Liste hiérarchisée et descriptifs des habitats des Cahiers d'habitats
L’habitat correspond aux formations végétales des sources ou des suintements, développées sur matériaux carbonatés mouillés issus de dépôts actifs de calcaires donnant souvent des tufs (dépôts non consistants) ou des travertins (roche calcaire déposée en lits irréguliers offrant de multiples cavités de taille et de répartition irrégulières). Le taux de saturation en carbonates est souvent élevé mais pas toujours producteur de dépôts importants.
Le milieu fontinal générateur peut être lié à une source ou des résurgences d’eau souterraine. Son développement peut prendre des aspects assez divers depuis le suintement sur roche avec un mode diffus par taches jusqu’au réseau de petits cours d’eau en passant par des cascades.
Les stations sont souvent en situation de pentes assez fortes le long de talwegs encaissés ou de parois rocheuses. Ces zones d’émergence sont liées à des fissures dans un substratum globalement carbonaté ou bien d’assises de roches dures non calcaires supportant des couches riches en carbonates parcourues par des eaux intrinsèquement riches en carbonates de calcium ou s’enrichissant à leur contact. Les matériaux édifiés sont souvent assez pauvres en nutriments ce qui limite la vitesse de croissance des végétaux même si une partie de ceux-ci participe à cette édification.
Les conditions climatiques stationnelles, voire microclimatiques, soulignent une forte constance de l’humidité de l’air et des températures estivales modérées et clémentes.
La production de tufs calcaires ou de travertins peut amener à l’édification de cascadelles, bourrelets ripariaux, vasques ou complexe de vasques étagées voire de dômes, cônes ou coulées concrétionnées de taille imposante (dépassant 5 à 10 m de hauteur).
La variabilité de l’habitat est liée à la position altitudinale, au niveau de réaction ionique et au caractère plus ou moins humide des stations et deux ensembles de groupements peuvent être distingués.
Les groupements de basse altitude (inférieure à 1000 m, étages planitiaire à montagnard) à large amplitude ionique comportent plusieurs espèces qui peuvent codominer, mais qui, suivant les cas, seront structurées par des hépatiques à thalle (Conocephalum, Pellia, Preissia, Riccardia), des muscinées (Bryum, Cratoneuron, Brachythecium, Eucladium, Didymodon…), plus rarement par des phanérogames (Carex, Cochlearia) et des ptéridophytes (Equisetum spp.).
Ils comprennent en particulier :
- des communautés pyrénéennes et du Massif central sur substrats basiques suintants [Cochlearion pyrenaicae], avec Cochlearia pyrenaica, Philonotis calcarea, Campylium stellatum var. protensum… ;
- les groupements de sources et de petits cours d’eau, aux eaux neutres à carbonatées, à débit soutenu, physionomiquement dominés par les hépatiques à thalle comme Pellia endiviifolia et Conocephalum conicum [Pellion endiviifoliae] ;
- des communautés plus thermophiles sur sol plus ou moins suintant riche en calcium, souvent sur paroi et abri-sous-roche, à Eucladium verticillatum, Preissia quadrata, Aneura pinguis… [Riccardio pinguis-Eucladion verticillati].
Les groupements de large amplitude altitudinale mais pouvant atteindre les étages subalpin à alpin des sources bien éclairées très oxygénées sténothermes [Cratoneurion commutati]. Les écarts de températures sont faibles, la moyenne annuelle variant de 5° à 8°C (parfois moins à l’étage alpin). Les communautés d’altitude (montagnardes à subalpines) présentent un bilan floristique plus diversifié en plantes vasculaires avec Saxifraga aizoides, Aster bellidiastrum, Arabis soyeri subsp. subcoriacea, Equisetum variegatum, tout en conservant un cortège bryologique soutenu et bien couvrant (60 à 70%) avec en particulier Palustriella decipiens, Palustriella commutata, Hygrohypnum luridum. Ces groupements peuvent parfois descendre assez bas en altitude en se réfugiant alors dans les stations ombragées et fraîches.
