ZNIEFF 220005008
MÉANDRES ET COURS DE LA SOMME ENTRE CLÉRY-SUR-SOMME ET BRAY-SUR-SOMME

(n° régional : 80VDS116)

Commentaires généraux

DESCRIPTION

Ce tronçon appartient à la grande vallée tourbeuse alcaline de la Somme, unique en France, formant une entité écologique à part entière. Cette zone de méandres de la haute vallée de la Somme constitue un formidable corridor fluviatile, parsemé de nombreux étangs tourbeux, favorable aux flux migratoires de multiples espèces végétales et animales.

A l’aval de Péronne, la Somme change brusquement de direction pour adopter une orientation globalement est-ouest. La portion de vallée, limitée par l’étang de Cléry-sur-Somme à l’amont et par Bray-sur-Somme à l’aval, est caractérisée par un encaissement puissant du cours du fleuve dans sa vallée et par une succession de méandres très marqués. Cette géomorphologie est héritée de la fin de la période glaciaire, à une époque où l’action conjuguée des eaux et des alternances gel/dégel donnait au cours d'eau un pouvoir de creusement, sans commune mesure avec ce que l’on observe aujourd’hui.

Ce secteur représente la partie aval de la région des étangs de la Haute-Somme. Les milieux et les paysages ont été fortement influencés par l’homme depuis l’époque romaine, période à partir de laquelle la construction de chaussées-barrages s’est développée. Ces digues, qui permettaient de franchir la vallée, retenaient également les eaux en amont. La ZNIEFF étudiée comprend sept de ces biefs, surtout construits à l’époque médiévale. C’est grâce à ces retenues que les milieux aquatiques et amphibies ont acquis un tel développement.

Ce tronçon est touché par le vieillissement quasi-généralisé du fond de vallée, conduisant à la fermeture des milieux par boisement et par envasement. Le paysage, qui était autrefois façonné par l’extraction de la tourbe, à des fins de combustible domestique, et par la récolte des roseaux, est aujourd’hui constitué de tremblants, de roselières et de forêts alluviales (bois tourbeux à saules, aulnes et bouleaux).

Cette dynamique entraîne localement un processus d’acidification de la tourbe basique et forme un complexe d’habitats acidoclines à acidophiles original.

Le tronçon, de Cléry-sur-Somme à Bray-sur-Somme, présente une succession d’unités assez bien individualisées :

- l’étang de Cléry-sur-Somme ou "Etang de Haut" et les marais développés à sa périphérie, qui offrent une vaste surface en eau, couverte à l’amont par des roselières inondables ;

- la partie Cléry-Feuillères, où la vallée est très étroite, avec des étangs et des îlots de roselières en cours d’acidification ;

- la partie des marais de Hem-Monacu et de Curlu (« la Grenouillère »), où les roselières couvrent des surfaces importantes avec, également, un développement des aulnaies tourbeuses acides ;

- l’étang de Curlu, limité par la chaussée de Fargny, surtout voué à la pêche ;

- les marais de Vaux, de Frise et d’Eclusier, qui représentent le secteur le plus ouvert de ce tronçon (avec tout de même des aulnaies-bétulaies tourbeuses près de Curlu) et qui est caractérisé par un réseau dense de petits chenaux au sein de roselières de plus en plus réduites ;

- les marais du méandre de Suzanne, compris entre la chaussée d’Eclusier et celle de Cappy, très riches en aulnaies tourbeuses (souvent acidifiées) mais présentant des surfaces de roselières et de cariçaies très restreintes, avec, de surcroît, un fort développement des HLL (Habitations Légères de Loisirs) près de Cappy ;

- l’étang de la Tourbière, à Cappy et la Neuville-les-Bray, dernier grand étang de ce secteur, présentant des marges très étroites.

Les milieux aquatiques et amphibies de ce secteur sont très diversifiés. On notera la présence dans les étangs et les fossés :

- des voiles de Lentilles d’eau (du Lemno trisulcae-Spirodeletum polyrhizae) ;

- des herbiers aquatiques du Myriophyllo verticillati-Nupharetum luteae ;

- des herbiers du Potamo berchtoldii-Najadetum marinae ;

- des groupements submergés à Cératophylle (Ceratophyllum demersum) ;

- des herbiers nageants de l’Hottonietum palustris, de l’Hippuridetum vulgaris et de l’Hydrocharietum morsus-ranae ;

- des herbiers des rivières lentes eutrophes à Potamot pectiné (Potamogeton pectinatus) ;

