III.1.1. - Biocénose euryhaline et eurytherme

Typologie nationale des biocénoses benthiques de Méditerranée (NatHab-Med)

Facteurs abiotiques

Etage : Infralittoral
Nature du substrat : Vase, sable vaseux et sable
Répartition bathymétrique : 0 à quelques mètres
Situation : Milieu plus ou moins fermé, généralement séparé de la mer ouverte mais en communication temporaire avec celle-ci
Hydrodynamisme : Faible à moyen
Salinité : Variant de l'eau saumâtre à faible salinité à l'hypersalinité
Température : Variable
Lumière : Variable
Régime trophique : Eutrophe

Caractéristiques stationnelles

Habitat présent au niveau des étangs littoraux salés mais aussi dans certaines zones marines estuariennes (cf. risque de confusion avec la biocénose des sables vaseux et vases des lagunes et estuaires (SVLE) (II.1.1.)), où l'eau est irrégulièrement dessalée et la température variable. Ces fluctuations se produisent dans des intervalles de temps allant de la journée à l'année. L'évolution de ces paramètres se poursuit également à plus long terme.
Les organismes vivant dans cet habitat sont donc soumis à de fortes variations de salinité et de température d'où la présence d'espèces euryhalines et eurythermes.
Le sédiment est généralement de type vaseux ou sablo-vaseux.

Variabilité

Le terme de lagune recouvre des situations très diverses liées à leur origine géomorphologique et à la variabilité des apports d’eau salée et d’eau douce. Certaines lagunes sont naturelles, occupent des dépressions littorales, alimentées périodiquement par la mer, les autres sont des anciens marais aménagés par l’homme, ceci depuis fort longtemps (marais salants, réservoirs à poissons euryhalins, bassins d’aquaculture...). Face à l’hétérogénéité des conditions physicochimiques, il existe une grande variabilité des ensembles faunistiques et floristiques, caractérisés par une faible richesse spécifique et des populations denses d’espèces dominantes, se renouvelant rapidement, utilisés par les maillons supérieurs de l’écosystème mais pouvant également contribuer à l’accumulation de matières organiques dans le sédiment.
Certains auteurs ont proposé d’expliquer l’organisation de ces peuplements par le degré de communication avec la mer (notion de confinement).
La variabilité de l'habitat se manifeste par un cycle annuel des populations très marqué et par une série de faciès dont les plus importants sont :
- l'association à Ruppia spiralis (Syn. Ruppia cirrhosa) et/ou Ruppia maritima avec ou sans Zostera spp., parfois Cymodocea nodosa, lorsque l'étang présente une grande surface et lorsque la salinité est stable et voisine de celle de l'eau de mer du fait d’échanges hydrodynamiques importants avec celle ci ;
- l'association à Ruppia spiralis (Syn. Ruppia cirrhosa) et/ou Ruppia maritima, lorsque les surfaces d'eau sont relativement faibles et les écarts des conditions de milieu plus accentués ;
- l’association à Stuckenia pectinata, lorsque la salinité est faible et stable notamment en raison d’apports d’eau douce dominants ;
- les associations à macroalgues libres (de composition très variable suivant les conditions) ;
- le faciès à Ficopomatus (= Mercierella) enigmaticus (polychète sédentaire), susceptible de constituer de véritables récifs dans certains étangs littoraux chauds. Cette espèce introduite sur les côtes françaises peut connaître des développements temporaires extrêmement importants (colonisations de plusieurs hectares), puis disparaître.

Dynamique

Dans tous les cas, les peuplements résidents ne peuvent rassembler qu’un faible nombre d’espèces fortement dominantes numériquement et pondéralement. Ce sont des espèces capables de supporter de brutales variations des conditions environnementales parmi lesquelles la salinité n’est qu’un exemple. Les intrusions brutales d’eau salée, les assèchements estivaux créent des perturbations périodiques provoquant parfois la disparition des peuplements. Dans ce cas, la recolonisation sera toujours très rapide. En été, lorsqu'il y a un fort déficit de vent et donc de brassage des eaux, on peut assister dans certaines zones enrichies à la prolifération d'algues vertes filamenteuses ou foliacées (comme Cladophora spp. ou Ulva spp.). La dégradation de la matière organique ainsi produite s'accompagne d'un important développement de bactéries et de phénomènes d'anoxie (malaïgue), provoquant de fortes mortalités chez toutes les espèces benthiques et pélagiques présentes dans ces zones.