La couverture végétale peut être plus ou moins importante en fonction notamment de la vitesse d’écoulement des eaux, de leur dureté et de leur composition. D’une manière générale, elle comporte une ou plusieurs lames de végétation bryophytique surmontées d’une lame herbacée plus ou moins clairsemée. Du fait des faibles variations stationnelles aux plans hygrométrique et thermique, les espèces herbacées sont surtout sténothermes avec un développement de trois familles principales : les saxifragacées, les brassicacées et les cypéracées. Dans de nombreux cas, là où la production tufeuse est importante, les processus d’encroûtement en veine humide sont également importants, des colonies bryophytiques sont conséquentes et limitent la biomasse vivante donc le recouvrement végétal.
Ces communautés de sources riches en calcaire sont souvent de taille très réduite et se trouvent donc insérées dans des complexes d’unités plus ou moins humides et proches de la neutralité. Ceux-ci appartiennent soit à des systèmes de bas-marais neutro-alcalins soit à des réseaux de petits rus au sein de systèmes pastoraux ou forestiers.
Il existe des communautés établies sur tuf ou calcaires légèrement suintants des stations chaudes ou bénéficiant d’un climat stationnel doux qui disposent d’un petit groupe d’espèces différentes comprenant la Capillaire de Montpellier (Adiantum capillus-veneris), la Samole de Valerand (Samolus valerandi) et une petite série de bryophytes épilithiques calcicoles thermoclines xéroclines (Seligeria pusilla, S. trifaria, Lophozia turbinata…) absentes des communautés de sources calcaires ; elles correspondent au code CORINE 62.51 (falaises continentales humides méditerranéennes). La limite entre ces deux ensembles est parfois délicate et nécessite des connaissances approfondies en bryologie. De même, des rochers calcaires présentant des suintements temporaires sont colonisés par des communautés lichéniques noirâtres composées de Collema.
La précipitation du calcaire entraîne une élévation du pH et de la température (réaction exothermique). Les colonies d’algues (diatomées) ou de bactéries (cyanobactéries) entrent dans le processus initial, exploitant leur revêtement muqueux pour fixer le calcaire, et accélèrent la vitesse et l’importance des dépôts. Le genre Lyngbya en particulier se couvre de cristaux qui constituent une croûte dure et compacte. L’implantation des muscinées des genres Cratoneuron et Palustriella peut survenir de manière concomitante ou légèrement retardée bénéficiant alors du voile ou du tapis d’algue conséquent (suivant les espèces) pour se fixer.
Toutefois le phénomène de précipitation n’a pas toujours lieu et, dans ce cas, les eaux de dureté moyenne ou faible peuvent s’écouler sur des rochers ou matériaux consolidés non tufeux mais suffisants pour permettre le développement de colonies bryophytiques fixées à la roche et dans des courants souvent plus marqués que dans les systèmes édifiés. Dans ce cas, on verra plutôt l’expression de communautés dominées par les grosses hépatiques à thalle (Pellia endiviifolia, Conocephalum conicum…) à rhizoïdes puissantes fortement fixées sur le substrat et résistant bien au courant (rhéophiles). Si les suintements sont réguliers mais de plus faible débit, en situation ombragée à très ombragée, sur des parois en dévers, s’expriment des communautés plus sciaphiles et hygrothermoclines dominées par de petites hépatiques à thalle et une pottiacée (Eucladium verticillatum).
Le débit, la température et le taux de saturation en carbonates des eaux d’alimentation peuvent varier dans le temps rendant plus aléatoires les processus dynamiques et modifier considérablement la physionomie et la composition floristique des communautés.
Lorsque les sources se tarissent, l’assèchement progressif conduit, suivant le contexte immédiat, vers le développement, sur pentes fortes ou surplombs, des systèmes herbacés calcicoles (pelouse à Seslérie bleue, Sesleria caerulea) ou bien, sur pente faible, bas de pente, pied de parois ou d’édifice tufeux, en contexte sylvatique, à des colonisations rapides par les végétaux ligneux appartenant aux forêts rivulaires (saulaies, saulaies-aulnaies), voire même aux frênaies-aulnaies (Equiseto telmateiae-Fraxinetum).
La pérennité de ces communautés est largement conditionnée par le débit et les caractéristiques physico-chimiques des eaux d’alimentation. En situation constante, le complexe peut se maintenir longtemps mais évolue en fonction de la vitesse des dépôts tufeux. Une très forte édification tufeuse (comme celles des reculées du Jura) peut se trouver inactivée localement par les modifications des écoulements qu’elle entraîne. Dans ce cas, la colonisation par des communautés herbacées voire ligneuses des tufs secs intervient assez vite, ceux-ci peuvent en outre être soumis à l’érosion (acidification de surface, démantèlement par les gelées…). Ceci fournit alors un matériau calcaire meuble rapidement envahi par les phanérogames calcicoles. La baisse, voire l’arrêt des débits, conduit donc à la disparition des communautés ou à leur forte régression au profit de systèmes herbacés calcicoles ou neutrophiles moins spécialisés.
