Cette ZNIEFF de type II englobe toute l’entité écologique formée par le Marais alluvial, le Marais tourbeux et les bois de pourtour sur les versants. Au sein de l’ultime boucle de la Seine entre Rouen et Le Havre, cette zone de plus de 4500 ha s’étend depuis le rebord du plateau du Roumois occidental jusqu’aux vasières de la Seine, sur les communes de Marais-Vernier, Sainte-Opportune la Mare, Saint-Aubin sur Quillebeuf, Quillebeuf-sur-Seine, Saint-Ouen des Champs, Saint-Thurien, Trouville-la-Haule, Bouquelon et Saint-Samson de la Roque.
Cette vaste zone de type II comprend les quatre ZNIEFF de type I suivantes (identifiant national – superficie) :
-le marais alluvial de Quillebeuf-sur-Seine (230030723 ; 426 ha),
-le Marais-Vernier alluvial (230030724 ; 647 ha),
-la tourbière du Marais-Vernier (230000243 ; 1 930 ha),
-le bois de pourtour du Marais-Vernier (230030725 ; 377 ha).
Sur le plan géologique, la formation d’une barre alluviale avait isolé le Marais neuf du Marais ancien : la tourbe a pu s’accumuler dans ce dernier. Le Marais ancien constitue ainsi le plus important gisement de tourbe alcaline de France du fait de son épaisseur, alors que le Marais alluvial est uniquement composé d’anciennes vases alluviales.
Le Marais alluvial ou Marais neuf, séparé du Marais tourbeux ou Marais ancien par la Digue des Hollandais construite au XVIIème siècle, est un polder gagné sur la mer ou Marais desséché. Les sols argileux et limoneux y ont été largement drainés pour la mise en valeur agricole. Il est essentiellement occupé par des prairies mésohygrophiles et des grandes cultures, parcourues de nombreux fossés, ponctuées de mares et frangées de systèmes de haies vives dans sa partie méridionale. Les prairies, valorisées par la fauche souvent suivie d’un pâturage du regain, sont dominées par le groupement de l’Hordeo secalini-Lolietum. Les mares et fossés en eau abritent des groupements hydrophytiques assez diversifiés (Hydrocharition morsus-ranae, Lemnion gibbae…).
Les coteaux raides du pourtour de cet amphithéâtre naturel sont occupés par des pâtures acidoclines sur colluvions (Achilleo vulgaris-Cynosurion cristati) en bas de pente, mais surtout par des boisements de feuillus :
-en haut et milieu de versant sur des sols caillouteux à silex se développent des formations acidophiles composées surtout de chênaies-bétulaies (associations du Querco-Betuletum albae, Mespilo-Quercetum, Dryopterido dilatatae-Quercetum petraeae…) et ponctuellement de hêtraies à Houx (Illici-Fagetum),
-quelques corniches rocheuses vers Marais-Vernier sont occupées par des fragments de Hêtraies-coudraies à If (du Taxo-Coryletum),
-quelques fonds de vallon encaissés accueillent des Frênaies à Scolopendre (Phyllitido-Fraxinetum) sur affleurements crayeux en ambiance humide et ombragée.
Les vasières situées en contrebas de la digue qui protège le marais abritent des formations halophiles, notamment de Scirpe maritime (Scirpus maritimus ; groupement du Scirpetum maritimi).
Les groupements végétaux de la partie tourbeuse sont notamment constitués de différents faciès des prairies du Junco acutiflori-Cynosuretum cristati en périphérie du marais, qui passent ensuite au Cirsio dissecti-Scorzoneretum humilis vers le centre du marais, puis, dans la partie de tourbière haute active, au Drosero intermediae-Rhynchosporetum albae qui reste ponctuel. Les roselières à Fougère des marais relèvent du Thelypterido-Phragmitetum. Quelques micro-landes subatlantiques relictuelles à Bruyère à quatre angles (Erica tetralix) relèvent d’un Calluno-Ericetum tetralicis fragmentaire.
Des taillis boisés (entre autres de saulaies et aulnaies, certaines à sous-bois de Myrica gale) se développent aux abords de la Grand’Mare et de la Réserve des Mannevilles.
