8160-1 - Éboulis crayeux de la vallée de la Seine et de la Champagne

Liste hiérarchisée et descriptifs des habitats des Cahiers d'habitats

Caractéristiques stationnelles

Habitat des étages planitiaire et collinéen particulier à des situations édaphiques et climatiques exceptionnelles dans le nord de la France.
Éboulis associés historiquement aux processus d’érosion fluviale des grands cours d’eau du nord de la France (Seine, Eure, Aisne…), n’occupant plus, depuis la fixation des lits majeurs, que des situations artificielles variées : carrières, déblais, remblais, pierriers artificiels.
Climats variés, soit à caractère général atlantique, mais dont les aspects de fraîcheur et d’humidité atmosphérique sont localement accentués par des expositions froides ou des contextes géomorphologiques particuliers (grandes vallées, proximité maritime), soit à caractère continental marqué.
Situations topographiques variées selon le type de groupement : pentes généralement raides (déclivité variant de 20 à 55°), parfois pierriers crayeux en pente faible.
Expositions variées : chaudes à fraîches ou froides.
Roches-mères carbonatées : craies du crétacé supérieur (Sénonien).
Pierriers de craies issus essentiellement de la gélifraction de la craie en place, formés d’éléments de taille réduite, généralement inférieure à 5 cm.
Mobilité sensible sur les pentes raides (généralement lente mais pouvant être importante en hiver sous l’action combinée du gel et du dégel), se réduisant progressivement avec le vieillissement des éboulis et tendant alors à constituer une microtopographie du sol en gradins plus ou moins accusés en fonction de la pente ; ces gradins reflètent les équilibres entre phénomènes mécaniques d’érosion et les processus de fixation des matériaux par des espèces pionnières de pelouses, comme la Seslérie bleuâtre (Sesleria caerulea).

Variabilité

Diversité typologique principale suivant une vicariance géographique d’ouest en est :
- sur les pentes crayeuses raides de la Seine aval et de l’Eure : éboulis à Violette de Rouen et Gaillet à tiges graciles [Violo hispidae-Galietum gracilicaulis], riche en micro-endémiques séquaniennes, avec : Violette de Rouen (Viola hispida), Gaillet à tige gracile (Galium fleurotii var. gracilicaule), micromorphe de Campanule à feuilles rondes (Campanula rotundifolia var. hirta), Liondent des éboulis (Leontodon hyoseroides) sous ses deux variétés (var. hyoseroides et var. pseudocrispus)... ;
- sur les craies dénudées de Champagne : éboulis à Germandrée des montagnes et Gaillet de Fleurot [Teucrio montani-Galietum gracilicaulis], au cortège de plantes d’éboulis appauvri, avec : Gaillet de Fleurot (Galium fleurotii var. fleurotii), Liondent des éboulis (Leontodon hyoseroides) sous sa forme velue (var. pseudocrispus), et plus rarement la Silène des glariers (Silene vulgaris subsp. glareosa), ainsi que diverses espèces pionnières des pelouses calcicoles comme la Germandrée des montagnes (Teucrium montanum), la Germandrée petit chêne (Teucrium chamaedrys)... ;
- sur les pentes crayeuses raides du plateau picard, aux expositions fraîches : éboulis à Laitue vivace et Épervière maculée [groupement à Lactuca perennis et Hieracium maculatum], avec : Épervière maculée (Hieracium maculatum), Laitue vivace (Lactuca perennis), très rarement le Gaillet de Fleurot ou encore des micromorphes de Liondent supposés intermédiaires entre le Liondent hispide (Leontodon hispidus) et le Liondent des éboulis.
Variabilité secondaire importante dans la plupart de ces types, notamment à caractère dynamique en fonction de la fixation progressive des éboulis et du passage progressif à des stades pionniers de pelouses calcicoles.

