ZNIEFF 730010298
Landes, bois et zones tourbeuses du Frau de Lavercantière, hauts-vallons des ruisseaux du Degagnazès, de la Malemort et du Rivalès

(n° regional: Z1PZ0426)

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La Bouriane est le prolongement lotois du Périgord noir. Elle présente localement une géologie singulière par la présence d’une couverture détritique argilo-sableuse recouvrant un massif calcaire karstifié. Le climat qui y règne est souvent frais pour la saison ; des gelées estivales y auraient même été recensées... Les vallons de ce site abritent plusieurs cours d’eau, dont le ruisseau de Dégagnazès qui possède une particularité tout à fait remarquable : il disparaît entièrement dans la grotte de Graffiol, un peu plus de 2 km en aval de la zone décrite ici, pour réapparaître dans la vallée du Vert qui appartient au bassin versant du Lot. Le même vallon, environ 1 km à l’aval de la grotte précitée, accueille un autre ruisseau, le ruisseau de Malemort, qui appartient quant à lui au bassin versant de la Dordogne. Deux ruisseaux appartenant à deux bassins versants différents se partagent donc le même vallon !

Du fait de ces caractères géologiques originaux, la végétation du site traduit ces conditions écologiques particulières avec le développement d’espèces acidophiles, en particulier dans les landes (Ulmenion minoris) ou au sein de pelouses siliceuses (Thero-Airion), dans lesquelles on observe des espèces telles que la Bruyère à balais (Erica scoparia), le Chêne tauzin (Quercus pyrenaica), la Petite Amourette (Briza media), le Silène de France (Silene gallica) ou encore la Bruyère vagabonde (Erica vagans), cette dernière étant légalement protégée dans le Lot. La conjonction de sols acides mais aussi de milieux humides sur le plateau ou en relation avec les cours d’eau du site (ruisseaux de la Ville, de Dégagnazès, de Malemort et de Rivalès) permet également la présence de milieux tourbeux ou paratourbeux diversifiés : saussaies marécageuses, tourbières à Laîche noire (Carex nigra), communautés de Rhynchospore blanc (Rhynchospora alba), gazons amphibies dont certains sont dominés par le Jonc des crapauds (Juncus bufonius), tourbières à Ossifrage (Narthecium ossifragum), tourbières à sphaignes (Sphagnum sp.)... Ces formations correspondent notamment au complexe tourbeux du Frau de Lavercantière. Les milieux tourbeux sont particulièrement intéressants d’un point de vue botanique avec de nombreuses espèces végétales remarquables. On retiendra la présence de plusieurs espèces protégées, que ce soit à l’échelon national (Rossolis à feuilles rondes [Drosera rotundifolia], Rossolis intermédiaire [Drosera intermedia]), régional (Millepertuis des marais [Hypericum elodes], Scirpe à tiges nombreuses [Eleocharis multicaulis]) ou départemental (Lobélie brûlante [Lobelia urens]). Ces espèces sont rares à très rares dans le Lot, où on ne les rencontre que sur quelques zones humides de la Bouriane et du Ségala. La Lobélie brûlante n’est d’ailleurs connue que de quelques localités en Bouriane. L‘Ossifrage et le Rhynchospore blanc précités partagent avec les précédentes le caractère de rareté lotoise. Sont aussi présents dans ces zones marécageuses le Mouron délicat (Anagallis tenella), le Carvi verticillé (Carum verticillatum), la Petite Scutellaire (Scutellaria minor), la Laîche puce (Carex pulicaris), rare dans le Lot, la Véronique à écusson (Veronica scutellata) et la Linaigrette à feuilles étroites (Eriophorum angustifolium), elle aussi fort rare. Pour compléter le tableau des plantes remarquables présentes ici, il y a lieu de signaler les très rares Bruyère vagabonde (Erica vagans) et Bruyère ciliée (Erica ciliaris), qui bénéficient d’un statut de protection départementale et qui ont été observées dans le Frau de Lavercantière (qui inclut cette zone), ainsi que l’Osmonde royale (Osmunda regalis), qui croît dans un petit secteur boisé marécageux. Les boisements marécageux présents ici sont phytosociologiquement rattachables à des saulaies à Saule cendré (Salix cinerea), bien qu’ils soient localement dominés par une espèce voisine, le Saule roux (Salix atrocinerea). Plusieurs secteurs de pelouses silicicoles ont été inventoriés. Ils sont généralement composés d’une mosaïque de pelouses à annuelles acidiclines du Thero-Airion, micro-habitat rare dans le Lot, et de pelouses à vivaces acidiclines du Violion caninae. La présence de cet habitat de tonsure à annuelles n’est permise que grâce au pâturage ovin pratiqué ici. Ce type de pelouse à annuelles accueille deux espèces végétales rares au niveau départemental : la Cotonnière de France (Logfia gallica) et l’Hélianthème tacheté (Tuberaria guttata). Les autres communautés herbacées remarquables sont davantage liées à la présence de l’eau. Tous les niveaux hydriques sont représentés, de la prairie de fauche atlantique mésophile (Brachypodio rupestris-Centaureion nemoralis) à celle, longuement inondée, des Eleocharietalia, en passant par la prairie humide subatlantique du Bromion racemosi. Contrairement aux pelouses, ces prairies sont toutes liées à un régime de fauche dominant. Une station de Cirse d’Angleterre (Cirsium dissectum) a été recensée dans une de ces prairies humides. Une autre forme de prairie, sur sols pauvres, appartient à l’Eu-Molinion : il s’agit d’une prairie à Molinie bleue (Molinia caerulea) sur calcaires. Cet ensemble de pelouses et de prairies naturelles est assez rarement observé sur une surface aussi restreinte. Ces communautés végétales vont globalement toutes en se raréfiant dans le département, suite à la déprise agricole qui entraîne souvent fermeture des milieux et intensification des pratiques (retournement pour semis de prairies temporaires).