Espèces caractéristiques

Phanérogames marines : Ruppia spiralis (Syn. Ruppia cirrhosa), R. maritima, Stuckenia pectinata, Zostera marina, Z. noltei, Cymodocea nodosa ;
Annélides polychètes : Hediste diversicolor, Alitta succinea ;
Mollusques bivalves : Cerastoderma glaucum, Abra segmentum, Scrobicularia plana, Loripes orbiculatus, Gastrana fragilis, Tapes spp., Ostrea edulis ; gastéropodes : Rissoa spp., Tritia reticulata, Tritia neritea ;
Crustacés amphipodes : Gammarus locusta, Microdeutopus sp., isopodes : Lekanesphaera hookeri, Cyathura carinata, Idotea chelipes, Crustacé décapode : Carcinus aestuarii.

Principaux critères de reconnaissance

Etendues de sables fins, sables vaseux et vases dans des zones littorales, relativement fermées jusqu'à quelques mètres de profondeur.

Habitats associés ou en contact

Contact avec la biocénose des sables vaseux et vases des lagunes et estuaires (SVLE) (II.1.1.) et la biocénose des sables vaseux superficiels de mode calme (SVMC) (III.2.3.) au débouché des lagunes dans la mer ou les estuaires.

Confusions possibles

La biocénose euryhaline et eurytherme (III.1.1.) peut être confondue avec la biocénose des sables vaseux superficiels de mode calme (SVMC) (III.2.3.) et avec la biocénose des sables vaseux et vases des lagunes et estuaires (SVLE) (II.1.1.).
Dans le premier cas, l'habitat est soumis à des conditions de salinité plus stables, les risques de confusion sont limités à de très rares cas : entrée de lagune et cours d’eau se jetant dans une baie peu profonde.
Dans le second cas, la répartition du peuplement en taches est liée à la coexistence de deux masses d’eau constamment renouvelées ; dans la biocénose euryhaline et eurytherme, au contraire, le peuplement s’organise selon un gradient de confinement qui traduit une décroissance de l’influence marine.

Répartition géographique

Habitat présent au niveau des étangs saumâtres (étang de Berre, étang de Thau, étangs du Roussillon, étangs palavasiens, étangs corses...).

Structure et fonctions

La structuration de l’habitat est fortement dépendante du contexte géomorphologique qui a présidé à sa formation et qui se traduit généralement par un isolement progressif du à l’édification d’une barrière sédimentaire le séparant de la mer. Ce contexte explique la nature des sédiments. Celle-ci préside notamment au développement du peuplement benthique (phanérogame, annélides, bivalves…) et répond à deux organisations superposées ; l’une longitudinale liée notamment aux apports des tributaires ; l’autre concentrique liée à la bathymétrie. Certains peuplements (herbiers, faciès à Ficopomatus enigmaticus, voire gisements coquilliers à Cerastoderma glaucum…) contribuent également à la structure de cet habitat.
Les fonctions assurées par cette biocénose relèvent de celles attribuées généralement aux zones humides ;
- Vis-à-vis de la biodiversité : reproduction (maturation sexuelle des poissons littoraux et amphihalins), alimentation (oiseaux, poissons), nourricerie des larves et juvéniles (poissons, coquillages)…
- Vis à vis des crues ou des intrusions marines (régulation des inondations, stabilisation des côtes) et de l’épuration des eaux…
- Vis-à-vis du développement économique ; pêche, conchyliculture, loisirs nautiques…  L’organisation et le fonctionnement de cette biocénose conduisent cependant à des situations très diversifiées (cf. § « Variabilité »). Les fonctions assurées dépendent étroitement du fonctionnement hydrodynamique du site considéré. Les possibilités d’exploitation des ressources (pêche, aquaculture, activités balnéaires…) seront en particulier fortement dépendantes de ce fonctionnement et notamment du degré de communication avec la mer (confinement).