- des herbiers flottants du Sparganietum minimi ;

- des herbiers des vasques tourbeuses du Potametum colorati,

Les ceintures hélophytiques comprennent :

- les roselières tourbeuses du Thelypterido palustris-Phragmitetum ;

- les roselières atterries du Solano dulcamarae-Phragmitetum ;

- les petites roselières des eaux courantes du Glycerio-Sparganion ;

- les cariçaies rivulaires du Caricetum elatae, du Caricetum ripario-acutiformis et du Caricetum paniculatae ;

- les cariçaies continentales du Cicuto virosae-Caricetum pseudocyperi ;

- la végétation des dépressions peu profondes du Rorippo amphibiae-Oenanthetum aquaticae ;

- le gazon subcontinental de l’Eleocharietum acicularis ;

- la végétation pionnière des rives exondées du Cyperetum flavescenti-fusci.

Sur les rives encore ouvertes se trouvent des végétations prairiales résiduelles :

- les bas-marais tourbeux alcalins de l’Hydrocotylo vulgaris-Juncetum subnodulosi ;

- les mégaphorbiaies tourbeuses du Thalictro flavi-Filipendulion ulmariae, dans les zones de déprises.

Les boisements spontanés présents dépendent :

- du Ribo nigri-Alnetum glutinosae, dans les parties tourbeuses ;

- du Dryopterido cristatae-Betuletum pubescentis, sur les tourbes acidifiées ;

- de l’Alno-Salicetum cinereae, pour ce qui est des fourrés rivulaires ;

- de l’Irido pseudacori-Alnetum, sur les sols minéraux et eutrophes ;

- des aulnaies humides à grandes laîches.

Les secteurs interstitiels des zones humides sont fréquemment plantés de peupliers (souvent sur d’anciennes prairies).

INTERET DES MILIEUX

La diversité des milieux aquatiques, souvent développés sur des sols tourbeux, confère au site un intérêt à la fois national et international. De nombreux milieux présents sont reconnus d’intérêt communautaire et inscrits à la directive "Habitats" de l'Union Européenne :

- des voiles de Lentilles d’eau (Lemno-Spirodelletum polyrhizae) ;

- des herbiers aquatiques du Myriophyllo verticillati-Nupharetum luteae, présents uniquement, en Picardie, dans les grandes vallées tourbeuses ;

- des herbiers du Potamo berchtoldii-Najadetum marinae ;

- des herbiers nageants de l’Hottonietum palustris ;

- des herbiers nageants de l’Hippuridetum vulgaris ;

- des herbiers nageants de l’Hydrocharietum morsus-ranae ;

- des herbiers des vasques tourbeuses du Potametum colorati ;

- la végétation pionnière de rives exondées du Cyperetum flavescenti-fusci ;

- le gazon subcontinental de l’Eleocharietum acicularis, très fragmentaire et menacé sur le site ;

- les roselières tourbeuses du Thelypterido palustris-Phragmitetum, dont les localités picardes sont les mieux conservées de France ;

- les bas-marais tourbeux alcalins de l’Hydrocotylo vulgaris-Juncetum subnodulosi ;

- les mégaphorbiaies tourbeuses du Thalictro flavi-Filipendulion ulmariae ;

- les bétulaies à Sphaignes du Dryopterido cristatae-Betuletum pubescentis, très rares et en danger de disparition en Picardie.

D’autres milieux ont un intérêt régional à national :

- les herbiers flottants du Sparganietum minimi, en grande régression en Picardie ;

- les herbiers du Potametum colorati, très menacés par la fermeture des vasques tourbeuses au sein des roselières ;

- les cariçaies rivulaires du Caricetum elatae, du Caricetum ripario-acutiformis et du Caricetum paniculatae ;

- les cariçaies continentales du Cicuto virosae-Caricetum pseudocyperi, unité subcontinentale rarissime qui est en limite occidentale de répartition ;

- du Ribo nigri-Alnetum glutinosae, rare et en régression en Picardie.

Sur le secteur considéré, les influences subcontinentales commencent à se faire sentir très nettement (présence du Cicuto-Caricetum et de l’Eleocharietum acicularis).

Ce tronçon de la vallée de la Somme présente un intérêt exceptionnel pour l’accueil d’oiseaux nicheurs rares et forme un couloir de passage apprécié des espèces migratrices.

