Liste hiérarchisée et descriptifs des habitats des Cahiers d'habitats
L’habitat se rencontre principalement à l’étage collinéen et, dans une moindre mesure, à l’étage montagnard des domaines atlantique et continental. Ces mégaphorbiaies constituent des cordons en bordure des cours d’eau (des petites rivières aux grands fleuves), des lisières et des clairières de forêts humides. Elles sont très développées en situation héliophile mais peuvent subsister en lisières ombragées après reconstitution forestière.
On les rencontre généralement dans des sites très humides des vallées alluviales présentant un sol engorgé avec une nappe temporaire (pseudogley : horizon gris ponctué de taches rouille dès la surface), sur des substrats alluviaux de nature diverse (sables, limons sableux, limons…). Les sols sont bien pourvus en matière organique, mais relativement pauvres en azote (milieux mésotrophes).
Les stations sont soumises aux crues périodiques du cours d’eau (sans subir d’immersions prolongées), mais ne subissent aucune action anthropique (fertilisation, fauche, pâturage) ; il s’agit donc de prairies naturelles à hautes herbes en relations dynamiques avec les forêts alluviales.
Ces mégaphorbiaies montrent de nombreuses variations en fonction de la taille du cours d’eau et de la nature du substrat alluvial.
Vallées des petites et moyennes rivières :
Sur sols plutôt mésoneutrophiles à acidiclines :
- mégaphorbiaie à Jonc à fleurs aiguës (Juncus acutiflorus) et Reine-des-prés [Junco acutiflori-Filipenduletum ulmariae] des vallées atlantiques ;
- mégaphorbiaie à Scirpe des bois [Scirpetum sylvatici], souvent à proximité de prairies fauchées, dans les domaines continental et atlantique ;
- mégaphorbiaie à Impatiente n’y-touchez-pas (Impatiens noli-tangere) et Scirpe des bois du nord de la France.
Sur sols neutrophiles :
- mégaphorbiaie à Reine-des-prés et Cirse maraîcher (Cirsium oleraceum) [Filipendulo ulmariae-Cirsietum oleracei], commune, sur des sols riches en calcium ;
- mégaphorbiaie à Euphorbe velue (Euphorbia villosa) et Reine-des-prés [Euphorbio villosae-Filipenduletum ulmariae] du Centre-Ouest ;
- mégaphorbiaie à Valériane rampante et Reine-des-prés [Valeriano repentis-Filipenduletum ulmariae] nord-atlantique ;
- mégaphorbiaies à Angélique sauvage et Cirse maraîcher [Angelico sylvestris-Cirsietum oleracei] ou à Géranium des marais (Geranium palustre) [Filipendulo ulmariae- Geranietum palustris] plus continentales ;
- mégaphorbiaie à Épilobe hérissé (Epilobium hirsutum) et Prêle géante (Equisetum telmateia) [Epilobio hirsuti-Equisetetum telmateiae] des suintements sur substrats calcaires ;
- mégaphorbiaie à Aconit napel (Aconitum napellus) et Eupatoire chanvrine [Aconito napelli-Eupatorietum cannabini] en bordure de marais tufeux (Bourgogne) ;
- mégaphorbiaie à Épilobe des marais (Epilobium palustre) et Jonc épars (Juncus effusus) [Epilobio palustris-Juncetum effusi] sur sols riches en azote.
Vallées des grands fleuves :
Loire et basses vallées de ses affluents, Seine, Aube, Marne, Rhône... : mégaphorbiaie à Pigamon jaune (Thalictrum flavum) et Guimauve officinale (Althaea officinalis) [Thalictro flavi-Althaeaetum officinalis].
Saône, Rhin... : mégaphorbiaie à Véronique à longues feuilles (Veronica longifolia) et Euphorbe des marais (Euphorbia palustris) [Veronico longifoliae-Euphorbietum palustris].
Il s’agit de prairies élevées attirant l’attention par la dominance forte d’un petit nombre d’espèces ; les espèces sont caractérisées souvent par leurs feuilles larges, leurs inflorescences vives s’épanouissant à partir de juin et leur pollinisation entomophile. Le feuillage dense n’est pas favorable au développement des « petites » plantes.
Ces formations occupent une surface très variable selon l’histoire du site : linéaire étroit en site forestier, grande étendue spatiale, parfois, après déprise pastorale, dans des vallées anciennement déforestées.
Il ne faut pas confondre ces mégaphorbiaies avec les prairies de fauche voisines (arrhénathéraies, UE 6510) issues de l’utilisation anthropique de l’habitat (fauchage, pâturage). Elles s’en distinguent physionomiquement par les pratiques anthropiques exercées, par une plus grande richesse en espèces, par la dominance des graminées et des fabacées et la rareté des espèces élevées citées ci-avant.
Ces mégaphorbiaies dérivent de la destruction de forêts riveraines et de l’abandon des activités pastorales. Leur état naturel correspond à un linéaire de lisière ou à des taches occupant les trouées forestières et à l’absence d’interventions anthropiques (la fauche ferait régresser certaines espèces typiques de ces milieux).
Par dynamique naturelle, elles peuvent céder la place à des fruticées ou à des saulaies puis à des forêts riveraines (aulnaies-frênaies, aulnaies-frênaies-ormaies, chênaies pédonculées-ormaies…). Certaines des espèces se retrouvent en sous-bois ou au moins au niveau des lisières, la mégaphorbiaie subsiste alors par étroite bande, avec l’essentiel de son cortège végétal. Les mégaphorbiaies peuvent ensuite se reformer à l’occasion de crues perturbatrices détruisant des fragments de ripisylves.