Physionomie, structure

Végétation basse très ouverte à strate muscinale réduite sauf en exposition nord, d’aspect général marqué par le Gaillet de Fleurot (physionomie typique de gaillet touffu aux tiges enchevêtrées) et à un moindre degré par le Liondent des éboulis et parfois la Violette de Rouen ; l’aspect général de coulée de grèves crayeuses mobiles s’estompe avec la fixation progressive des éboulis et le passage progressif à une microtopographie en gradins provoquée par la colonisation de plantes fortement fixatrices comme la Seslérie bleuâtre, les Germandrées des montagnes ou petit chêne, le Thym précoce (Thymus praecox).
Tapis végétal extrêmement écorché de recouvrement herbacé ne dépassant pas 20 % dans les stades pionniers, se densifiant avec la fixation des éboulis et le développement des plantes des pelouses calcicoles (jusqu’à environ 50 %).
Structure biologique fortement dominée par les hémicryptophes avec une participation réduite des thérophytes [surtout Galéopsis à feuilles étroites (Galeopsis angustifolia)] ; présence de géophytes d’éboulis à souche ligneuse comme la Silène des glariers, ou d’espèces à la fois hémicryptophytes et chaméphytes comme la Biscutelle de Neustrie (Biscutella neustriaca) ; les chaméphytes apparaissent dans les phases de stabilisation de l’éboulis et leur progression rapide est concomitante du passage aux pelouses calcicoles pionnières.
Adaptation morphologique des végétaux aux contraintes mécaniques (sols mobiles) et hydriques des éboulis crayeux : développement du système racinaire (racines nombreuses, étalées et profondes), enchevêtrement de tiges allongées au ras du sol retenant les graviers de craie (Gaillet de Fleurot), rameaux couchés donnant naissance à un chevelu important de racines adventives.
Éboulis souvent associés à des pelouses calcicoles méso-xérophiles (Mesobromion erecti) au sein de complexes dynamiques mosaïqués.
Floraison échelonnée de la fin du printemps à la fin de l’été (mai-septembre), généralement peu spectaculaire.

Confusions possibles

Avec des phases pionnières des pelouses calcicoles xérophiles à méso-xérophiles colonisant les éboulis en voie de stabilisation et les pierriers crayeux [Seslerio caeruleae-Xerobromenion erecti, Seslerio caeruleae-Mesobromenion erecti, Teucrio montani-Mesobromenion erecti ; Code UE : 6210].
Avec des végétations pionnières d’éboulis ou de pierriers de craie riches en espèces des friches calcicoles [Dauco carotae-Melilotion albi].

Dynamique

Spontanée :
Végétations pionnières à caractère primaire associées anciennement aux érosions fluviatiles et limitées actuellement aux perturbations anthropiques mettant à nu la craie ; en absence de nouvelles perturbations, la fixation des éboulis et le vieillissement des pierriers s’inscrivent dans des potentialités soit de hêtraies calcicoles thermophiles à affinités montagnardes du Cephalanthero rubrae-Fagion sylvaticae [Code UE : 9150], soit de forêts calcicoles de pente riches en essences ligneuses [Carpinion betuli submontagnard ; Code Corine : 41.41, ou Tilio platyphylli-Acerion pseudoplatani ; Code UE : 9180*].
Phases dynamiques internes au niveau des éboulis eux-mêmes : phase pionnière typique à faible couverture végétale, associée à une forte mobilité des graviers de craie ; phase de stabilisation marquée par le développement des plantes pionnières des pelouses écorchées en gradins, notamment la Seslérie bleuâtre et souvent riche en chaméphytes ; phase de vieillissement et de passage aux pelouses calcicoles entraînant une fixation des éboulis ou une fermeture de la couverture végétale des pierriers défavorables aux plantes d’éboulis.
Le passage aux pelouses calcicoles en l’absence d’entretien pastoral est généralement suivi d’une reconstitution forestière de vitesse variable en fonction de la topographie, des expositions et pouvant présenter des seuils dynamiques prolongés comme les pelouses-ourlets à Brachypode penné (Brachypodium gr. pinnatum) ; le stade pelousaire est assez fréquemment shunté et la colonisation des éboulis présente alors un caractère préforestier marqué.
Principales étapes dynamiques : densification par colonisation et extension de graminées sociales (Seslérie bleuâtre, Brachypode penné), piquetage arbustif et/ou arboré progressif aboutissant à la formation de fourrés coalescents ou de complexe préforestier de type « pré-bois » (mêlant pelouses, ourlets, pré-manteaux, fourrés et couvert arboré) puis à la constitution de jeunes hêtraies diversifiées en essences calcicoles.
Très localement, les lapins peuvent jouer un rôle dans le maintien de l’habitat au niveau des entrées de terrier.

