labrus mixtus, Acantholabrus palloni, Scorpaena elongata, Epinephelus caninus, Lappanella fasciata peuvent être rencontrés au sein de cette biocénose (Harmelin J.-G., com. pers., Fourt et Goujard, 2012, Fourt et al., 2013).

Principaux critères de reconnaissance

Les bancs rocheux du plateau continental et les roches de la rupture de pente dans les canyons sous-marins entre 90 et 200 m de profondeur accueillant le cortège d’espèces caractéristiques Dendrophyllia cornigera, Eunicella cavolini, Anthias anthias, Antipathella supinata, Echinus melo et Poecillastra compressa.

Habitats associés ou en contact

Dans le Golfe du Lion, la biocénose de la roche du large est surtout en contact avec des habitats vaseux comme la biocénose des vases terrigènes côtières (VTC) (IV.1.1.).
De la Provence à la côte d’Azur, elle peut être en contact avec les VTC, mais elle l’est surtout avec la biocénose des fonds détritiques du large (DL) (IV.2.3.) et avec la partie profonde du coralligène (IV.3.1.).
La biocénose des roches bathyales (V.3.1.) est rencontrée en limite inférieure de la biocénose de la roche du large lorsque celle-ci n’est pas entourée de substrats meubles (bancs rocheux).

Confusions possibles

Une confusion est possible avec la biocénose des roches bathyales (V.3.1.) car certaines espèces peuvent avoir une limite bathymétrique fluctuante selon la géographie et la topographie et donc être bien représentées dans les deux biocénoses. Par exemple, les espèces qui suivent ont été observées, durant les campagnes MedSeaCan et CorSeaCan, à des profondeurs inférieures à 90 m et/ou supérieures à 200 m : Poecillastra compressa entre 86 et 432 m, Dendrophyllia cornigera entre 78 et 420 m, Eunicella verrucosa entre 69 et 148 m, Aplysina cavernicola entre 69 et 109 m, Astrospartus mediterraneus entre 54 et 240 m, Antipathes dichotoma entre 106 et 592 m, Leiopathes glaberrima entre 106 et 451 m, Parantipathes larix entre 100 et 407 m (Fourt et Goujard, 2012). La confusion est limitée avec la partie profonde du coralligène. L’absence des derniers végétaux est caractéristique.

Répartition géographique

La biocénose de la roche du large se situe au voisinage de la rupture de pente du plateau continental méditerranéen. Topographiquement, il peut s’agir de bancs rocheux, de tombants verticaux et de petits surplombs mais aussi des têtes de canyons, sur des surfaces subhorizontales et horizontales. On la retrouve donc essentiellement à l’est de Rhône. En Corse, cette biocénose est plus proche des côtes, car le plateau continental est moins étendu, et plus en profondeur car les eaux sont plus limpides permettant aux végétaux de croître plus profond. La biocénose de la roche du large a été au départ étudiée dans la région marseillaise au niveau du canyon de la Cassidaigne et des bancs de l’Esquine et de Blauquières, puis sur toutes les côtes continentales de la France (Laborel et al., 1961 ; Vacelet, 1969 ; Fourt et Goujard, 2012). Elle a été plus récemment identifiée et observée au nord et à l’ouest de la Corse (Fourt et al., 2013 ; Pluquet, 2006).

Structure et fonctions

Les organismes structurant la biocénose servent de substrat et d’abri à de nombreuses autres espèces. Comme elle n’a jamais été étudiée sur le plan fonctionnel, il est difficile d’être catégorique, mais elle est certainement une sorte de relai, de lieu de rencontre, entre l’étage bathyal et le circalittoral.

Intérêt pour la conservation

Cette biocénose abrite de manière permanente ou temporaire des espèces d’intérêt commercial, telles que le sébaste chèvre (Helicolenus dactylopterus), des langoustes (Palinurus elephas et Palinurus mauritanicus) et des bancs profonds de corail rouge (Corallium rubrum) (Fourt et Goujard, 2012). Les antipathaires, comme Antipathella supinata appartenant au cortège d’espèces caractéristiques de cette biocénose, ont une valeur patrimoniale pour le grand public et sont structurellement essentiels, mais ils sont également potentiellement une ressource pour les bijoutiers. Une véritable étude biocénotique reste à entreprendre pour préciser les informations sur cette biocénose.

Menaces potentielles

Le chalutage est potentiellement destructif de cette biocénose lorsqu’elle se trouve en îlot entourée de fonds meubles. Au niveau des falaises, les palangres et filets abandonnés induisent pendant de longues années des dégâts mécaniques aux organismes dressés. L’envasement est également une menace pesant sur la biocénose de la roche du large comme pour les autres biocénoses de l’étage circalittoral (Bellan-Santini et al., 1994). La pollution chimique et biologique des eaux pourrait également affecter la biocénose comme en attestent les nécroses observées parfois sur certains gorgonaires (Fourt et al., 2016).

Auteur(s)

Palomba L., Vacelet J., Fourt M., Chevaldonné P.

Date de rédaction

2016

Bibliographie

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