8130-15 - Éboulis carbonatés subalpins à alpins à Ibéris spatulé et Renoncule à feuilles de parnassie, des Pyrénées

Liste hiérarchisée et descriptifs des habitats des Cahiers d'habitats

Caractéristiques stationnelles

Habitat des étages subalpin et alpin, dont l’optimum est présenté à l’étage alpin.
Il colonise les pierriers formés d’éléments essentiellement carbonatés (calcaires, marno-calcaires, calcschistes, schistes…), de taille réduite (toujours inférieure à 5 cm) ou en plaquettes.
L’habitat est exposé préférentiellement au nord, mais il peut également se rencontrer parfois aux autres orientations.
Les pierriers sont en général peu mobiles : la pente pouvant rarement atteindre 35° (cas d’éboulis de gravité fonctionnels, plus ou moins assistés par l’action de la neige, des isards ou des ovins) est en général plus faible (mobilité plus réduite des éléments), l’habitat pouvant occuper des pierriers d’altération en pente faible ou subhorizontaux.
Le microclimat régnant au sein de l’habitat est rude, très contrasté, en dehors de la période hivernale au cours de laquelle une protection est assurée par le manteau neigeux ; étant donné l’exposition, l’enneigement persiste tardivement au printemps. L’habitat est toutefois le siège de phénomènes de cryoturbation et parfois de gélifluxion.
Des fractions fines (de pH en général neutre à légèrement basique) constituant une matrice située à faible profondeur sous les débris rocheux facilitent la germination et l’enracinement des plantes, notamment des espèces annuelles.

Variabilité

Une variabilité est due à une vicariance géographique le long la chaîne pyrénéenne ; d’est en ouest, la limite altitudinale de l’habitat s’abaisse progressivement et se succèdent :
- l’association à Ibéris spatulé (Iberis spathulata) [Iberidetum spathulatae], avec : Pavot de Lapeyrouse (Papaver alpinum subsp. lapeyrousianum), Renoncule x de Luizet (Ranunculus x luizetii) ; cette association est endémique des Pyrénées orientales où elle colonise les pierriers de schistes et calcschistes de l’étage alpin (par la nature du substrat, cette association apparaît, à la différence des suivantes, légèrement acidophile) ;
- l’association à Ibéris spatulé et Renoncule à feuilles de parnassie sous-espèce hétérocarpe (Ranunculus parnassifolius subsp. heterocarpus) [Iberido spathulatae-Ranunculetum heterocarpae], plus basophile, avec : Véronique nummulaire (Veronica nummularia), Pétrocallis des Pyrénées (Petrocallis pyrenaica) ; cette association est endémique des Pyrénées centro-orientales et centrales, où elle colonise les pierriers calcaires dévonien et crétacé des étages subalpin et alpin ;
- l’association à Ibéris de Bernard (Iberis bernardiana) et Renoncule à feuilles de parnassie sous-espèce de Favarger (Ranunculus parnassifolius subsp. favargeri) [Iberido bernardianae-Ranunculetum favargeri], avec : Pétrocallis des Pyrénées, Biscutelle à feuilles courtes (Biscutella brevifolia) et présence de la Renoncule x de Lazare (Ranunculus x lazarei) ; cette association est endémique des Pyrénées occidentales.

La limite altitudinale de l’habitat s’abaisse progressivement de l’est vers l’ouest de la chaîne.
Deux couples de taxons vicariants, l’Ibéris de Bernard et l’Ibéris spatulé d’une part, et la Renoncule à feuilles de parnassie sous-espèce de Favarger (diploïde) et la sous-espèce hétérocarpe (tétraploïde) d’autre part, distinguent nettement et respectivement l’association des Pyrénées occidentales des deux autres.

