7130 - Tourbières de couverture (* pour les tourbières actives)

Liste hiérarchisée et descriptifs des habitats des Cahiers d'habitats

Caractères généraux

Préambule :
La présence de cet habitat en France est actuellement controversée et incertaine. Les tourbières de couverture n’existeraient sur notre territoire que dans deux sites localisés en Basse-Bretagne, bien que l’appartenance de ces sites aux systèmes de couverture n’y soit pas établie de manière formelle. Ces types de tourbières constituent des éléments de première importance dans des pays tels que la Grande-Bretagne, l’Irlande ou la Norvège où elles couvrent des superficies considérables (par exemple 1 350 000 ha en Grande Bretagne et 900 000 ha en Irlande). Caractéristiques des climats hyper-atlantiques, océaniques, très pluvieux et à forte humidité atmosphérique, l’existence de ces tourbières en France est très aléatoire. Des sites ont été décrits - à tort - comme appartenant à ces systèmes, par exemple dans les Vosges, le Forez ou encore dans le Pays basque.
Il n’est pas possible, dans ces conditions, de conserver le cadre classique des « Cahiers d’habitats » pour décrire les tourbières de couverture dont l’existence en France n’est pas avérée. Nous présenterons les principales caractéristiques de ces milieux tels qu’ils ont été décrits en Grande-Bretagne et en Irlande, ainsi que les données aujourd’hui accessibles sur les deux sites bretons susceptibles d’appartenir à ces systèmes de couverture.


Les tourbières de couverture des îles Britanniques
Caractéristiques :

Les tourbières de couverture sont caractéristiques des régions très humides et pluvieuses des climats hyper-atlantiques, répandues en Europe dans l’ouest de l’Irlande, de la Grande-Bretagne (Écosse principalement) et de la Norvège. Ces formations tourbeuses peuvent constituer de vastes paysages totalement couverts de tourbe, même sur les reliefs, les précipitations étant telles que la formation et l’accumulation de tourbe épousent parfaitement la topographie des sites, formant sur l’ensemble du relief une couverture continue. Leur existence est conditionnée par l’abondance des précipitations et une très forte humidité atmosphérique permanente. Ainsi, elles ne se développent que dans les régions où la pluviosité annuelle excède 1 200 mm et 235 jours de précipitations (dont 160 avec plus de 1 mm de pluie en 24 heures), lorsque le surplus hydrique entre les précipitations et l’évapotranspiration est d’au moins 200 mm durant les six mois compris entre avril et septembre, lorsque la température moyenne en janvier dépasse 4°C et la température annuelle moyenne du mois le plus chaud est inférieure à 15°C, et lorsque les gelées et les chutes de neiges sont assez peu fréquentes.
Dans ces conditions, la formation de tourbe est ombrotrophique (alimentation par les précipitations) et la végétation est typiquement ombrotrophe, même si les tourbières de couverture forment des complexes où se mêlent également des éléments minérotrophes. L’épaisseur du dépôt de tourbe est très variable et souvent dépendante de la topographie de la roche mère sous-jacente. Elle est généralement comprise entre 2 et 5-6 m, elle reste souvent faible lorsque la surface de la roche mère est plane, alors que les dépôts les plus épais se rencontrent lorsque la topographie forme des cuvettes comblées par la tourbe.
La végétation des tourbières de couverture est très semblable à celle des tourbières hautes actives, ces communautés étant toutes deux alimentées en premier lieu par les eaux météoriques. Les principales espèces, constantes, rencontrées sur ces tourbières sont la Callune (Calluna vulgaris), la Bruyère à quatre angles (Erica tetralix), la Linaigrette à feuilles étroites (Eriophorum angustifolium) et la Linaigrette engainante (Eriophorum vaginatum), la Molinie bleue (Molinia caerulea), le Scirpe gazonnant (Trichophorum cespitosum subsp. germanicum), le Narthécium ossifrage (Narthecium ossifragum) et un certain nombre de Sphaignes dont Sphagnum capillifolium, Sphagnum papillosum, Sphagnum tenellum, qu’accompagnent d’autres bryophytes ou lichens comme Pleurozium schreberi, Odontoschisma sphagni ou Cladonia arbuscula.