Plusieurs groupements affines dominés par des Prêles (Equisetum telmateia, Equisetum sylvaticum…) se rencontrent en contact avec ces unités tufeuses formant de petites communautés secondaires assurant le lien avec les marais neutro-alcalins. Formant souvent des faciès, leur position phytosociologique reste floue, mais leur développement est conditionné par la présence de sources calcaires.
Du fait de leur développement spatial souvent de faible étendue et en mosaïque, les habitats associés ou de contacts sont nombreux.
Bas-marais neutro-alcalins : cladiaies (Cladietum marisci, UE 7210*).
Tourbières basses alcalines (UE 7230).
Gazons riverains arctico-alpins du Caricion incurvae (= Caricion bicolori-atrofuscae) (UE 7240*).
Pelouses calcicoles des Festuco valesiacae-Brometea erecti (UE 6210).
Falaises calcaires médioeuropéennes à fougères du Cystopteridion fragilis (Cor. 62.152).
Falaises continentales humides méditerranéennes (formations rupicoles hygrothermophiles) des Adiantetea capilli-veneris (Cor. 62.51).
Sources : groupements des eaux acidiclines à neutres pauvres en bases de l’Epilobio nutantis-Montion fontanae (Cor. 54.11).
Prairies à Molinie bleue (Molinia caerulea) sur calcaire et argile (Molinion caeruleae) (UE 6410).
Éboulis médioeuropéens calcaires des étages collinéen à montagnard (UE 8160*).
Éboulis calcaires et de schistes calcaires des étages montagnard à alpin (UE 8120).
Éboulis ouest-méditerranéens et éboulis thermophiles : éboulis calcaires à fougères du Gymnocarpietum robertiani (Cor. 61.3123).
Pelouses calcaires alpines et subalpines : pelouses fraîches à hygroclines montagnardes du Caricion ferrugineae (UE 6170).
Forêts de ravin du Tilio platyphylli-Acerion pseudoplatani (UE 9180*). Hêtraies calcicoles du Cephalanthero rubrae-Fagion sylvaticae (UE 9150).
Forêts alluviales résiduelles, frênaies-aulnaies rivulaires (Populetalia albae, Alnion incanae) (UE 91E0*).
Mégaphorbiaies hygrophiles (UE 6430).
Végétation des rivières et des petits cours d’eau (UE 3260).
La répartition de l’habitat correspond essentiellement aux zones sédimentaires sur substrats calcaires ou métamorphiques libérant des carbonates (schistes lustrés). On l’observe donc dans l’ensemble des systèmes montagnards et alpins des Pyrénées, des Alpes et du Jura, ainsi que sur les côtes de Bourgogne et du sud de la Lorraine et, de manière beaucoup plus localisée, dans le sud-est en secteur méditerranéen. Hors de ces centres plus ou moins importants, les localités sont extrêmement dispersées (Causses, Massif central, Touraine…) et rares, essentiellement présentes dans le Bassin parisien à la faveur d’écoulements très ponctuels issus d’assises crétacées avec des cas exceptionnels en bordure du littoral (Pays de Caux, Nord-Pas-de-Calais). Dans le secteur planitaire, les stations sont très isolées et présentent une flore appauvrie.
Exemples de sites avec l’habitat dans un bon état de conservation :
Tufière de Rolampont (Haute-Marne).
Forêt de ravin à la source tufeuse de l’Ignon (Côte-d’Or).
Reculée de Baume-Les-Messieurs (Jura).
Tufières du Vercors (Drôme).
Cet habitat complexe abrite de nombreuses espèces très spécialisées conditionnées par la permanence d’une humidité élevée, voire une veine liquide courante, en contexte carbonaté, que l’on ne retrouve pas ailleurs. Même si globalement sa répartition couvre de nombreuses régions françaises et tout particulièrement l’Est, le Sud, ainsi que la Corse, la petitesse des surfaces sur lesquelles il se développe et les constructions géologiques auxquelles il peut participer font de lui un milieu particulièrement fragile. En basse altitude ces communautés accueillent des espèces sténoèces qui leur sont inféodées de manière stricte (ex. : Amblystegium tenax).