Physionomie, structure

Végétation extrêmement ouverte de recouvrement très faible (inférieur à 15 %), sauf dans les stations colonisées par des espèces pelousaires (dynamique naturelle) où le recouvrement peut dépasser 30 %.
Lorsqu’il est pentu, l’habitat se présente souvent sous forme de coulées de débris en guirlandes (combinaison de cryoturbation et gélifluxion).
La flore est dominée par des hémicryptophytes (la majorité des espèces) et des géophytes (comme les Renoncules à feuilles de parnassie), mais présente également quelques thérophytes (comme l’Ibéris de Bernard et l’Ibéris spatulé), ce qui est rare à cette altitude.
Étant donné l’écologie particulière de l’habitat, les espèces se montrent très nettement spécialisées face aux contraintes du milieu (nature, granulométrie, mobilité du substrat, microclimat, phénomènes cryonivaux…). On y rencontre des espèces de pierriers stables longtemps enneigés : Fétuque des glaciers (Festuca glacialis), Pétrocallis des Pyrénées, Pritzelago des Alpes (Pritzelago alpina), Saxifrage à feuilles opposées (Saxifraga oppositifolia)…, des espèces de pierriers plus mobiles : Ibéris de Bernard, Ibéris spatulé, Linaire des Alpes (Linaria alpina), Renoncules à feuilles de Parnassie. Ces espèces lithophiles présentent diverses stratégies leur permettant de résister aux contraintes imposées par les mouvements se produisant au sein des pierriers. L’organisation morphologique et anatomique de leur système végétatif (notamment souterrain) permet à ces espèces lithophiles de suivre et de subir, ou non, le mouvement des pierriers, d’où les diverses stratégies distinguées :
- stratégie migratrice : lithophyte migrateur par allongement (Pavot de Lapeyrouse), lithophytes indépendants [Biscutelle à feuilles courtes, Ibéris (annuels et pérennes), Renoncules à feuilles de parnassie et Renoncules hybrides (bulbeuses), Pensée de Lapeyrouse (Viola diversifolia)], lithophytes migrateurs à système racinaire fasciculé adhérant fortement au substrat (Fétuque des glaciers) ;
- stratégie sédentaire : lithophytes à système souterrain stabilisateur [Sabline pourprée (Arenaria purpurascens), Véronique nummulaire], lithophytes édificateurs à système aérien stabilisateur [Pétrocallis des Pyrénées, Saxifrage à feuilles opposées, Saxifrage faux aïzoon (Saxifraga aizoides)].

Confusions possibles

Les éboulis calcaires à Ancolie des Pyrénées (Aquilegia pyrenaica) et Dioscorée des Pyrénées (Borderea pyrenaica) [Aquilegio pyrenaicae-Bordereetum pyrenaicae ; Code UE : 8130], des Pyrénées centrales.
Les éboulis calcaires à Ancolie hirsutissime (Aquilegia viscosa subsp. hirsutissima) et Xatardie scabre (Xatartia scabra) [Aquilegio hirsutissimae-Xatardietum scabrae ; Code UE : 8130], des Pyrénées orientales.
Les éboulis calcaires fins à Fétuque des glaciers et Fétuque des Pyrénées [Festucetum glaciali-pyrenaicae ; Code UE : 8130].
Les éboulis calcaires à Linaire des Alpes et Minuartie à feuilles de céraiste (Minuartia cerastiifolia) [Linario alpinae-Minuartietum cerastifoliae ; Code UE : 8130].
Les éboulis carbonatés subalpins et alpins à éléments mobiles moyens à grossiers, des Pyrénées, à Crépide naine [Crepidetum pygmaeae ; Code UE : 8130].
Les éboulis calcaires thermophiles [Stipion calamagrostis ; Code UE : 8130], d’écologie différente.

Dynamique

Cet habitat provient de la colonisation de pierriers carbonatés à éléments fins, enrichis en fractions terreuses fines. Il est relativement permanent tant qu’un équilibre s’établit entre les processus géomorphologiques (mobilité, phénomènes cryonivaux…) remaniant le milieu et la colonisation par les espèces végétales lithophiles spécialisées.
Les stations les moins mobiles permettent une colonisation de l’habitat par des espèces (Glumales essentiellement) de pelouses rocailleuses calcaires, comme la Fétuque de Gautier (Festuca gautieri), l’Avoine des montagnes (Helictotrichon sedenense), l’Élyne fausse queue de souris (Elyna myosuroides), espèces sociales entrant en concurrence avec les espèces lithophiles de l’habitat, pouvant à terme permettre l’installation d’un stade de pelouse (Code UE : 6170).

Habitats associés ou en contact

Végétation chasmophytique des pentes rocheuses calcaires [Code UE : 8210].
Pelouses écorchées à Fétuque de Gautier [Festucion scopariae ; Code UE : 6170].
Pelouses calcicoles orophiles méso-hygrophiles [Primulion intricatae ; Code UE : 6170].
Pelouses thermophiles à Fétuque paniculée (Festuca paniculata) [Festucion spadiceae ; Code Corine : 36.331].
Pelouses pyrénéennes siliceuses à Gispet (Festuca eskia) ; [Code UE : 6140].
Pelouses acidophiles à Nard (Nardus stricta) [Nardion strictae ; Code UE : 6230*].
Landines à Dryade à huit pétales (Dryas octopetala) et Saule des Pyrénées (Salix pyrenaica) [Dryado octopetalae-Salicetum pyrenaicae ; Code UE : 6170].
Landes subalpines à Genévrier nain (Juniperus sibirica) [Juniperion nanae ; Code UE : 4060].
Combes à neige calcicoles [Arabidion caerulae ; Code Corine : 36.12].
Pelouses calcaires à Élyne queue de souris (Kobresia myosuroides) [Code UE : 6170].
Pelouses calcaires mésophiles climaciques à Laîche courbe (Carex curvula) [Code Corine : 36.341].