Variabilité :
Différentes variantes de ces communautés ont été décrites dans les systèmes intacts des îles Britanniques, notamment :
- une variante à Scirpe cespiteux et Linaigrette vaginée de l’extrême nord et ouest des îles Britanniques, à une altitude inférieure à
500 m, caractérisée par l’abondance de la Molinie et du Scirpe cespiteux, la présence permanente du Narthécium et de la Potentille tormentille (Potentilla erecta) qu’accompagnent le Jonc rude (Juncus squarrosus), le Rossolis à feuilles rondes (Drosera rotundifolia), Racomitrium lanuginosum, Rhytidiadelphus loreus et Cladonia uncialis ;
- une variante hyper-océanique relevant de l’association du Pleurozio purpureae-Ericetum tetralicis des tourbières de couvertures atlantiques de bas-niveau de l’ouest de l’Irlande et des îles occidentales de l’Écosse, proche de la précédente mais avec le Choin noirâtre (Schoenus nigricans) comme constante caractéristique, avec le Piment royal (Myrica gale), le Rhynchospora blanc (Rhynchospora alba), le Rossolis à feuilles longues (Drosera longifolia), la Pédiculaire des bois (Pedicularis sylvatica) et le Polygala à feuilles de serpolet (Polygala serpyllifolia), Sphagnum magellanicum, Hypnum jutlandicum, Racomitrium lanuginosum, Pleurozia purpurea et Cladonia uncialis ;
- une variante de la Grande-Bretagne orientale, où la Linaigrette engainante et la Callune prennent de l’importance, accompagnées de Pleurozium schreberi, de la Camarine noire (Empetrum nigrum), de Cladonia arbuscula et de Hypnum jutlandicum ;
- une variante riche en Sphaignes, occupant une position géographique intermédiaire, avec Sphagnum magellanicum en plus des espèces citées précédemment, Pleurozium schreberi, Cladonia arbuscula, Cladonia impexa, la Camarine noire et le Rossolis à feuilles rondes ;
- une variante d’altitude (jusqu’à 1070 m) de l’Écosse centrale et septentrionale caractérisée par la présence d’espèces montagnardes, telles que la Camarine noire, la Ronce des tourbières (Rubus chamaemorus), l’Airelle des marais (Vaccinium uliginosum) et l’Airelle rouge (Vaccinium vitis-idaea), accompagnées dans les tourbières les plus septentrionales par des espèces arctico-alpines comme la Canneberge à petits fruits (Vaccinium microcarpum), le Raisin-d’ours des Alpes (Arctostaphylos alpinus) et le Bouleau nain (Betula nana).

Physionomie, structure :
Associées à ces communautés ombrotrophes relevant des Oxycocco palustris-Sphagnetea magellanici, les tourbières de couverture abritent également des communautés de bas-marais acides et tourbières de transition relevant des Scheuchzerio palustris-Caricetea nigrae que l’on rencontre dans les gouilles et les mares parsemant ces systèmes et formant avec les précédentes une mosaïque caractéristique.
Ainsi, dans leurs formes les plus typiques, ces tourbières de couverture sont parsemées d’une multitude de mares formant d’importantes zones d’eau libre séparées les unes des autres par des systèmes de rides constituées essentiellement de bombements de Sphaignes. Ces mares aux contours très variés peuvent être de grandes dimensions, jusqu’à 10 x 100 m dans le nord de l’Écosse, et sont parfois de forme allongée, étroite et arquée, et agencées en lignes parallèles au pourtour de la tourbière. Moins typiques sont les systèmes où alternent buttes de Sphaignes et gouilles (comme dans les tourbières hautes actives), que l’on rencontre en marge des tourbières précédentes ou dans les secteurs humides des tourbières plus sèches d’altitude. Enfin, de nombreuses tourbières de couverture, par exemple les tourbières atlantiques de bas-niveau d’Irlande occidentale, ne possèdent pas de topographie de surface clairement différenciée.


