3260-3 - Rivières à Renoncules oligo-mésotrophes à méso-eutrophes, acides à neutres

Liste hiérarchisée et descriptifs des habitats des Cahiers d'habitats

Caractéristiques stationnelles

Il s’agit d’une végétation des eaux courantes dominée par les phanérogames et développée sur roches mères siliceuses (schistes, grès, granites, gneiss).
L'habitat se développe dans des cours d’eau d’ordres 2 à 6-8, plutôt courants, permanents, aux étages submontagnard, collinéen et planitiaire.
Les eaux sont oligo-mésotrophes à méso-eutrophes, à pH acide à neutre, à richesse variable en nitrates, restant assez pauvres en orthophosphates, et, le plus souvent, en ammonium.

Variabilité

La variabilité des groupements correspond à des différences biogéographiques, d’importance du cours d’eau et de son hydrodynamisme, d’éclairement et de trophie.

Variations selon les régions géographiques et l’altitude
Les communautés atlantiques sont caractérisées par la Renoncule en pinceau, l’Oenanthe safranée (Oenanthe crocata) et l’Ache inondée (Apium inundatum), ainsi qu’une hépatique, Porella pinnata.
Les communautés subatlantiques et continentales sont caractérisées par la Renoncule peltée, la Berle dressée (Berula erecta), l’Oenanthe des eaux courantes (Oenanthe fluviatilis) ;
Dans les zones de contact, ces communautés à Renoncule peltée sont situées plus en amont que les groupements à Renoncule en pinceau.
Pour les communautés (sub)montagnardes, il y a peu de données disponibles ; il semble y avoir une réduction des Renoncules et davantage de bryophytes.

Variations selon l’éclairement
Dans les milieux éclairés, il y a dominance de phanérogames aquatiques (Renoncules, Callitriches) et pénétration des amphiphytes : Ache nodiflore (Apium nodiflorum), Rubanier dressé (Sparganium erectum), Oenanthe safranée et Baldingéra faux-roseau (Phalaris arundinacea) ; les algues vertes (Ulothrix sp., Microspora sp.) ou jaunes (Vaucheria sp., Melosira sp.) sont parfois très recouvrantes.
À l’inverse, dans les milieux ombragés, il y a une diminution des phanérogames ; des bryophytes se développent sur substrats grossiers (Fontinalis antipyretica, Amblystegium fluviatile, Platyhypnidium rusciforme, Scapania undulata, Fissidens crassipes (Est), F. pusillus (Ouest), Chiloscyphus polyanthos), et les algues rouges (Lemanea sp.) sont fréquentes.

Variations selon la topographie, la mobilité des fonds
Les bryophytes et les algues rouges sont inféodées aux substrats stables (rochers et blocs, plus rarement racines des arbres) ; ces cryptogames seront donc rares sur fonds sableux (par exemple dans les Vosges du nord).
Lorsque le piégeage de sédiments est important, une émersion peut se produire et des accomodats d’émersion se forment (Renoncules, Callitriches et Myriophylle).

Variations selon l’écoulement
En situation courante, les cryptogames sont abondants (Platyhypnidium rusciforme, Lemanea sp.).
En situations lentes amont, parfois légèrement polluées, il y a présence de Renoncule aquatique (Ranunculus aquatilis) (Limousin, Lozère, Massif armoricain).
En situations lentes aval, des espèces stagnophiles apparaissent : le Nénuphar jaune (Nuphar lutea), le Rubanier simple, avec des populations parfois importantes de Petite lentille d’eau (Lemna minor), et divers Potamots et Élodées.
Des différences selon les faciès d’écoulement existent, avec, dans le Massif armoricain, des « radiers à Oenanthe ».

Variations selon la minéralisation, le pH et la trophie
Les systèmes (oligo-)mésotrophes possèdent des Callitriches et des Renoncules, avec une disparition du Potamot à feuilles de renouée (Potamogeton polygonifolius), mais encore la présence de Scapania undulata, Fontinalis squamosa et Hyocomium armoricum.
Les systèmes méso-eutrophes sont caractérisés par des espèces différentielles d’eutrophisation : Callitriche à angles obtus (Callitriche obtusangula), Potamots perfolié, crépu, de Berchtold, fluet (Potamogeton perfoliatus, P. crispus, P. berchtoldii (Est), P. pusillus (Ouest)), Élodées du Canada et de Nuttall (Elodea canadensis, E. nuttallii), voire le Myriophylle en épi (Myriophyllum spicatum) ou la Zannichellie des marais (Zannichellia palustris), Amblystegium riparium, Octodiceras fontanum, ainsi que la forme à feuilles longues du Rubanier simple. En Limousin, le Potamot noueux (Potamogeton nodosus) se présente comme une différentielle d’eutrophisation des grands cours d’eau.

