3260-1 - Rivières (à Renoncules) oligotrophes acides

Liste hiérarchisée et descriptifs des habitats des Cahiers d'habitats

Caractéristiques stationnelles

Il s’agit d’une végétation des eaux courantes acides développée sur des roches mères siliceuses (schistes, grès, granites, gneiss).
L’habitat est développé dans les cours d’eau en zone amont d’ordre (1) 2 à 3 (exceptionnellement 4 en montagne), plutôt courants, permanents (au moins sur granites). On le trouve dans les étages montagnard, collinéen et planitiaire, se raréfiant au-dessus de 500 m d’altitude ; dans les rivières de piémont à fond très mobile, il est rare et très localisé.
Les eaux sont oligotrophes, à pH acide, à richesse variable en nitrates, mais toujours pauvres en orthophosphates.

Variabilité

Les facteurs de variation majeurs sont :

L’éclairement
Dans les milieux éclairés, il y a dominance de phanérogames aquatiques (Renoncules, Callitriche en crochet) et/ou pénétration des hélophytes et amphiphytes des cressonnières (Ache nodiflore, Apium nodiflorum) et des roselières (Baldingéra faux-roseau, Phalaris arundinacea).
Dans les milieux ombragés, les phanérogames sont moins présents (hormis le Myriophylle à fleurs alternes et le Potamot à feuilles de renouée) et les bryophytes et algues rouges sont plus abondants (Scapania undulata, Batrachospermum sp.).

La topographie et la granulométrie
En situation topographique pentue, les phanérogames sont assez rares (zones de replats) et beaucoup de bryophytes se développent quand il y a des substrats grossiers disponibles ; à l’inverse, en situation très peu pentue, les phanérogames éliminent les bryophytes. Les bryophytes et algues rouges sont inféodés aux substrats stables (rochers et blocs, parfois racines des arbres) ; ils sont rares sur fonds sableux (Vosges du nord).

L’importance du cours d’eau
Dans les sources et ruisselets (parfois des tourbières), on trouve des groupements à Potamot à feuille de renouée et Élodès des marais (Hypericum elodes), ainsi que des bryophytes amphibies (Pellia epiphylla, Sphaignes) ou d’eau peu profonde (Scapania undulata).
Dans les ruisseaux, les Renoncules à dimorphisme foliaire apparaissent (Renoncule peltée, Ranunculus peltatus et en pinceau, R. penicillatus), ainsi que des bryophytes plus franchement aquatiques (Fontinelles).

Les régions géographiques et l’altitude
Les communautés atlantiques sont caractérisées par la Renoncule en pinceau, l’Oenanthe safranée (Oenanthe crocata), l’Ache inondée (Apium inundatum).
Les communautés subatlantiques et continentales sont caractérisées par la Renoncule peltée, la forme à feuille courte du Rubanier simple (Sparganium emersum) et la Cardamine amère (Cardamine amara) (Est).
Dans les zones de recouvrement des deux communautés, celle à Renoncule peltée est située plus en amont que celle à Renoncule en pinceau.
La Littorelle uniflore (forme flottante, Littorella uniflora fa. fluitans) forme faciès dans l’habitat en Limousin.
Des communautés montagnardes (peu de données disponibles) correspondraient à une réduction des Renoncules et à une augmentation des bryophytes.

La minéralisation, le pH et de degré de trophie
Dans les systèmes les plus oligotrophes, présence du Potamot à feuille de renouée, des Sphaignes et parfois du Jonc bulbeux (Juncus bulbosus), plus rarement de la Renoncule à pétales entièrement blancs (Ranunculus ololeucos), alors que la Renoncule peltée et la Renoncule en pinceau sont absentes. Dans l’Est, en systèmes acidifiés, s’ajoutent les hépatiques Jungermannia sphaerocarpa et Marsupella emarginata, et, dans l’Ouest, le Scirpe flottant (Eleogiton fluitans) et la Renoncule de Lenormand (Ranunculus omiophyllus).
Dans les systèmes moins oligotrophes, absence de Sphaignes et présence du Potamot et des Renoncules.
Dans les systèmes légèrement enrichis, présence de la Berle dressée (Berula erecta) et du Rubanier simple en forme à feuilles courtes (est de la France).

Physionomie, structure

Ces groupements sont rarement très recouvrants, sauf en fossés, avec des formes de courant des Potamots, Renoncules, Glycéries, Myriophylles, qui forment plutôt des touffes que des herbiers denses. Des différences de végétalisation selon les faciès d’écoulement sont très visibles dans certains milieux.
Quatre strates végétales (au sens de couches végétales) peuvent coexister :
- une strate appliquée constituée de bryophytes de petite taille, et parfois aussi d’algues rouges (Lemanea gr. fluviatile, Batrachospermum spp.) en hiver et au printemps ;
- une strate submergée plus haute, correspondant au Myriophylle à fleurs alternes, au Jonc bulbeux en forme flottante, aux feuilles submergées du Callitriche en crochet, du Potamot à feuilles de renouée, des grandes Renoncules, et aux jeunes organes végétatifs des espèces amphibies ;
- une strate flottante constituée des rosettes de Callitriche et des feuilles flottantes du Potamot et des Renoncules, de la Glycérie flottante et du Rubanier simple ;
- une strate émergée correspondant aux hélophytes (Oenanthe, Ache nodiflore, Baldingéra) et aux formes émergées des espèces amphibies caractéristiques (Rubanier, Glycérie...).