Les tourbières de couverture en France
En France, les tourbières de couverture sont rarissimes. Il n’en existerait que deux, localisées en Basse-Bretagne au cœur des monts d’Arrée, bien qu’aucune certitude n’existe quant à leur appartenance aux systèmes de couverture. Lors des 10es rencontres annuelles du Groupe d’étude des tourbières (GET), organisées dans les monts d’Arrée, Richard Lindsay (Scottish Natural Heritage), spécialiste de renom des tourbières de couverture, avait pourtant admis la possibilité que ces sites constituent un début de formation de tourbières de couverture, ce qui leur avait alors valu le qualificatif de « babies-blanket bogs ».
Quelques sites localisés dans les Vosges, dans les monts du Forez ou dans le Pays basque ont parfois été décrits dans le passé, à tort, comme appartenant à ces systèmes tourbeux, qui ne se développent que sous climat hyper-atlantique. Il s’agissait vraisemblablement de tourbières soligènes ayant évolué vers un stade ombrotrophe dans lesquelles la présence d’un certain nombre d’espèces communes à celles des tourbières de couverture océaniques a entraîné cette confusion.
Les informations données ici, décrivant les deux tourbières bretonnes susceptibles d’appartenir aux systèmes de couverture, ont été fournies par José Durfort (Fédération centre-Bretagne environnement) actuellement gestionnaire de ces sites.
Toutes deux se trouvent au cœur des monts d’Arrée, l’une sur la commune de Berrien, l’autre sur la commune de Plounéour-Ménez (Finistère). Étant donnée la sensibilité de ces sites et leur originalité, les informations resteront volontairement imprécises quant à leur localisation. Les deux tourbières se trouvent donc au cœur d’un massif cristallin granitique culminant à 390 m, sous un climat océanique hyper-atlantique caractérisé par des précipitations fréquentes et abondantes (environ 210 jours/an et 1450 mm/an) et des contrastes thermiques saisonniers faibles (températures moyennes de 16,1°C pour la période juillet/août, de 5,6°C pour la période janvier/février). Les secteurs pressentis comme étant de couverture y occupent de faibles superficies (entre 1 et 1,5 ha), au sein de complexes tourbeux de plus grande importance spatiale. Ces deux tourbières « de couverture » présentent la particularité de se situer dans une position topographique originale : il s’agit de zones en légère dépression situées à environ 8-10 m en dessous de la ligne de crête, au niveau d’un petit replat.
Ces zones semblent n’être alimentées que par les précipitations (alimentation de type ombrotrophique) ce que devraient confirmer des études actuellement en cours sur l’un des sites dans le cadre du programme national de recherche sur les zones humides (Arlette Laplace-Dolonde, université Lyon II). Elles sont entourées de tourbières de pente et de vallon à alimentation minérotrophique ou minéro-ombrotrophique. Il s’agit de tourbières à Narthécium et Sphaignes relevant de l’habitat UE 7110* (Narthecio ossifragi-Sphagnetum acutifolii), qu’accompagnent des landes humides ou tourbeuses (UE 4020*), des habitats de dépressions sur substrat tourbeux (UE 7150), des landes sèches et mésophiles (UE 4030)…
Ce qui semble caractériser en premier lieu ces « tourbières de couverture » est la présence de bombements de Sphaigne de Magellan (Sphagnum magellanicum), espèce typiquement ombrotrophe et particulièrement rare en Bretagne, absente des autres systèmes tourbeux voisins. Mis à part ces bombements, rien ne semblerait différencier ces zones de couverture des tourbières de pente qui les entourent, si ce n’est une présence en plus faible quantité de Narthécium et la présence plus importante de Linaigrette à feuilles étroites. L’hyper-atlanticité y est marquée, ce que révèle la présence d’espèces comme la Sphaigne de La Pylaie (Sphagnum pylaisii, espèce d’intérêt communautaire, UE 1398) ou l’abondance de Racomitrium lanuginosum dans les landes humides oligotrophes du pourtour.
Voici deux relevés, fournis à titre indicatif, de la végétation des deux sites concernés (données FCBE) :

1. Tourbière dite « de couverture » de Plounéour-Ménez
20/11/2000
Surface du relevé : 25 m2
Pente : quasi nulle
Recouvrement de la végétation : 100 % Hauteur moyenne de la végétation : 35 cm
Molinia caerulea 2
Eriophorum angustifolium 2
Narthecium ossifragum 2
Erica tetralix 1
Calluna vulgaris 1
Juncus squarrosus 1
Potentilla erecta 1
Polygala serpyllifolia 1
Drosera rotundifolia 1
Erica ciliaris + Drosera intermedia + Sphagnum magellanicum 2
Sphagnum rubellum 2
Sphagnum tenellum 1
Sphagnum papillosum 1
Sphagnum cuspidatum 1
Hypnum jutlandicum 1
Odontoschisma sphagni 1
Cladopodiella fluitans 1
Sphagnum denticulatum var. auriculatum 1
Kurzia cf. pauciflora 1
Cladonia spp. du s.g. Cladina + Sphagnum pylaisii + Warnstorfia fluitans + Aulacomnium palustre +
2. Tourbière dite « de couverture » de Berrien
20/11/2000
Surface du relevé : 26 m2
Pente : < 1%
Recouvrement de la végétation : 100 % Hauteur moyenne de la végétation : 20-25 cm
Molinia caerulea 2
Narthecium ossifragum 2
Eriophorum angustifolium 2
Erica tetralix 2
Erica ciliaris 1
Calluna vulgaris 1
Trichophorum cespitosum subsp. germanicum 1
Drosera rotundifolia 1
Rhynchospora alba 1
Polygala serpyllifolia + Juncus squarrosus + Ulex gallii + Sphagnum papillosum 2
Sphagnum denticulatum var. auriculatum 2
Sphagnum magellanicum 2
Sphagnum rubellum 2
Sphagnum tenellum 2
Odontoschisma sphagni 1
Cladopodiella fluitans 1
Kurzia cf. pauciflora 1
Hypnum jutlandicum + Sphagnum pylaisii + Cladonia spp. du s.g. Cladina + Cephalozia cf. bicuspidata + Riccardia chamedryfolia +


Conclusion

Ces seuls relevés ne permettent pas de conclure quant à l’appartenance de ces deux tourbières aux systèmes de couverture qui, si leur existence devait s’avérer, n’en seraient certainement qu’au début de leur formation et dans des formes très atypiques, peut-être vicariantes des tourbières de couverture reconnues en Grande-Bretagne ou en Irlande. Les données sont actuellement fragmentaires et des études complémentaires devront impérativement être réalisées pour caractériser ces milieux, notamment du point de vue de leur alimentation hydrique et de leur dynamique spatiale. En tout état de cause, il n’est pas possible pour le moment de prendre position quant à l’appartenance de ces milieux aux tourbières de couverture.

Bibliographie

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