Répartition géographique

Association à Ibéris spatulé : endémique des Pyrénées orientales (Pyrénées-Orientales).
Association à Ibéris spatulé et Renoncule à feuilles de parnassie sous-espèce hétérocarpe : endémique des Pyrénées centrales et centro-orientales (de l’Ariège aux Hautes-Pyrénées).
Association à Ibéris de Bernard et Renoncule à feuilles de parnassie sous-espèce de Favarger : endémique des Pyrénées occidentales : du Pic du Ger au Pic d’Anie (Pyrénées-Atlantiques).

Valeur écologique et biologique

Habitat considéré comme un joyau de la végétation pyrénéenne, rare et couvrant en général des surfaces peu étendues, de grande valeur écologique et biologique par les conditions très particulières du milieu et le nombre d’espèces spécialisées (cf. types biologiques et stratégies dans le paragraphe « Physionomie, structure ») qu’il renferme. De nombreuses espèces, considérées comme relictes tertiaires et dont certaines sont de souche méditerranéenne, s’y sont adaptées et ont évolué isolément. Ainsi, le cortège floristique compte un fort pourcentage d’espèces endémiques : des Pyrénées, comme Ibéris spatulé, Campanule de Jaubert, Fétuque des glaciers, Fétuque des Pyrénées, Androsace cilié, Pensée de Lapeyrouse, Renoncule x de Baudière, Renoncule x de Küpfer, Renoncule x de Villar, des Pyrénées orientales, comme Pavot de Lapeyrouse, Renoncule x de Luizet, des Pyrénées occidentales, comme Ibéris de Bernard, Biscutelle à feuilles courtes, Renoncule x de Lazare, et pyrénéo-cantabrique, comme Renoncule à feuilles de parnassie sous-espèce de Favarger, Véronique nummulaire.
Le contact de l’habitat avec des milieux orophiles très diversifiés permet la parapatrie et l’hybridation exceptionnelle de populations appartenant aux différentes sippes des Renoncules à feuilles de parnassie, Renoncule des Pyrénées (Ranunculus pyrenaeus), Renoncule amplexicaule (Ranunculus amplexicaulis), et constitue ainsi un intéressant laboratoire naturel d’étude des processus biologiques de différenciation génétique et écologique et de spéciation.
Une lacune persiste dans la connaissance de la faune associée à ce type d’habitat (faune du milieu souterrain superficiel notamment).

États de conservation

États à privilégier :
Stade optimal de l’habitat.

Autres états observables :
Stades appauvris et stades en voie de colonisation par des espèces pelousaires.

Tendances et menaces

L’habitat, bien que rare et n’occupant que des surfaces réduites, n’apparaît pas globalement très menacé dans les Pyrénées. Toutefois des menaces de destruction directe (créations de pistes et routes, aménagement et extension de domaines skiables, piétinement et pâturage par les troupeaux, piétinement et bouleversement lors de randonnées, érosion…) et indirecte (dynamique naturelle faisant évoluer l’habitat vers des stades de pelouses, changement climatique global éventuel…) existent.

Axes de recherche

Réaliser l’étude systématique fine de plusieurs taxons de ces habitats, affiner la typologie syntaxonomique des habitats et en préciser la répartition géographique. Réaliser les inventaires de la faune associée à cet habitat.
Il serait intéressant de faire un suivi à long terme de ces habitats afin de connaître leur évolution éventuelle lors d’un changement climatique global.

Fiche du cahier d'habitats (format pdf)
Bibliographie

 Bensettiti F., Herard-Logereau K., Van Es J. & Balmain C. (coord.), 2004. « Cahiers d’habitats » Natura 2000. Connaissance et gestion des habitats et des espèces d’intérêt communautaire. Tome 5 - Habitats rocheux. MEDD/MAAPAR/MNHN. Éd. La Documentation française, Paris, 381 p. + cédérom. (Source)