V.3.1. - Biocénose des roches bathyales

Typologie nationale des biocénoses benthiques de Méditerranée (NatHab-Med)

Facteurs abiotiques

Etage : Bathyal
Nature du substrat : Roche
Répartition bathymétrique : Au-delà de la rupture de pente du plateau, entre 200 et 2 500 m de profondeur
Situation : Mer ouverte, large
Hydrodynamisme : Faible, localement plus important dans les zones de renforcement hydrodynamique
Salinité : 38
Température : 13 °C
Lumière : Absente
Régime trophique : Oligotrophe

Caractéristiques stationnelles

La biocénose des roches bathyales est constituée de roches sous forme de blocs, de ‘marches d’escalier’ (Laborel et al., 1961 ; Vaissière et Fredj, 1964) ou de falaises qui s’étendent du rebord du plateau continental (~200 m jusqu’au début de la plaine abyssale (2 000 à 2 500 m). Une homothermie autour de 13 °C est observée à partir de 300 m ainsi qu’une absence de lumière. Ces roches sont recouvertes d’une faune s’appauvrissant avec la profondeur. Le type de substrat, son inclinaison et la quantité de vase sédimentée (en lien avec la courantologie) vont influencer les espèces installées sur les roches bathyales.
Les études réalisées dans les années 1960 (Pérès et Picard, 1958 ; Laborel et al., 1961 ; Reyss, 1964 ; Vaissière et Carpine, 1964 ; Vaissière et Fredj, 1964 ; Reyss et Soyer, 1965 ; Vacelet, 1969) au niveau des fonds rocheux profonds ont permis de réaliser une première expertise de cette biocénose. La biocénose des roches bathyales a donc été définie à partir de ces observations ponctuelles réalisées dans des zones bien spécifiques comme les canyons de Cassidaigne et Lacaze-Duthiers. Les campagnes MedSeaCan et CorSeaCan, visant à l’étude des têtes de canyons de Méditerranée française, ont permis d’avoir une vision plus large de cette biocénose grâce à un effort d’observation plus important. En effet, ces campagnes ont étudié les têtes de canyons de toutes la Méditerranée française et non quelques sites spécifiques (Fourt et Goujard, 2012 ; Fourt et al., 2013). La définition de cette biocénose était à l’origine limitée aux « coraux blancs ». Dans l’acceptation actuelle, ces coraux profonds ne constituent qu’un « facies » d’une biocénose recouvrant des aspects plus diversifiés.

Variabilité

Les raisons de la variabilité de cette biocénose sont mal connues et sans doute en grande partie liées à des facteurs stochastiques, en particulier le recrutement. Mais elle repose sans doute beaucoup sur des facteurs géomorphologiques / topographiques et hydrologiques. La composition spécifique semble différer selon que la biocénose se trouve au niveau d’un canyon ou non, selon la pente, selon la bathymétrie et selon la courantologie de la zone (downwelling, upwelling, importance du courant).

Dynamique

Un certaine dynamique saisonnière peut exister, notamment par l’intermédiaire des transferts verticaux et horizontaux de particules. Certaines conditions météorologiques peuvent aussi mettre en route les phénomènes d’upwelling et de downwelling qui vont fortement influencer les organismes fixés et mobiles.

Espèces caractéristiques

La biocénose des roches bathyales est caractérisée par un cortège d’espèces constitué de Munida spp., Helicolenus dactylopterus, Gryphus vitreus, Dendrophyllia cornigera, Cidaris cidaris, Madrepora oculata, Desmophyllum pertusum, Desmophyllum dianthus, Tretodictyum  n. sp., Spondylus gussonii, Leiopathes glaberrima, Parantipathes larix, Antipathes dichotoma, Acanthogorgia hirsuta, Callogorgia verticillata, Viminella flagellum, Stylocordyla pellita, Farrea n. sp., Poecillastra compressa, Sympagella delauzei. Les Porifera encroûtantes sont nettement plus abondantes que les Porifera en lame, qui quant à elles dominent la biocénose de la roche du large (Vaissière et Fredj, 1964 ; Fourt et Goujard, 2012 ; Fourt et al., 2013).

Espèces associées

Dans le cortège d’espèces caractéristiques de la biocénose des roches bathyales, on observe souvent la prédominance d’une ou plusieurs espèces, du fait de conditions environnementales particulières ou d’un recrutement local efficace. Des « faciès » monospécifiques ou non peuvent alors ainsi se constituer. Les autres espèces caractéristiques de la biocénose apparaissant alors comme espèces associées du faciès de l’espèce prédominante (voir les faciès des roches bathyales).
Le contingent d’espèces observables au niveau des roches bathyales a été principalement défini par leur nombre d’occurrence élevé lors des campagnes MedSeaCan et CorSeaCan.
Haliclona magna, avec sa répartition bathymétrique assez large, peut être associée à la biocénose des roches bathyales, sous forme d’intrusions depuis la biocénose de la roche du large.
Plusieurs espèces peuvent être rencontrées en association avec le cortège d’espèces caractéristiques comme des Porifera non identifiées, Palinurus mauritanicus et des éponges encroûtantes comme Hamacantha falcula.