INTERET DES ESPECES

Flore :

Très grande diversité d’espèces palustres remarquables :

- la Renoncule langue (Ranunculus lingua*), rare en France ;

- le Gymnocarpion du chêne (Gymnocarpium dryopteris*), exceptionnel et en danger en Picardie ;

- le Dryoptéride à crête (Dryopteris cristata*), dont les populations de haute Somme, régulièrement réparties sur ce tronçon, sont sans doute les plus importantes de France ;

- le Scirpe épingle (Eleocharis acicularis*), très rare en Picardie ;

- la Ciguë vireuse (Cicuta virosa*), caractéristique des cariçaies pionnières sur les vases exondées ;

- le Peucédan des marais (Peucedanum palustre*), présent presque partout sur le site, mais rare ou absent ailleurs en Picardie ;

- le Potamot coloré (Potamogeton coloratus*), typique des gouilles tourbeuses aux eaux alcalines ;

- le Rubanier nain (Sparganium natans*), rare en Picardie ;

- la Stellaire des marais (Stellaria palustris*), rare et vulnérable en Picardie.

Faune :

- le Sphinx de l’Epilobe (Proserpinus proserpina*), dont la chenille se nourrit dans les mégaphorbiaies ;

- la Bouvière (Rhodeus sericeus amarus), poisson inscrit à l’annexe II de la directive "Habitats" ;

- le Butor étoilé (Botaurus stellaris), inscrit à la directive "Oiseaux", en situation critique en Europe, en France et en Picardie ;

- le Blongios nain (Ixobrychus minutus), inscrit à la directive "Oiseaux", dont les populations picardes sont parmi les plus importantes de France ;

- le Busard des roseaux (Circus aeruginosus), rapace inscrit à la directive "Oiseaux" ;

- la Sarcelle d'hiver (Anas crecca), nicheur très rare en Picardie ;

- la Rousserolle turdoïde (Acrocephalus arundinaceus), espèce vulnérable sur le plan national ;

- la Gorgebleue à miroir (Luscinia svecica), inscrite à la directive "Oiseaux", qui a colonisé la vallée à la fin des années 80, et qui présente, dans le méandre d’Eclusier-Vaux, des densités remarquables pour le nord de la France ;

- la Locustelle luscinioïde (Locustella luscinioides), nicheur assez rare en Picardie ;

- la Pie-grièche grise (Lanius excubitor), en voie d’extinction en Picardie, à la suite du boisement des grandes roselières et de la disparition des prairies.

FACTEURS INFLUENCANT L'EVOLUTION

- Dynamique spontanée des milieux qui conduit à la fermeture des espaces dégagés (boisement des roselières, apparition de mégaphorbiaies dans les prairies,…).

- Accélération des phénomènes de fermeture, soit par intervention humaine (plantation de peupliers), soit par la non-intervention (abandon des prairies).

- Envasement et atterrissement des étangs, provoqués en partie par les limons des plateaux entraînés par les pluies.

- Acidification superficielle des tourbes par les pluies, permettant l’apparition de végétations acidophiles.

- Développement très important des Habitats Légers de Loisirs (HLL), provoquant des pollutions diffuses (pas de raccordement des habitations aux réseaux d’assainissement), un mitage de l’espace et des dégradations des milieux naturels aux points de forte concentration.

- Disparition des pratiques d’entretien des marais (récolte des roseaux, coupe des saules, bousinage,…), pratiques qui entretenaient des stades pionniers de la végétation (souvent remarquables).

- Accélération des processus d’eutrophisation par apport d’éléments nutritifs (azote, phosphore) d’origines urbaine et agricole.

- Opérations de curage des étangs trop souvent réalisées aux dépens des milieux palustres rivulaires (dépôts des boues de curage sur les berges…).

N.B. : Les espèces végétales et d’insectes dont le nom latin est suivi d’un astérisque sont légalement protégées.

Commentaires sur la délimitation

Le périmètre de cette grande zone intègre le fond de la vallée de la Somme entre les bourgs de Cléry-sur-Somme et de Bray-sur-Somme; il délimite en partie la haute vallée caractérisée par ses nombreux méandres. Cette zone est particulièrement riche et diversifiée; elle a la particularité de recéler de multiples étangs artificiels créés à l'aide de biefs, que l'on retrouve régulièrement entre Cléry et Bray-Sur-Somme. Le contour exclut les milieux les plus artificiels : les cultures qui bordent le fond de vallée, les peupleraies de bordure, les petites agglomérations, et les zones les plus dégradées par la pression anthropique (secteurs "cabanisés" fortement fréquentés).