Les vasières exondées à marée basse, les milieux aquatiques à Characées et de l’Hydrocharition, les tourbières hautes actives, les tourbières basses alcalines, les forêts alluviales résiduelles sont des milieux remarquables, menacés en Europe, qui relèvent de la Directive Habitats. Il en va de même pour les chênaies-hêtraies acidophiles de l’Illici-Fagion, les frênaies à Scolopendre, et pour les grottes à chiroptères. Cette ZNIEFF est ainsi largement comprise dans le site Natura 2000 du Marais Vernier-Basse Vallée de la Risle. Plusieurs espèces de l’annexe II de la Directive Habitats ont également permis cette inscription au réseau Natura 2000 (Triton crêté, Damier de la Succise, plusieurs espèces de chiroptères et de poissons).
Sur plusieurs milliers d’hectares, cette mosaïque de prairies humides et mésophiles, de tourbières basses alcalines, de tourbières plus ou moins actives, de mares et d’étangs plus ou moins oligotrophes, de bocage et de vergers haute-tige, de bois acidophiles et calcicoles, et de milieux littoraux constitue une entité écologique unique en Haute-Normandie, exceptionnelle dans les plaines du Nord-Ouest de l’Europe. L’intérêt écologique très élevé de la zone humide est reconnu au travers de son inscription (sur une grande partie de sa surface) au titre de la Directive Oiseaux en tant que ZICO (Zone d’Importance Communautaire pour les Oiseaux) et ZPS (Zone de Protection Spéciale).
Les espèces déterminantes de ZNIEFF (exceptionnelles à assez rares et menacées en Haute-Normandie) sont particulièrement nombreuses dans cette vaste zone. Sans les citer toutes, nous mentionnerons les plus remarquables et emblématiques.
Le Marais ancien accueille une richesse exceptionnelle d’espèces végétales turficoles parmi les plus rares des plaines du Nord-Ouest de la France : le Rossolis intermédiaire (Drosera intermedia), le Rossolis à feuilles rondes (D. rotundifolia), la Lobélie brûlante (Lobelia urens), le Rhynchospore blanc (Rhynchospora alba), l’Osmonde royale (Osmunda regalis), la Renoncule Grande Douve (Ranunculus lingua), la Fougère des marais (Thelypteris palustris), le Mouron délicat (Anagallis tenella), le Troscart des marais (Triglochin palustre), le Stratiote faux-aloès (Stratiotes aloides), le Ményanthe trèfle d’eau (Menyanthes trifoliata), qui sont toutes légalement protégées. La Pinguicule du Portugal (Pinguicula lusitanica) trouve ici sa seule station régionale. On observe également le Piment royal (Myrica gale), le Cladion marisque (Cladium mariscus), le Jonc bulbeux (Juncus bulbosus), le Jonc subnoduleux (J. subnodulosus), le Cirse anglais (Cirsium dissectum), l’Epilobe des marais (Epilobium palustre), ainsi que de nombreuses Sphaignes (Sphagnum sp.).
De belles populations des rares Spirodèles à plusieurs racines (Spirodela polyrhiza) et Lenticule gibbeuse (Lemna gibba), de très rares Utriculaire vulgaire (Utricularia vulgaris), Grande Naïade (Najas marina), Morène aquatique (Hydrocharis morsus-ranae), Wolffie sans racine (Wolffia arrhiza) se développent dans les milieux aquatiques. Les bords des mares et des dépressions humides abritent des peuplements parfois importants de Baldellie fausse-renoncule (Baldellia ranunculoides) -légalement protégée-, d’Ache inondée (Apium inundatum), de Butome en ombelle (Butomus umbellatus), de Samole de Valerand (Samolus valerandi), de Scirpe maritime (Scirpus maritimus), d’Œnanthe fistuleuse (Oenanthe fistulosa), de Guimauve officinale (Althaea officinalis), de Rorippe des marais (Rorippa palustris), de Scirpe glauque (Scirpus tabernaemontani), de Massette à feuilles étroites (Typha angustifolia),… Des prairies argileuses accueillent l’exceptionnelle Bugrane épineuse (Ononis spinosa).