Outre leur intérêt floristique, les tourbières mais aussi les autres milieux aquatiques du site constituent des habitats d’intérêt pour la faune. En effet, 5 espèces d’amphibiens s’y reproduisent avant d’hiverner dans les nombreux boisements adjacents : l’Alyte accoucheur (Alytes obstetricans), la Rainette méridionale (Hyla meridionalis), la Salamandre tachetée (Salamandra salamandra), la Grenouille agile (Rana dalmatina) et le Triton marbré (Triturus marmoratus). En outre, le site présente une forte diversité entomologique : 6 espèces patrimoniales d’odonates sont recensées avec des espèces liées aux cours d’eau calmes et bien oxygénés, aux mares bien végétalisées et aux milieux stagnants temporaires. Citons en particulier le Leste dryade (Lestes dryas), dont la larve est plus spécialement inféodée aux tourbières et eaux stagnantes riches en végétation. L’Agrion mignon (Coenagrion scitulum) est une demoiselle des eaux stagnantes assez rare dans la région et fragile face à la pollution des eaux. On peut ajouter l’Agrion de Mercure (Coenagrion mercuriale), protégé à l’échelon national, inféodé aux fossés ou aux petits ruisseaux ensoleillés de bonne qualité, avec beaucoup de végétation amphibie pour son développement larvaire ; le discret Agrion nain (Ischnura pumilio), dont la larve préfère les eaux plus calmes que celles de l’Agrion de Mercure ; et le Caloptéryx méditerranéen (Calopteryx haemorrhoidalis haemorrhoidalis), qui semble actuellement en expansion vers le nord du département. Le Sympétrum noir (Sympetrum danae), espèce rare aux niveaux départemental et régional, était également cité de la zone dans l’inventaire des tourbières de Midi-Pyrénées (1988-1998). Mais l’espèce ne semble pas y avoir été observée récemment. On y observe aussi 3 coléoptères rares, inféodés aux tourbières à sphaignes : le carabique Pterostichus diligens, d’Europe septentrionale et centrale, et le staphylin Philonthus nigrita, tous deux vivant dans les sphaignes et étant prédateurs, ainsi que l’hydrophile Laccobius atratus, qui vit dans la boue noire des ruissellements et se nourrit de débris végétaux. Par ailleurs, les prairies de fauche mésophiles (Brachypodio-Centaureion nemoralis) et les prairies humides (Bromion racemosi) abritent 2 papillons patrimoniaux protégés par la loi française : le Cuivré des marais (Lycaena dispar) et le Damier de la succise (Euphydryas aurinia). Les chenilles du Damier de la succise se nourrissent ici sur la Succise des prés (Succisa pratensis). Le Nacré de la filipendule (Brenthis hecate) a également été observé sur cette zone. On peut aussi retrouver ces espèces au sein des prairies à Molinie bleue (Molinia caerulea), où croît par ailleurs l’Orchis des Charentes (Dactylorhiza elata subsp. sesquipedalis), orchidée remarquable liée à ce type de végétation. Le Miroir (Heteropterus morpheus), papillon lié aux zones humides, est très localisé dans le département où il occupe certains secteurs de la Bouriane, du Limargue et du Ségala. Sa chenille se nourrit principalement de feuilles de Molinie bleue (Molinia caerulea). L’Azuré du serpolet présente ici une belle population ; sa plante hôte locale doit être un thym, peut-être le Thym de bergère (Thymus pulegioides), qui croît dans les pelouses du Violion caninae. Sa fourmi hôte, Myrmica sabuleti, doit aussi être localement abondante. Cette zone abrite une lande à « Brande » ou Bruyère à balais (Erica scoparia). Outre le fait qu’il s’agit d’un milieu rare dans le département et qu’elle couvre une étendue assez importante, l’une d’elles abrite l’unique population lotoise de Criquet des ajoncs (Chorthippus binotatus binotatus) connue à ce jour. La Fauvette pitchou y était cantonnée avant l’hiver rigoureux de 1984-1985, qui a provoqué la disparition de l’espèce sur la zone. C’était le seul site de nidification lotois connu à ce jour pour cette petite fauvette. Enfin, il faut noter la nidification sur le site de 2 rapaces : le Busard Saint-Martin (Circus cyaneus) et le Busard cendré (Circus pygargus). Ces deux espèces recherchent des couverts herbacés denses pour nicher, souvent humides pour la première (tourbières, marais...), mais généralement plus secs pour la seconde (landes à brande, prairies, cultures). La faune remarquable liée aux milieux boisés compte le Pic mar, omniprésent en Bouriane, et tout un cortège de coléoptères saproxylophages (qui vivent dans le bois mort) : Ergate forgeron (Ergates faber), dont les larves vivent dans les troncs vermoulus de Pin maritime (Pinus pinaster) ; Prione tanneur (Prionus coriarius) ; Aulonie à antennes rousses (Aulonium ruficorne), visible sur les bûches de Pin maritime ; Allécule morio (Allecula morio), observé sur des branches mortes de chêne ; Allonyx à quatre taches (Allonyx quadrimaculatus), visible lui aussi sur les bûches de Pin maritime et de Pin sylvestre (Pinus sylvestris) ; Taupin du pommier (Ampedus pomorum) et Dissoleucas à rostre neigeux (Dissoleucas niveirostris).