Physionomie, structure

Ce sont des groupements souvent très recouvrants, avec une très forte variabilité saisonnière due au cycle des Renoncules (forte régression estivale). Des différences de végétalisation selon les faciès d’écoulement sont très visibles, les radiers étant particulièrement colonisés.
Quatre strates végétales peuvent coexister :
- une strate cryptogamique appliquée constituée de bryophytes de taille moyenne (Fontinalis antipyretica, F. squamosa, Platyhypnidium rusciforme), et parfois aussi d’algues rouges (Lemanea gr. fluviatile) en hiver et au printemps ;
- une strate submergée correspondant au Myriophylle à fleurs alternes, aux organes submergés des Callitriches (en crochet, à fruits aplatis, des étangs), des Potamots (des Alpes, de Berchtold), des Élodées, des grandes Renoncules (en pinceau et peltée) et aux jeunes organes végétatifs des espèces amphibies (Ache, Oenanthe safranée, Baldingéra et Berle) ;
- une strate flottante constituée des rosettes de Callitriche et des feuilles flottantes des Renoncules ; les Lentilles d’eau sont assez fréquentes dans cet habitat, à la fin de l’été et surtout dans les communautés méso-eutrophes ;
- une strate émergée correspondant aux hélophytes précitées.

Confusions possibles

Les confusions possibles avec d’autres types d’habitats sont limitées. Elles correspondent aux transitions vers des groupements stagnophiles développés dans des canaux ou des faciès profonds de cours d’eau lents : groupements stagnophiles à Nénuphar jaune et Callitriches du Nymphaeion albae (Cor. 22.431) et à Potamots et Myriophylles du Potamion pectinati (Cor. 22.42). La présence de Renoncules permet normalement de lever l’incertitude, mais des transitions existent.
En revanche, des confusions sont possibles avec les autres déclinaisons de l’habitat : groupements oligotrophes d’amont (habitat 3260-1), groupements eutrophes d’aval (habitat 3260-5) ou d’amont (habitat 3260-6). Un examen détaillé des listes floristiques et la présence des Renoncules à dimorphisme foliaire doit permettre de lever l’incertitude.

Dynamique

Spontanée :
Normalement, l’habitat est assez stable en variations interannuelles, car régulé par le cycle hydrologique annuel. En revanche, le cycle saisonnier est très marqué, déterminé par celui des Renoncules.
En conditions éclairées, l’absence d’entretien physique du milieu peut se traduire par un envahissement par des hélophytes (Rubaniers, Laiches et Roseaux). La colonisation ligneuse des berges ou un contexte forestier peuvent induire la création d’embâcles et la régression, voire la disparition des groupements de l’habitat.
Il existe des relations dynamiques en fonction des différents facteurs (qualité de l’eau, éclairement, profondeur, vitesse de courant, importance relative du cours d’eau) entre les groupements de ce type d’habitat et les groupements stagnophiles (potamophiles) et/ou eutrophes qui leur succèdent vers l’aval.

Liée aux activités humaines :
- Entretien physique du milieu
De façon générale, le « nettoyage des rivières » favorise la forme héliophile des groupements. Un fort éclairement peut donc entraîner de forts recouvrements des renoncules, voire leur prolifération. Des proliférations algales traduisent souvent une remise à disposition de phosphore dans le système après curage ou après déboisement des berges (nettoyage).
- Modifications du lit et des écoulements
Lorsqu’il y a des moulins, des unités inter-barrages sont créées ; elles diversifient les faciès et les communautés macrophytiques au sein du cours d’eau, avec des zones rapides au niveau du déversoir, des radiers à l’aval de la digue, et des profonds à l’amont.
À l’aval des barrages, des proliférations de Renoncules et/ou la colonisation du lit par les hélophytes ont été observées.
Un apport sédimentaire important a deux conséquences : une régression des espèces les plus sensibles (algues rouges, bryophytes) et une exondation des herbiers de phanérogames, déterminant un cycle de piégeage-relargage de sédiments, avec les pollutions mécaniques induites.
- Altérations de la qualité de l’eau
L’eutrophisation provoquée des eaux entraîne le passage aux groupements eutrophes et la disparition des espèces les plus sensibles (Scapania undulata...).

Habitats associés ou en contact

Habitats associés :
Rivières à Truites (Cor. 24.12) et ruisseaux p.p. (Cor. 24.11), mais aussi zones à Ombre, voire à Barbeau (Cor. 24.13 et 24.14).

Habitats en contact :
Biefs dominés par des communautés du Nymphaeion albae (Cor. 22.431) et du Potamion pectinati (UE 3150).
Herbiers frangeants des cressonnières et glycériaies, groupements à Myosotis gr. scorpioides, groupements à Apium nodiflorum, (Cor. 53.4), roselières et cariçaies (phalaridaies, cariçaies à Laiches terminée en bec et paniculée - Carex rostrata, Carex paniculata -, Cor. 53.14, 53.16, 53.214, 53.216).
Systèmes alluviaux : aulnaies-frênaies, saulaies à Saule roux, Salix acuminata (Cor. 44.3, Cor. 44.13).

Répartition géographique

Tous les massifs cristallins (Vosges du nord, Nord Lozère, Massif central, Pyrénées-Atlantiques, Massif armoricain). Cet habitat existe sous une forme appauvrie essentiellement développée sur radiers et zones courantes dans beaucoup de cours d’eau voisins de la neutralité (hors zones calcaires).