On observe en bordure de la Seine l’Œnanthe safranée (Oenanthe crocata), le Scirpe maritime (Scirpus maritimus), le Glaux maritime (Glaux maritima), le Jonc de Gérard (Juncus gerardii), l’Aristoloche clématite (Aristolochia clematitis)…
Des orchidées paludicoles sont présentes dans le Marais tourbeux, avec notamment l’Orchis des marais (Orchis palustris) qui possède ici sa seule station régionale, l’Orchis à fleurs lâches (O. laxiflora), l’Orchis négligé (Dactylorhiza praetermissa), le Dactylorhize tacheté (D. maculata), …
Plusieurs espèces remarquables, assez rares en Haute-Normandie, ont aussi été découvertes dans les forêts, notamment dans les bois de pente : la Lathrée écailleuse (Lathraea squamaria) -légalement protégée-, la Doradille noire (Asplenium adiantum-nigrum), le Polystic à aiguillons (Polystichum aculeatum), la Luzule des forêts (Luzula sylvatica), le Dactylorhize tacheté ici encore, le Muguet (Convallaria majalis), le Millepertuis Androsème ou "toute-bonne" (Hypericum androsaemum), l’Ophrys mouche (Ophrys insectifera), la Néottie nid d’oiseau (Neottia nidus-avis), espèces assez rares.
Le patrimoine faunistique est de rang international, spécialement pour l’avifaune. Ainsi, parmi les oiseaux, on note entre autres :
-de nombreux nids occupés par la Cigogne blanche (Ciconia ciconia),
-quelques couples de Pie-grièche écorcheur (Lanius collurio),
-une nidification irrégulière du Busard des roseaux (Circus aeruginosus) et du Busard Saint-Martin (Circus cyaneus)
-Les quatre espèces ci-dessus sont inscrites à l’annexe I de la Directive Oiseaux
-des colonies du rare Vanneau huppé (Vanellus vanellus), la seule population nicheuse régionale de Courlis cendré (Numenius arquata), et quelques couples de Petit Gravelot (Charadrius dubius),
-de nombreux couples nicheurs de Chevêche d’Athéna (Athene noctua) et de Rougequeue à front blanc (Phoenicurus phoenicurus), dans les vieux saules ou frênes taillés en têtards et dans les vieux pommiers,
-le rare Faucon hobereau (Falco subbuteo), et la Bondrée apivore (Pernis apivorus),
-la Cisticole des joncs (Cisticola juncidis), la Bouscarle de Cetti (Cettia cetti),
-des populations importantes de Tarier des prés (Saxicola rubetra) et de Bergeronnettes flavéole et printanière (Motacilla flava flavissima et Motacilla flava flava)
-de très nombreux oiseaux d’eau (Anatidés, limicoles, Ardéidés), passereaux, rapaces dont le Balbuzard pêcheur, … qui utilisent comme halte migratoire la Grand’Mare et les autres milieux aquatiques (mares, dépressions humides, prairies inondées, …). Le Marais Vernier est ainsi l’un des sites majeurs au niveau national pour le stationnement migratoire et hivernal pour de nombreux anatidés (en particulier la Sarcelle d’hiver à la Grand’Mare).
Les mammifères remarquables comptent notamment la rare Musaraigne aquatique (Neomys fodiens), l’Hermine (Mustela nivalis) et le Putois (Mustela putorius). Parmi les chiroptères, l’Oreillard gris (Plecotus austriacus) se reproduit dans d’anciennes habitations ; le Grand Rhinolophe (Rhinolophus ferrumequinum), le Grand Murin (Myotis myotis), le Vespertilion à oreilles échancrées (M. emarginatus) et le Vespertilion de Bechstein (M. bechsteini) hibernent dans une ancienne carrière souterraine sur le coteau du Marais-Vernier. Ces quatre dernières espèces sont rares et menacées en France et en Europe, et sont inscrites à l’annexe II de la Directive Habitats. Les forêts de feuillus, les prairies et le bocage sont utilisés comme terrains de chasse par ces espèces insectivores.
L’entomofaune comprend de très nombreuses espèces remarquables. L’Agrion de Van der Linden (Cercion lindenii), le rare Agrion mignon (Coenagrion scitulum), le très rare Agrion vert (Erythromma viridulum) sont des odonates qui ont été recensés dans de nombreuses mares et fossés sur l’ensemble du Marais Vernier. Le Marais tourbeux abrite en plus de ces espèces les exceptionnels Sympétrums noir (Sympetrum danae) et jaune (S. flaveolum).
