Dans la partie aval de la vallée de la Seine, la boucle d’Heurteauville s’étend entre La Mailleraye-sur-Seine à l’aval et Heurteauville à l’amont. En son sein, les marais sont inscrits entre le fleuve et le Nord-Est du massif forestier de Brotonne, sur environ huit cents hectares.
Cette zone humide, majoritairement désignée en ZNIEFF de type II, constitue une entité écologique de premier ordre en Haute-Normandie. Elle comprend des milieux alluviaux, auxquels s'ajoute un secteur tourbeux, le Marais de la Harelle à Heurteauville, sur plus de trois cents hectares, entité qui fait l'objet d'une ZNIEFF de type I du fait de son exceptionnelle richesse biologique (identifiant national 230000322).
Les zones humides alluviales et les marais tourbeux ont en effet fortement régressé depuis plusieurs décennies, spécialement en Vallée de la Seine.
La zone alluviale s’étend entre le bourrelet alluvial le long de la Seine (en grande partie bâti) et la tourbière.
Ces terrains alluviaux relativement filtrants sont alimentés à la fois par la nappe alluviale et celle de la craie, dans des proportions différentes selon les saisons. Du fait de cette humidité des sols, ces terres ne peuvent pas être facilement mises en cultures : elles sont donc essentiellement occupées par des boisements (dans la tourbière), et des prairies mésohygrophiles à hygrophiles en périphérie. Ces dernières sont valorisées par la fauche et/ou le pâturage. Les prairies mixtes sont d’abord fauchées en juin, puis utilisées comme pâturage en été. De vastes surfaces sont cependant exclusivement utilisées pour la récolte du fourrage.
Les prairies de fauche (alliances de l’Arrhenatherion elatioris et du Bromion racemosi) sont utilisées plus ou moins intensivement, notamment en fonction de leur inondabilité printanière. Certaines prairies ont été semées à des fins pastorales, notamment en Ray-Grass (Lolium perenne), ce qui réduit leur diversité végétale.
La Boucle d’Heurteauville recèle la vaste tourbière de la Harelle, deuxième plus grande tourbière alcaline de la région, après celle du Marais-Vernier. Mais elle n’est pas seulement une tourbière alcaline : une tourbière acide "ombrotrophe" s’est développée en son centre, ce qui confère toute son originalité au site. Celle-ci est principalement alimentée par les eaux de pluie (tourbière ombrophile). Sous la tourbière, la nappe de la craie est captive (sous pression) et ressort au niveau en quelques résurgences. La nappe alluviale quant à elle n’atteint jamais le cœur de la tourbière. De même, l’eau libre de la Seine, qui pourrait potentiellement remonter par les fossés, est bloquée par des clapets.
La tourbière d’Heurteauville est aujourd’hui essentiellement boisée. Les habitats dominants consistent en une imbrication de bétulaies tourbeuses, d’aulnaies-frénaies, de saulaies, de peupleraies, de mégaphorbiaies, de prairies et landes maigres sur sols oligotrophes, de cariçaies, et de roselières atterries. Les bétulaies pubescentes à sphaignes (Sphagno-Betuletum pro parte) couvrent de vastes surfaces.
L’utilisation pastorale ayant cessé depuis de nombreuses années, la végétation évolue globalement vers des milieux boisés de plus en plus denses.
Cependant, quelques secteurs plus humides encore ouverts abritent une végétation ouverte turficole (= qui vit sur la tourbe) particulièrement précieuse. Des fragments de landes à Ericacées subsistent avec le groupement à Callune (Calluna vulgaris) et Bruyère à quatre angles (Erica tetralix) (association du Calluno-Ericetum tetralicis).
Des espèces exceptionnelles à très rares, plus ou moins pionnières sur la tourbe, sont présentes dans les fossés (Comaret des marais - Comarum palustre-, Ményanthe trèfle-d’eau - Menyanthes trifoliata-, Linaigrette à feuilles étroites - Eriophorum polystachion-,…) ou en bordure de l’exploitation de tourbe (Rossolis à feuilles rondes -Drosera rotundifolia-, Mouron d’eau -Anagallis tenella-,…). Ces milieux ne concernent plus aujourd'hui que de petites surfaces.
Des prairies abritent des groupements de bas-marais très rares à Cirse des Anglais et Scorsonère humble (Cirsio-Scorzonoretum humilis), ainsi que des formations hygrophiles pâturées du Junco-Cynosuretum. Au Sud de la zone, des prairies hygrophiles à mésohygrophiles abritent dans les dépressions le groupement de l’Eleocharo palustris-Oenanthetum fistulosae.