Valeur écologique et biologique

Habitat typique des cours d’eau acides à neutres, il constituerait des linéaires importants sur toute la France, mais ses variations restent à étudier.
Les espèces phanérogamiques sont assez banales, hormis quelques taxons (Luronium natans, Apium inundatum, Potamogeton alpinus, P. x-variifolius - est de la France - ...), dont certaines ont un caractère atlantique assez marqué (Apium inundatum, Oenanthe crocata). Dans ces milieux, les bryophytes sont assez communes, hormis Fontinalis squamosa et Porella pinnata.
Ce sont des zones préférentielles de reproduction de la Truite (Salmo trutta) (pour les communautés amont), et, dans les milieux un peu plus importants, des zones de reproduction du Saumon atlantique : l’essentiel des cours d’eau fréquentés par cette espèce correspond à cet habitat et se trouve dans le Massif armoricain. Ce sont aussi des zones de reproduction de la Lamproie marine (parties aval des cours d’eau).

États de conservation

États à privilégier :
Les états à privilégier correspondent à des phytocénoses pluristratifiées, avec des Renoncules et des Callitriches en strate dominante et des bryophytes en strate dominée.

Autres états observables :
Radiers à Oenanthe (zones atlantiques).
Milieux en voie d’eutrophisation, avec Callitriche obtusangula, et la bryophyte Amblystegium riparium et/ou des proliférations algales, notamment à l’aval des piscicultures.
Milieux plus eutrophes, avec Sparganium emersum fa. longissimum, Potamogeton perfoliatus, P. crispus, Zannichellia palustris et la bryophyte Octodiceras fontanum.
Milieux plus lents, avec le Nénuphar jaune (Nuphar lutea). Milieux très ombragés avec une très forte dominance de bryophytes.

Tendances et menaces

Tendances évolutives :
Cet habitat est assez bien représenté. Il semble néanmoins se dégrader dans certaines rivières, avec une régression des Renoncules et un envasement des communautés bryophytiques.
L’évolution de l’habitat vers l’aval correspond naturellement à l’apparition de groupements (méso-)eutrophes.

Menaces potentielles :
Elles sont faibles car ces végétations ont une forte stabilité interne (notamment par rapport aux nitrates).
Les ruptures de débit dues à des excès de pompage constituent une menace majeure.
De fortes sédimentations défavoriseraient ces communautés (érosion des berges et des versants).
L’eutrophisation, et notamment l’enrichissement en orthophosphates, est le risque majeur de régression de ces communautés, avec une élimination des espèces oligotrophes ou mésotrophes, et notamment une régression des renoncules au-delà d’un certain seuil, et le remplacement par des espèces polluo-tolérantes ; l’intensification agricole est une cause importante de cette eutrophisation.
Des proliférations algales peuvent intervenir lors des éclairages brutaux de la rivière ou lorsqu’il y a des travaux physiques dans le lit : curages, recalibrages.
Les introductions d’espèces allochtones proliférantes peuvent déséquilibrer la communauté (surtout pour les faciès lents) : Myriophylle du Brésil (Myriophyllum aquaticum), Jussies (Ludwigia spp.), Élodée dense (Egeria densa).

Potentialités intrinsèques de production

Aucune.

Axes de recherche

Pour une identification précise de ces phytocénoses, des recherches cognitives restent à entreprendre sur la distribution exacte des différentes renoncules et de leurs hydrides et sur le déterminisme comparé de leur distribution.
Pour établir un diagnostic de la qualité de l’habitat, il faut :
- étudier les variations écologiques des populations de Sparganium emersum, Potamogeton alpinus, Myriophyllum alterniflorum... dont le statut trophique est controversé ;
- préciser les indices macrophytiques ;
- établir les rôles respectifs du milieu physique et de la qualité de l’eau dans la distribution des phytocénoses.
Pour la conservation et l’étude de la variabilité de l’habitat, il faut :
- préciser la distribution française de cet habitat et effectuer des comparaisons éco-régionales, notamment rechercher sa limite altitudinale ;
- déterminer s’il y a effectivement une régression des communautés à Renoncules dans les secteurs planitiaires et en comprendre les causes pour tenter d’y remédier.
Pour comprendre le fonctionnement et la stabilité des biocénoses, il serait important de déterminer leur participation à l’autoépuration des cours d’eau et de préciser leurs rôles fonctionnels pour les espèces de la directive « Habitats ».
Pour une gestion conservatoire, des expérimentations sont à entreprendre pour quantifier l’effet exact du nettoyage des cours d’eau sur les composantes biotiques et abiotiques de l’habitat.

Fiche du cahier d'habitats (format pdf)
Bibliographie

 Bensettiti F., Gaudillat V. & Haury J. (coord.), 2002. « Cahiers d’habitats » Natura 2000. Connaissance et gestion des habitats et des espèces d’intérêt communautaire. Tome 3 - Habitats humides. MATE/MAP/MNHN. Éd. La Documentation française, Paris, 457 p. + cédérom. (Source)