Liée à la gestion :
Par remobilisation artificielle des éboulis, restauration des stades initiaux des éboulis.

Habitats associés ou en contact

Pelouses calcicoles méso-xérophiles à Seslérie bleuâtre (Sesleria caerulea) des mésoclimats froids développées en contact sur pentes fraîches [Seslerio caeruleae-Mesobromenion erecti ; Code UE : 6210].
Pelouses calcicoles xérophiles de corniches et de rebords de plateau [Seslerio caeruleae-Xerobromenion erecti ; Code UE : 6210].
Pelouses calcicoles méso-xérophiles thermophiles à caractère subcontinental [Teucrio montani-Mesobromenion erecti ; Code UE : 6210].
Communautés pionnières de dalles de l’Alysso alyssoidis-Sedion albi [Code UE : 6110*] généralement fragmentaires, à Orpin blanc (Sedum album), Orpin âcre (Sedum acre)...
Pelouses-ourlets et ourlets méso-xérophiles du Geranion sanguinei à Brachypode penné et Seslérie bleuâtre [Code UE : 6210].
Pelouses-ourlets et ourlets méso-xérophiles à mésophiles à caractère subcontinental du Trifolion medii.
Manteaux arbustifs préforestiers calcicoles épars à Viorne lantane (Viburnum lantana), Cornouiller mâle (Cornus mas), Prunier de Sainte-Lucie (Prunus mahaleb)... [Berberidion vulgaris ; Code Corine : 31.812] ; un type thermo-montagnard original dans la vallée de la Seine à If commun (Taxus baccata) et Amélanchier à feuilles ovales (Amelanchier ovalis subsp. embergeri) [Taxo baccatae-Amelanchieretum ovalis].
Hêtraies thermo-calcicoles submontagnardes, enrichies en espèces des chênaies pubescentes... [Cephalanthero rubrae-Fagion sylvaticae ; Code UE : 9150], rarement frênaies-acéraies calcicoles de pente plus mésophiles et de position systématique variable [Carpinion betuli submontagnard ; Code Corine : 41.41 à Tilio platyphylli-Acerion pseudoplatani ; Code UE : 9180*].

Répartition géographique

Éboulis à Violette de Rouen et Gaillet à tiges graciles : basse vallée de la Seine, des Andelys (27) à Rouen (76), et basse vallée de l’Eure, optimal aux environs de Romilly-sur-Andelle, Amfreville-sous-les-Monts et Saint-Adrien.
Éboulis à Germandrée des montagnes et Gaillet de Fleurot : Champagne septentrionale.
Éboulis à Laitue vivace et Épervière maculée : vallées des plateaux de craie de Haute-Normandie et de Picardie.