Au Sud de la tourbière se trouve une vaste exploitation de tourbe, qui a généré un plan d’eau.
Les espèces déterminantes de ZNIEFF (exceptionnelles à assez rares et menacées en Haute-Normandie) sont particulièrement nombreuses sur l’ensemble de la zone en type II. Celles qui suivent sont toutes légalement protégées : Rossolis à feuilles rondes (Drosera rotundifolia), Renoncule grande Douve (Ranunculus lingua), Hottonie des marais (Hottonia palustris), Mouron d’eau (Anagallis tenella), Saule rampant (Salix repens), Osmonde royale (Osmunda regalis), Ményanthe trèfle-d’eau (Menyanthes trifoliata), Gesse des marais (Lathyrus palustris), Impatience-ne-me-touchez-pas (Impatiens noli-tangere), Rhynchospore blanc (Rhynchospora alba).
Parmi les autres espèces végétales remarquables, on recense notamment : le Comaret des marais (Comarum palustris), le Piment royal (Myrica gale), la Bruyère à quatre angles (Erica tetralix), la Fougère des marais (Thelypteris palustris), la Linaigrette à feuilles étroites (Eriophorum polystachion), les Laîches puce, élevée, à fruits écailleux, ampoulée (Carex pulicaris, C. elata, C. lepidocarpa, C. rostrata), le Cirse anglais (Cirsium dissectum), le Cladion marisque (Cladium mariscus)…
Le patrimoine avifaunistique est également remarquable :
- l’exceptionnel Râle des genêts (Crex crex) a été contacté dans les prairies de fauche extensives et humides vers Port Jumièges. Il s'agit de l’un des oiseaux les plus rares et menacés d’Europe, à ce titre inscrit sur la liste des Oiseaux en danger dans le Monde.
- quelques colonies du rare Vanneau huppé (Vanellus vanellus) sont notées dans les pâtures humides ou en bordure de dépressions,
- les populations de Tarier des prés (Saxicola rubetra) et de Bergeronnette printanière (Motacilla flava), tous deux assez rares dans la région, sont disséminées un peu partout dans les prairies de fauche extensives.
- la Chevêche d’Athéna (Athene noctua), rapace nocturne qui se raréfie, niche dans les cavités des vieux saules ou frênes taillés en têtards, ainsi que le Rougequeue à front blanc (Phoenicurus phoenicurus),
-la rare Pie-grièche écorcheur (Lanius collurio) est présente sur le site
- le rare Faucon hobereau (Falco subbuteo) niche dans les haies ou les bosquets et chasse sur un vaste périmètre.
- le Marais de la Harelle et ses bordures sont très utilisés par de nombreux oiseaux (Anatidés, limicoles, Ardéidés, rapaces, passereaux…) comme halte migratoire et accueille la Mésange boréale (Parus montanus), assez rare. Le Cygne tuberculé (Cygnus olor), le Râle d’eau (Rallus aquaticus) et le Grèbe castagneux (Tachybaptus rufficollis) se reproduisent dans les plans d’eau, fossés et mares.
L’entomofaune s'est révélée assez riche au travers d'inventaires sur trois ordres régionalement bien investis : les odonates, avec plus d'une dizaine d'espèces déterminantes de Znieff détectées, et les orthoptères et lépidoptères, avec pour chacun six espèces déterminantes trouvées.
La batrachofaune reste en revanche encore assez peu connue, malgré des potentialités certaines pour la présence d'espèces remarquables.
Cette zone est menacée par la déprise des prairies humides, qui risquent d’être alors plantées en peupliers, ou tout simplement abandonnées (cas du Marais de la Harelle), ces évolutions entraînant dans les deux cas une fermeture des milieux, souvent préjudiciable à la riche biodiversité initialement présente.
A l’opposé, une trop forte intensification agricole peut générer une banalisation de la flore et de la faune, par l'effet sélectif des apports d’intrants, de la pression de pâturage, mais aussi de la précocité de fauche.
Le soutien des pratiques extensives de fauche et pâturage est donc indispensable pour maintenir la qualité biologique et paysagère du marais et pérenniser sa fonctionnalité et son intérêt agricole traditionnel.
Une réhabilitation du marais tourbeux de la Harelle, haut lieu du patrimoine naturel normand, est devenue indispensable, au travers de la restauration de milieux ouverts (coupe des ligneux, faucardage des mégaphorbiaies et roselière atterries,...).Elle permettrait de conforter la qualité biologique et paysagère du site tout en pérennisant sa fonctionnalité.
Enfin, un réaménagement à vocation écologique du site d’extraction de la tourbe permettrait de retrouver une bonne part du patrimoine floristique et faunistique lié aux affleurements de tourbe.