Principaux critères de reconnaissance

Des fonds rocheux de la rupture de pente (200 m) jusqu’à 2 500 m de profondeur accueillant le cortège d’espèces caractéristiques.

Habitats associés ou en contact

Biocénose de la roche du large (RL) (IV.3.5.)
Biocénose des vases bathyales (V.1.1.)
Faciès des vases sableuses à Thenea muricata (V.1.1.a.)
Faciès des vases fluides à Brissopsis lyrifera (V.1.1.b.)
Faciès à Leptometra phalangium (V.1.1.f.)
Biocénose des sables détritiques bathyaux à Gryphus vitreus (SDB) (V.2.1.)
Faciès à Viminella flagellum (V.3.1.a.)
Faciès à Callogorgia verticillata (V.3.1.b.)
Faciès à Acanthogorgia hirsuta (V.3.1.c.)
"Faciès" des coraux profonds (V.3.1.d.)
"Faciès" des grandes éponges (V.3.1.e.)
"Faciès" à antipathaires et/ou gorgonaires (V.3.1.f.)

Confusions possibles

Une confusion est possible avec la biocénose de la roche du large (IV.3.5.) car certaines espèces peuvent avoir une limite bathymétrique fluctuante selon la géographie et la topographie et donc être bien représentées dans les deux biocénoses. Par exemple, les espèces qui suivent ont régulièrement été observées, durant les campagnes MedSeaCan et CorSeaCan, à des profondeurs inférieures à 200 m : Poecillastra compressa entre 86 et 432 m, Dendrophyllia cornigera entre 78 et 420 m, Terebratulina retusa entre 102 et 456 m et Gryphus vitreus entre 125 et 567 m. D’autres espèces, associées plutôt à la biocénose de la roche du large, ont parfois été rencontrées à des profondeurs supérieures à 200 m comme Eunicella cavolini entre 56 et 330 m ou Paramuricea clavata entre 34 et 215 m (Fourt et Goujard, 2012).

Répartition géographique

Cette biocénose est présente au-delà du rebord du plateau continental, dès que des substrats rocheux émergent suffisamment de la vase.

Structure et fonctions

Cette biocénose est constituée principalement d’espèces longévives et érigées. Ces dernières créent un habitat en 3 dimensions favorable à l’installation d’autres espèces.

Intérêt pour la conservation

La Méditerranée est une mer particulière ayant subi de nombreux épisodes d’extinction / recolonisation de faunes au cours des cycles glaciaires. Les épisodes froids ont ainsi permis à de nombreuses espèces d’affinités boréales, d’eaux froides, d’entrer ou de persister dans la Méditerranée. C’est le cas, par exemple, pour les coraux profonds. Ces espèces, aujourd’hui en limite de thermotolérance, sont ainsi des reliques du passé. Leurs populations sont peu résilientes dû fait de leur isolement bathymétrique et géographique avec l’Atlantique. Une conservation particulière de ces zones profondes garantirait le maintien de ces espèces.

Menaces potentielles

Les espèces présentes dans cette biocénose ont des cycles de vie longs et des capacités de recrutement et de dispersion inconnues. Le temps de résilience des populations pourrait atteindre de l’ordre de 25 ans pour certaines espèces (La Rivière et al., 2016). La profondeur importante implique une grande stabilité de cette biocénose. Ainsi, la vitesse de recolonisation du substrat après une perturbation est très lente. La biocénose des roches bathyales est soumise à différentes menaces :
- Un changement de substrat, notamment un envasement, engendrerait une perte totale des caractéristiques de l’habitat. L’hydrodynamisme, faible dans les zones profondes, ne permettrait pas l’élimination des dépôts sédimentaires.
- Une augmentation de la charge en particules présentes dans l’eau, pourrait être néfaste pour la plupart des organismes de cette biocénose habitués à une faible charge particulaire.
- Les lignes et engins de pêche perdus et le chalutage profond sont des menaces avérées pour les organismes fixés présents dans cette biocénose.
- L’acidification et le réchauffement de la Méditerranée profonde est susceptible d’impacter les coraux profonds et de nombreuses autres espèces.

Tendance évolutive

Connaissances inexistantes par manque d’études de cette biocénose.

Auteur(s)

Palomba L., Chevaldonné P.

Date de rédaction

2016

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