Les mégaphorbiaies concernées n’ont pas subi d’exploitation par l’agriculteur ou le bétail, elles sont ainsi dépourvues d’espèces prairiales courantes qui n’apparaissent que dans les individus d’habitats exploités extensivement. L’exploitation pastorale entraîne le passage à des prairies hygrophiles fauchées ou pâturées (arrhénathéraies à Colchique d’automne, Colchicum autumnale…) où subsistent pendant un certain temps des espèces de mégaphorbiaies. L’abandon de ces prairies entraîne le redéveloppement des espèces de mégaphorbiaies qui étouffent peu à peu les espèces prairiales et les font disparaître.
Les trajectoires dynamiques sont donc variées : cf. schéma du cahier d'habitat.
Végétations aquatiques des cours d’eau (UE 3260).
Saulaies arbustives de lisière (Cor. 44.1).
Forêts riveraines diverses (UE 91E0*).
Chênaies pédonculées-frênaies (UE 9160).
Hêtraies-chênaies à Luzule blanchâtre (Luzula luzuloides) (UE 9110).
Hêtraies-chênaies à Aspérule odorante (Galium odoratum) (UE 9130).
Prairies de fauche (UE 6510) ou pâturées collinéennes (Cor. 38.1).
Ces mégaphorbiaies sont assez répandues sur le territoire, à l’étage collinéen, dans les domaines atlantique et médioeuropéen.
Ces mégaphorbiaies constituent le berceau de certaines espèces prairiales (de prairies de fauche ou pâturées) en tant que milieu primaire. Avant les déforestations anthropiques et le pastoralisme, elles occupaient une place réduite dans les lits majeurs des rivières, se développant lors des perturbations occasionnées par les crues catastrophiques. Elles hébergeaient quelques espèces prairiales qui, lors des actions pastorales (fauche, pâturage, fertilisation), se sont développées considérablement, avec en outre l’arrivée d’autres espèces issues des lisières forestières nitrophiles, des végétations de chablis, etc.
Ces mégaphorbiaies occupent une surface réduite par rapport aux prairies gérées et présentent ainsi un intérêt patrimonial certain. Elles peuvent héberger des espèces rares à l’échelle régionale : Euphorbia villosa, Euphorbia palustris, le Calamagrostide blanchâtre (Calamagrostis canescens), le Géranium des prés (Geranium pratense), Aconitum napellus…
Ces formations constituent également une ressource remarquable pour les insectes (floraisons abondantes), d’où la présence de nombreux phytophages, ce qui entraîne également la présence d’insectivores (Musaraignes, Sorex sp.).
États à privilégier :
Mégaphorbiaies spatiales (occupant de grandes étendues au niveau de zones de déprise pastorale).
Mégaphorbiaies linéaires localisées du fait du passage à des prairies de fauche.
Autres états observables :
Mégaphorbiaies sous Peupliers (Populus spp.) à faible densité. Taches ou liserés de mégaphorbiaies dans les forêts riveraines.
L’habitat est en régression dans les zones d’agriculture intensive en raison du passage de la prairie à la culture ou de l’utilisation de l’espace en prairies pâturées ou fauchées faisant disparaître les espèces de mégaphorbiaies et ne laissant que peu de place à ces formations (étroits liserés de bordure ou d’écotone avec la forêt). De plus en plus souvent, les lits majeurs font l’objet de drainage et les prairies sont transformées en champs avec des cultures diverses.
Une plantation extensive de Peupliers (plants espacés) peut contribuer à faire régresser certaines populations, mais l’habitat peut se maintenir en sous-bois si on n’utilise pas de produits chimiques et si on ne pratique pas de travaux du sol. Par contre, une populiculture intensive entraîne la disparition, en raison de l’ombre développée, de la plupart des espèces de la mégaphorbiaie.
En règle générale, tout aménagement hydraulique, tendant à réduire ou à supprimer les inondations dans le lit majeur des cours d’eau entraîne une régression ou la disparition de ce type d’habitat du fait de la descente de la nappe et de l’absence des inondations.
L’eutrophisation de l’eau (liée à des pollutions diverses) peut conduire au passage à des types de mégaphorbiaies très eutrophes (habitat 6430-4). Cette tendance est observée sur de nombreuses rivières, du fait de multiples rejets ou de cultures opérées en bordure des cours d’eau avec utilisation de divers engrais.
On notera aussi le risque d’envahissement par des pestes végétales (espèces exotiques envahissantes telles que les Renouées asiatiques, Reynoutria spp., le Buddleja, le Solidage du Canada, Solidago canadensis, le Topinambour, Helianthus tuberosus…). Ces espèces dont les populations présentent une forte dynamique (multiplication végétative puissante) finissent par couvrir totalement le sol provoquant la disparition des espèces de la mégaphorbiaie.
Ce groupement prairial initial est de faible valeur agronomique (90% de la surface est occupée par des espèces non fourragères). Certains propriétaires des terrains de vallées inondables, ayant abandonné les activités pastorales peuvent souhaiter réaliser des plantations de Peupliers, les conditions stationnelles étant très favorables à cette spéculation.
Des travaux sont à mener sur la dynamique générale des complexes riverains, sur l’impact de l’azote (fertilisation, eutrophisation) au niveau des cortèges floristiques. Il s’agit également de préciser l’aire de répartition des différentes associations définies. Cet habitat est par ailleurs favorable à certains insectes : les inventaires restent à mener.
Bensettiti F., Gaudillat V. & Haury J. (coord.), 2002. « Cahiers d’habitats » Natura 2000. Connaissance et gestion des habitats et des espèces d’intérêt communautaire. Tome 3 - Habitats humides. MATE/MAP/MNHN. Éd. La Documentation française, Paris, 457 p. + cédérom. (Source)