Confusions possibles

Certaines communautés sont peu différenciées et forment des transitions avec :
- des groupements amont et/ou stagnophiles des marais et tourbières, voire des eaux stagnantes :
des groupements stagnophiles caractérisés par la dominance des Callitriches des étangs et/ou à fruits aplatis (Callitriche stagnalis et/ou C. platycarpa) (habitat 3260-6),
localement, dans des fossés profonds, on peut trouver des groupements dominés par le Potamot nageant (Potamogeton natans),
les fossés à Ache nodiflore et Glycérie (Cor. 53.4),
des groupements fontinaux (Cor. 54.1) à Myosotis (Myosotis gr. scorpioides), Montie des fontaines (Montia fontana), Renoncule de Lenormand,
les groupements oligotrophes de fossés dominés par le Jonc bulbeux ou le Scirpe flottant,
les fossés tourbeux, avec le groupement à Élodès des marais et Potamot à feuilles de renouée (Cor. 22.313), qui sera inclus dans le type si l’écoulement y est sensible.
Les critères de distinction par rapport à l’habitat sont l’absence des hydrophytes flottantes caractéristiques (Potamot, Renoncules, Callitriches), ainsi que l’absence de courant sensible (pendant la phase de développement « normal » de la végétation).
- des groupements mésotrophes à eutrophes (habitats 3260-3 et 3260-5).
Les critères de distinction par rapport à l’habitat sont la présence du Callitriche à angles obtus (Callitriche obtusangula), du Potamot des Alpes (Potamogeton alpinus), des Élodées (Elodea canadensis, E. nuttallii) et d'Amblystegium riparium, et surtout l’absence des espèces caractéristiques d’oligotrophie. Il y a toutefois un continuum trophique avec les groupements mésotrophes plutôt développés vers l’aval.

Dynamique

Spontanée :
Normalement, ce sont des groupements à caractère pionnier, assez stables, régulés par le cycle hydrologique.
En raison de la possibilité de piégeage de sédiments et de déplacement (en général très limité) du lit, des formes d’émersion des Renoncules, Callitriches, Potamots, Myriophylles peuvent être observées et une dynamique de colonisation par les hélophytes s’instaure.
Un apport sédimentaire important a deux conséquences : une régression des espèces les plus sensibles (algues rouges, bryophytes) et une exondation des herbiers de phanérogames, qui, si elle est durable (non reprise des sédiments lors des crues), entraîne leur disparition.
Il existe donc des relations dynamiques en fonction des différents facteurs (qualité de l’eau, éclairement, profondeur, vitesse de courant, importance relative du cours d’eau) entre les groupements de ce type d’habitat et les groupements fontinaux ou hélophytiques (plus en amont ou en pied de berge).
L’absence d’entretien physique du milieu et la colonisation ligneuse des berges peuvent se traduire par un envahissement de l’habitat par des hélophytes (Rubaniers, Laiche terminée en bec), la création d’embâcles (Saules, Salix spp.), et la régression, voire la disparition, des hydrophytes.

Liée aux activités humaines :
Entretien physique du milieu : une colonisation plus ou moins rapide par le Potamot à feuilles de renouée peut intervenir après nettoyage et/ou curage. Des proliférations algales traduisent souvent une remise à disposition de phosphore dans le système après curage ou après déboisement des berges (nettoyage).
Les apports de sédiments ainsi que les pompages accélèrent la colonisation du lit par les hélophytes et les plantes de berges (Rubanier dressé, Sparganium erectum, Agrostide stolonifère, Agrostis stolonifera...).
L’eutrophisation provoquée des eaux entraîne un passage aux groupements mésotrophes et la disparition des espèces les plus sensibles, dont le Potamot à feuilles de renouée et les Sphaignes.

Habitats associés ou en contact

Habitats associés :
Rivières à Truites (Cor. 24.12) et ruisseaux p.p. (Cor. 24.11).
Ruisseaux intermittents (Cor. 24.16).

Habitats en contact :
Suintements et sources acidiclines (Cor. 54.11).
Tourbières bombées et autres milieux tourbeux acides (Cor. 51.1 et 52.1, UE 7110*, UE 7120, UE 7130).
Herbiers frangeants des glycériaies et cressonnières (Cor. 53.4) et roselières ou grandes cariçaies : phalaridaies (Cor. 53.16), cariçaies à Laiche terminée en bec (Cor. 53.2141) ou à Laiche paniculée (Carex paniculata) (Cor. 53.216).
Pour les groupements les plus aval et lents, quelques communautés à Lentilles d’eau (Lemna minor) (Cor. 22.411) peuvent exister.
Groupements mésotrophes qui remplacent l'habitat vers l’aval, avec élimination des fontinales et raréfaction des hélophytes (habitat 3260-3).