Cette zone est exceptionnelle, car elle englobe plusieurs des rares tourbières de Bouriane, et concentre une somme d’espèces d’intérêt patrimonial sur une surface globalement très restreinte, notamment de nombreuses espèces d’insectes inféodés aux milieux tourbeux. En partie intégrée au réseau départemental des espaces naturels sensibles, cette zone aurait rapidement besoin d’une gestion conservatoire, notamment d’actions de réouverture et probablement aussi de gestion pastorale, pour que soient préservés certains éléments de son patrimoine naturel aujourd’hui menacés de disparition. En effet, le secteur du Frau de Lavercantière souffre de la fermeture des milieux. Les landes ont succédé aux grands secteurs de pâtures pauvres et de prairies à Molinie bleue (Molinia caerulea). Ces mêmes landes, suite à leur très forte densification, commencent à être envahies par les arbres. Les végétations tourbeuses de bordures de ruisseaux dominées par les sphaignes (Sphagnum sp.) sont également considérablement appauvries suite à l’implantation de conifères et autres chênes rouges qui changent les conditions d’ensoleillement et provoquent l’atterrissement des tourbières.

Comments on the delimitation

Le site correspond à un vaste ensemble de milieux ouverts et de boisements, mais aussi de zones humides de grand intérêt écologique, situé entre les villages de Lavercantière, Dégagnazès et Thédirac. Une section des ruisseaux de Pont Barrat et de Malemort est incluse. Les secteurs trop anthropisés (habitations et cultures) sont écartés.