Les lépidoptères comprennent notamment le Damier de la Succise (Eurodryas aurinia), espèce menacée en Europe et en grande raréfaction en France, inscrite à l’annexe II de la Directive Habitats, ainsi que le Miroir (Heteropterus morpheus), de nombreux Hétérocères d’intérêt patrimonial (dont Orthonema vittata, Thumatra senex, Blepharita adusta, Mamestra splendens) et des Diptères Syrphidés.
Chez les orthoptères, le Conocéphale des roseaux (Conocephalus dorsalis) et le Criquet ensanglanté (Stethophyma grossum), assez rares à rares en HN et dans le Bassin Parisien, sont particulièrement bien représentés dans le marais tourbeux ; le Criquet des roseaux (Mecosthetus alliaceus) trouve ici sa seule localité régionale connue, de même que le Tétrix caucasien (Tetrix bolivari), rare (mais encore très mal connu) en France.
La batrachofaune comprend, notamment, d’importantes populations de Rainette verte (Hyla arborea), menacée aux échelles régionale, nationale et européenne, et de Triton crêté (Triturus cristatus), inscrit à l’annexe II de la Directive Habitats. Le rare Pélodyte ponctué (Pelodytes punctatus) est également répertorié sur cette Znieff.
La rare et discrète Coronelle lisse (Coronella austriaca) a été observée dans le marais tourbeux, ainsi que la Vipère péliade (Vipera berus).
Les prairies humides et les systèmes bocagers ont été mis à mal par le drainage, l’intensification et surtout la mise en culture (perte de 2 000 ha après la seconde guerre mondiale). Dans le Marais tourbeux, la minéralisation de la tourbe en surface consécutive aux drainages ainsi que l’intensification agricole ont généré une banalisation de la flore et de la faune. De nombreuses espèces turficoles citées autrefois sont ainsi considérées comme disparues : Liparis loeselii, Schoenus nigricans, Spiranthes estivalis, …
Malgré cela, une remarquable organisation spatiale des activités agro-sylvo-pastorales traditionnelles a permis le maintien dans plusieurs secteurs de pratiques agricoles encore relativement extensives sur le Marais ancien tourbeux. La grande richesse biologique et paysagère actuelle en résulte largement.
Le soutien des pratiques pastorales extensives s’avère donc indispensable pour maintenir la qualité biologique, agricole et paysagère de ce marais exceptionnel. Dans cette optique, la mise en place de la Directive Habitats doit favoriser, petit à petit, le soutien des modes d’exploitation compatibles avec cette biodiversité de haut niveau.
Afin de préserver et mettre en valeur ce patrimoine biologique et cynégétique, de nombreuses formes de protections réglementaires et contractuelles ont été utilisées sur le Marais tourbeux. Ce réseau d’espaces protégés se compose ainsi :
-Réserve Naturelle des Mannevilles (93 ha), gérée par le Parc Naturel Régional des Boucles de la Seine Normande,
-Réserve Naturelle Régionale des Courtils de Bouquelon (anciennement Réserve Naturelle Volontaire), gérée par le Parc Naturel Régional des Boucles de la Seine Normande,
-Réserve de chasse et de faune sauvage de la Grand’Mare gérée par l’ex Office National de la Chasse et de la Faune Sauvage (maintenant OFB),
-Réserve de chasse et de faune sauvage de la Ferme Modèle acquise par la Fédération Départementale des Chasseurs de l’Eure,
-Arrêté préfectoral de Protection de Biotope des Litières de Quillebeuf,
-un site géré par le Conservatoire des Site Naturels de Haute-Normandie,
-un terrain du Conservatoire du Littoral et des Rivages Lacustres.
Sur ces sites la gestion par pâturage (et secondairement la fauche) extensif au moyen d’animaux rustiques (bœufs et chevaux), initiée en France sur le « laboratoire de gestion écologique » de la Réserve des Mannevilles, permet de maintenir des modalités d’utilisation de l’espace qui se rapprochent de pratiques traditionnelles aujourd’hui quasiment disparues.
Ce réseau de sites préservés et cette gestion aboutissent à la préservation d’un patrimoine remarquable, mais toutefois insuffisamment au regard des enjeux biologiques, en particulier dans la tourbière du Marais ancien.