Compte tenu de la diversité des situations rencontrées, ces communautés peuvent s’exprimer avec un ensemble floristique plus ou moins complet mais le cortège spécifique de base reste assez modeste (entre 10 et 15 espèces maximum). Généralement, on observe de fins contacts entre diverses communautés affines à proximité des sources, suintements ou chutes d’eau. Elles y forment un petit complexe en fonction de l’éloignement vis-à-vis de la zone d’émergence des eaux, des dépôts formés et de la vitesse du courant voire des espaces éclaboussés. Ceci constitue autant d’états différents de ce même habitat complexe. Ces communautés peuvent s’étendre sur des pentes ou parois à la faveur d’écoulements d’eau plus ou moins dure par petites taches de faible surface sur des centaines de mètres linéaires. Elles se développent parfois par intermittence en fonction de l’alimentation en eau et dans ce cas le cortège est réduit aux espèces les plus tolérantes (Cratoneuron, Palustriella, Eucladium…).
Dans un secteur donné il importe de bien circonscrire l’ensemble des groupements élémentaires pour évaluer les différentes communautés rencontrées et leur mode d’assemblage afin d’assurer le maintien d’un panel le plus complet présent sur le site. La recherche du réseau d’écoulement de surface (ruissellement) ou les sources permet de délimiter la zone d’expression potentielle de ces groupements. La divagation de certains suintements peut conduire au tarissement de petites sources ou chutes ou à la création d’autres. Pour les systèmes à forte édification tufeuse bien visibles et faciles à circonscrire, il s’agit de prendre en compte le complexe tufeux dans sa globalité depuis la source d’émergence jusqu’au cours d’eau qui lui succède en aval, ce dernier pouvant ici et là former des vasques à microretenues concrétionnées.
Tendances évolutives :
Dans l’état actuel des connaissances il est très difficile de dégager des tendances évolutives globales de ces formations à l’échelle métropolitaine. Leur inventaire étant à la fois extrêmement partiel et non descriptif, aucun bilan de leur éventuelle situation régressive permettant un diagnostic fonctionnel ne peut être établi, sauf très localement pour des sites très connus.
Menaces potentielles :
La réduction artificielle des débits liée à des détournements de sources ou l’étanchéification de parois sont à l’origine de la disparition de cet habitat. Un changement dans la composition des eaux (eutrophisation) allié à une élévation de température entraîne des développements d’algues filamenteuses qui recouvrent alors les communautés bryophytiques et les font dépérir (effets phytotoxiques algaux). Ces communautés intrinsèquement fragiles peuvent être aussi l’objet de dégradations directes du fait d’une forte fréquentation humaine de leurs abords immédiats. Parfois situés dans des zones touristiques, les grands édifices (tufières) subissent des altérations dues aux piétinements, aux escalades, aux déprédations par prélèvements de matériaux tufeux. Certaines routes et voies de desserte situées à l’amont hydraulique ou bien coupant les dépôts peuvent nuire à leur fonctionnement. Toutes ces pressions cumulées mettent en péril ces structures fragiles.
Néant.
En France ces groupements sont très mal connus à la fois parce qu’ils présentent un fort contingent bryophytique et parce qu’ils n’ont pas vraiment attiré l’attention des botanistes et des phytosociologues.
Cet habitat composé de plusieurs unités élémentaires devrait faire l’objet de recherches approfondies à la fois sur leur répartition, les divers aspects de leur expression et de leur développement, les facteurs écologiques qui en régissent le fonctionnement et la richesse patrimoniale qui s’y rattache (flore très spécialisée souvent rare). Compte tenu de la méconnaissance de ces unités en France, un effort tout particulier doit être entrepris pour décrire dans les principaux sites les diverses communautés apparentées à cet habitat qui présentent de multiples expressions afin de dégager les différentes associations s’y rapportant.
Bensettiti F., Gaudillat V. & Haury J. (coord.), 2002. « Cahiers d’habitats » Natura 2000. Connaissance et gestion des habitats et des espèces d’intérêt communautaire. Tome 3 - Habitats humides. MATE/MAP/MNHN. Éd. La Documentation française, Paris, 457 p. + cédérom. (Source)