Valeur écologique et biologique

Tous les types d’éboulis sont relictuels, et généralement réduits à un petit nombre de sites de surface restreinte ; tous sont en voie de forte régression et d’importance patrimoniale majeure en tant qu’éléments isolés aux étages planitiaire et collinéen des éboulis du Leontodontion hyoseroidis.
Originalité floristique importante, associée dans la vallée de la Seine à plusieurs microendémiques : Violette de Rouen (Viola hispida) (espèce inscrite à l’annexe II de la directive « Habitats »), Gaillet à tige gracile (Galium fleurotii var. gracilicaule), micromorphe de Campanule à feuilles rondes (Campanula rotundifolia var. hirta) ; présence de populations isolées d’espèces végétales montagnardes en plaines comme le Liondent des éboulis (ici en limite NW de son aire) ou la Silène des glariers ; intérêt floristique complémentaire dans les communautés de pelouses associées aux éboulis avec la Biscutelle de Neustrie (Biscutella neustriaca) inscrite à l’annexe II de la directive « Habitats ».
Plantes protégées au niveau national : Violette de Rouen ; plantes menacées en France (Livre rouge national, tome I) : Gaillet de Fleurot (Galium fleurotii).
Plusieurs plantes protégées régionalement.

États de conservation

États à privilégier :
Éboulis instable de grèves crayeuses de petite taille. Cette structure est obtenue sur les pentes très raides par le maintien des processus érosifs qui rajeunissent en permanence le tapis végétal ou limitent l’installation d’espèces non adaptées aux contraintes mécaniques des éboulis.

Autres états observables :
Éboulis en voie de fixation et colonisé par des hémicryptophytes sociaux ou des chaméphytes pelousaires.
Éboulis en voie de fixation colonisé par des ligneux.

Tendances et menaces

Habitats jadis associés à des perturbations naturelles d’origine fluviale (affouillement de base des flancs de vallée par les crues), ne s’étant maintenu que grâce à des perturbations anthropiques occasionnelles : extraction de craie, talutage, creusement de tranchées… et à la lenteur des phénomènes de colonisation végétale sur les pentes les plus raides ; disparition spatiale progressive depuis le XIXe siècle.
Menaces très fortes d’extinction pour tous les types d’éboulis, même si certaines activités humaines perturbatrices permettent de maintenir de façon souvent fragmentaire la présence des habitats. Régression importante des surfaces de l’habitat, notamment en vallée de la Seine suite à la fixation et aux boisements des éboulis, au développement des infrastructures et de l’urbanisation aux environs de Rouen. La prise en compte récente de la conservation des habitats d’éboulis de la basse vallée de la Seine dans le cadre d’un programme LIFE-Nature « Espèces prioritaires, pelouses et éboulis du bassin aval de la Seine » piloté par le conservatoire des sites naturels de Haute-Normandie (avec la collaboration du PNR du Vexin français) devrait permettre dans ce secteur de mettre en place une stratégie plus pérenne de conservation à long terme.
Microendémiques présentes en un nombre très réduit de populations de petite taille posant des problèmes de conservation à moyen et long terme ; c’est le cas notamment de la Violette de Rouen.

Axes de recherche

Inventaire des banques de semences susceptibles de contenir des espèces d’éboulis et en particulier les plantes de haute valeur patrimoniale (microendémiques comme la Violette de Rouen).
Techniques de gestion appropriées à la remobilisation des grèves crayeuses.
Conservation des microendémiques à populations de petite taille telles que la Violette de Rouen. Dans ce dernier cas, la connaissance précise de la biologie de populations, de leur diversité génétique, des flux de gènes entre les populations sauvages et les populations cultivées dans les jardins ou encore avec des espèces proches de Viola du groupe tricolor, est un axe de recherche essentiel à la conservation de cetteendémique haut-normande inscrite à l’annexe II de la directive.

Fiche du cahier d'habitats (format pdf)
Bibliographie

 Bensettiti F., Herard-Logereau K., Van Es J. & Balmain C. (coord.), 2004. « Cahiers d’habitats » Natura 2000. Connaissance et gestion des habitats et des espèces d’intérêt communautaire. Tome 5 - Habitats rocheux. MEDD/MAAPAR/MNHN. Éd. La Documentation française, Paris, 381 p. + cédérom. (Source)