Intérêt pour la conservation

Ces milieux ont un rôle nourricier important vis-à-vis des poissons et des oiseaux.
Fréquentés de manière saisonnière par les muges, le loup, la daurade, ils assurent la maturation sexuelle des adultes et l’alimentation des alevins et juvéniles. L’anguille (migrateur amphihalin) y est abondante. Quelques espèces dites sédentaires (Atherine, Syngnathe…) parmi lesquelles l’espèce, Aphanius fasciatus, y effectuent leur cycle complet.
En ce qui concerne les oiseaux, les laridés, les canards et les limicoles s’y nourrissent (algues, phanérogames, épibiontes associés…), certains se reproduisent sur les berges ou les habitats voisins. Ces plans d’eau sont aussi utilisés comme étapes lors de la migration.
La haute productivité de cet habitat favorise l'épanouissement d'espèces commercialisables et de ce fait largement pêchées (mollusques et poissons). Ils font ainsi l’objet d’une exploitation traditionnelle par des pêcheurs professionnels aux petits métiers (verveux, capétchades, bordigues). Les milieux les plus profonds s'avèrent très favorables à la conchyliculture : l'étang de Thau figure parmi les sites français possédant le meilleur taux de croissance pour les huîtres. Certains secteurs sont également exploités pour la chasse, la pêche amateur, la mariculture et le tourisme.

Menaces potentielles

Au XXème siècle, le remblaiement des plans d’eau dans la cadre de la « mise en valeur » touristique du littoral a entraîné la disparition de certains étangs et à la régression de cet habitat. L’aménagement des berges (infrastructures routières, accroissement de l’urbanisation, création de bases de loisir pour les sports nautiques…) a également contribué à sa dégradation.
Enrichies par des effluents d’origine urbaine ou agricole, les lagunes, milieux naturellement eutrophes, souffrent d’une recrudescence des crises dystrophiques. Celles-ci résultent généralement du développement de macrophytes (algues vertes) mais peuvent également concerner les premiers maillons de la chaîne pélagique (efflorescences toxiques). L'anoxie qui en résulte entraîne alors la mortalité du benthos et des jeunes poissons, base de la nutrition des prédateurs (poissons, oiseaux).
Les apports de détritus et de polluants (agricoles, urbains et industriels) en provenance du bassin versant peuvent s’accumuler dans ces milieux en raison du mauvais renouvellement des eaux et de la forte sédimentation qui favorise la concentration des polluants associés aux éléments organiques. La situation peut être aggravée dans les secteurs où le renouvellement de l'eau est le plus réduit ainsi que par un non-entretien des graus qui accentue le confinement des masses d’eau.
L’accroissement de la pression anthropique sur ces milieux est à l’origine de conflits d'usage (agricole, industriel, touristique, aquacole), apportant chacun leurs nuisances propres qui toutes peuvent contribuer au déséquilibre du milieu et à la destruction de l'habitat.
Dans ces zones sensibles, l’accumulation de matière organique (fèces, aliments non consommés) induite par l'intensification de la mariculture entraîne un risque accru d'eutrophisation et de dystrophie.
Dans ces milieux confinés, la mariculture est à l’origine de l'introduction volontaire ou accidentelle d'espèces exotiques (espèces exploitées, épiphytes, parasites…). Leur prolifération peut modifier l’habitat, faire baisser la biodiversité par occupation des niches écologiques, limiter le développement des espèces autochtones.

Tendance évolutive

La protection juridique dont bénéficient les zones humides limite désormais le risque de comblement ou de disparition de ces plans d’eau, sans pour autant le supprimer.
Les étangs méditerranéens restent soumis à la pollution en provenance du bassin versant et à la forte occurrence des crises dystrophiques. On observe cependant une tendance actuelle à la régression de l'eutrophisation dans eaux, grâce à une meilleure épuration des effluents urbains.
L’élévation du niveau marin consécutif du changement climatique aura des répercussions sur les milieux abritant cet habitat. Dans les sites soumis à un fonctionnement naturel (cordon littoral non fixé, tributaires non canalisés…) il est possible que l’on assiste à des modifications de superficie, voire à des déplacements des milieux. Dans les secteurs très aménagés et endigués la situation peut conduire à une modification importante des milieux (« marinisation », disparition -). Le caractère opportuniste de la plupart des espèces (eurythermes, euryhalines) caractérisant cet habitat lui confère cependant une forte résilience face aux évolutions susceptibles d’intervenir dans ce cadre.

Auteur(s)

Frisoni G.-F.

Date de rédaction

2016

Bibliographie

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 Michez, N., Fourt, M., Aish, A., Bellan, G., Bellan-Santini, D., Chevaldonné, P., Fabri, M.-C., Goujard, A., Harmelin, J.-G., Labrune, C., Pergent, G., Sartoretto, S., Vacelet, J. et Verlaque, M. 2014. Typologie des biocénoses benthiques de Méditerranée Version 2. Service du patrimoine naturel, Muséum national d'Histoire naturelle, Paris. SPN 2014 - 33: 26 pp. (Source)

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