Répartition géographique

Tous les massifs cristallins (Vosges du nord, Nord Lozère, Massif central, Pyrénées-Atlantiques, Massif armoricain, vallée du Cher, Sologne).

Valeur écologique et biologique

Habitat typique des têtes de bassin versant peu enrichies.
Les espèces phanérogamiques sont assez banales, hormis quelques formes ou taxons (Littorella uniflora fa. fluitans, Juncus bulbosus fa. fluitans, Potamogeton polygonifolius forme rhéophile...), dont certaines ont un caractère atlantique assez marqué (Eleogiton fluitans, Ranunculus omiophyllus).
En revanche, dans ces milieux, des bryophytes peu fréquents sont à signaler : Nardia compressa, Solenostoma spp., Hygrohypnum luridum, H. duriusculum, H. ochraceum, Hyocomium armoricum...
Ce sont des zones préférentielles de reproduction des Truites (Salmo trutta).

États de conservation

États à privilégier :
Trois états sont à privilégier en fonction de l’importance des cours d’eau et de l’ombrage :
- en secteurs amont éclairés : le groupement à Potamot à feuilles de renouée, avec maintien d’un écoulement sensible, avec ou sans les espèces fontinales oligotrophes ;
- en cours d’eau un peu plus importants et courants : le groupement mixte à Potamot et Renoncules ;
- en cours d’eau ombragé : les groupements dominés par Scapania undulata et/ou des Sphaignes.

Autres états observables :
Phases pionnières de colonisation naturelle après des crues importantes, ou de recolonisation en cas d’entretien (curage « doux » de fossés, restauration de l’écoulement après enlèvement d’embâcle), avec un tapis discontinu, et des espèces fontinales annuelles, ainsi que des algues filamenteuses.
En pied de berge, présence des groupements à tendance fontinale à Montie des fontaines ou Renoncule de Lenormand.
Parfois, groupements envahis par la Laiche terminée en bec ou le Rubanier dressé.

Tendances et menaces

Tendances évolutives :
Cet habitat est en très nette régression dans les zones d’agriculture intensive (Massif armoricain), il ne se maintient guère qu’en système prairial, où les fossés et petits ruisseaux sont entretenus et ont un débit suffisant, et en forêt.
L’évolution de l’habitat vers l’aval correspond naturellement à l’apparition de groupements mésotrophes.

Menaces potentielles :
Disparition de l’habitat lors de busages des petits fossés et rus. Disparition du groupement lors de l’implantation des étangs et retenues collinaires sur les têtes de bassin versant ou du déversement des eaux réchauffées ou eutrophisées dans le milieu.
Régression des végétations à tendance fontinale qui sont très menacées, notamment les faciès à Renoncule de Lenormand, à Scirpe flottant et/ou à Jonc bulbeux, surtout lorsque les milieux se ferment et ne sont pas entretenus.
L’eutrophisation, et notamment l’enrichissement en orthophosphates, est un risque majeur de régression de ces communautés, avec une élimination des espèces oligotrophes ; elle accélère le passage aux groupements mésotrophes.
L’acidification ne semble pas avoir d’influence négative sur le Potamot à feuilles de renouée, mais fait régresser la Renoncule peltée et le Myriophylle à fleurs alternes. L’acidification due à l’enrésinement fait régresser la plupart des bryophytes et le lichen Dermatocarpon weberi, tout en favorisant l’hépatique acido-tolérante Chiloscyphus polyanthos.

Potentialités intrinsèques de production

Aucune.

Axes de recherche

Recherches sur l’écologie du Potamot à feuilles de renouée, et notamment sur l’effet des orthophosphates. Il s’agit d’évaluer la résilience de ces communautés en régression au niveau national.
Recherches complémentaires sur la distribution française de cet habitat dans les massifs cristallins et comparaisons écorégionales, notamment en ce qui concerne sa limite altitudinale.
Un suivi de ces communautés, notamment dans les zones fortement intensifiées est nécessaire.
Étude de l’équilibre bryophytes / phanérogames en zones courantes et en altitude.
Analyse hydrologique et sédimentaire détaillée dans ces petits ruisseaux (voire fossés), pour déterminer les modalités d’entretien : faut-il curer (ou enlever les bancs sédimentaires) - Si oui, à quel rythme et sur quelles longueurs -

Fiche du cahier d'habitats (format pdf)
Bibliographie

 Bensettiti F., Gaudillat V. & Haury J. (coord.), 2002. « Cahiers d’habitats » Natura 2000. Connaissance et gestion des habitats et des espèces d’intérêt communautaire. Tome 3 - Habitats humides. MATE/MAP/MNHN. Éd. La Documentation française, Paris, 457 p. + cédérom. (Source)