6230-13 - Pelouses acidiphiles orophiles des Alpes méridionales

Liste hiérarchisée et descriptifs des habitats des Cahiers d'habitats

Caractéristiques stationnelles

Étages subalpin et alpin (1700-2700 m).
Pentes peu accusées, préférentiellement en ubac, ainsi que replats, combes et légères dépressions assez longuement enneigées.
Tous types de roches mères.
Selon le substrat et la situation topographique, sol allant du type ranker au sol brun diversement évolué (jusqu’à profond et lessivé) ; nette acidification de surface (pH 4,4-5,5) représentative d’un mull oligotrophe-moder ou d’un moder, avec complète décarbonatation sur roche mère calcaire.
Conditions hydriques assez variables, en fonction de la relative diversité topographique (formations mésophiles à méso-hygrophiles).
Stations généralement soumises au pâturage, plus ou moins intensif, surtout ovin.

Variabilité

Forte diversité typologique, principalement selon la situation topographique, la roche mère et l’altitude :
- sur pentes subalpines des substrats cristallins acides : pelouse (et pré-bois de Mélèze) à Liondent de Suisse et Alchémille des Alpes [Leontodonto helvetici-Alchemilletum alpinae], marqués également par la Pédiculaire tubéreuse (Pedicularis tuberosa) ;
- sur pentes subalpines des substrats calcaires (plus rarement siliceux), en conditions plus arrosées : pelouse à Raiponce de Micheli et Pâturin violacé [Phyteumo michelii-Poetum violaceae], avec le Séneçon orangé (Senecio aurantiacus);
- sur pentes subalpines des substrats mixtes complexes, souvent métamorphiques (schistes lustrés, flysch) : pelouse à Trèfle alpin et Pâturin violacé [Trifolio alpini-Poetum violaceae], avec l’Avoine bigarrée (Avenula versicolor) ;
- aux niveaux subalpin et alpin inférieur (1700-2400 m), sur replats et dans les combes à faible pente fortement pâturés, sur tous types de substrats : pelouse à Potentille dorée et Nard raide [Potentillo aureae-Nardetum strictae], progressivement remplacée dans les massifs les plus méridionaux par des nardaies à Pédiculaire de Suisse et Arnica des montagnes [subass. pedicularetosum incarnatae] ;
- aux niveaux subalpin supérieur et alpin (1900-2700m), dans les petites dépressions restant plus longuement enneigées (audelà de 6 mois), sur tous types de substrats : pelouse à Renoncule des Pyrénées et Vulpin des Alpes [Ranunculo pyrenaei-Alopecuretum gerardii].

Physionomie, structure

Pour la grande majorité des types, pelouses fermées, sous forme de gazons denses (recouvrement rarement inférieur à 100 %) à hémicryptophytes largement prédominants.
Composition floristique souvent diversifiée, avec abondance des Graminées [Nard raide (Nardus stricta), Flouve odorante (Anthoxanthum odoratum), Fétuques rouge et violacée (Festuca gr. rubra, F. violacea), Pâturin des Alpes (Poa alpina)] et des Légumineuses [Lotier corniculé (Lotus corniculatus), Trèfles divers : des Alpes, des montagnes, des prés (Trifolium alpinum,
T. montanum, T. pratense)], auxquelles se joignent, en tant que familles bien représentées de nombreuses Composées [Liondent de Suisse (Leontodon pyrenaicus subsp. helveticus), Arnica des montagnes (Arnica montana), diverses Épervières (Hieracium)], Rosacées [Potentilles (Potentilla), Alchémilles (Alchemilla), Benoîte des montagnes (Geum montanum)] et Cypéracées [Laîche toujours verte (Carex sempervirens)].
Abondance croissante du Nard raide selon l’ordre des types de situations topographiques précédemment définies (pentes, replats et combes, dépressions à enneigement prolongé) ainsi qu’avec l’intensité du pâturage.
Possibilité d’une structure hétérogène en mosaïque par développement de plages localisées à Nard raide (zones de refus) en rapport avec l’hétérogénéité d’intensité du pâturage.
Possibilité de piquetage par des ligneux (avec cette fois probabilité décroissante selon l’ordre précédent), généralement de manière très disséminée : chaméphytes [Myrtille (Vaccinium myrtillus), Airelle des marais (Vaccinium uliginosum)] ou nanophanérophytes [Rhododendron ferrugineux (Rhododendron ferrugineum), en tant qu’éléments précurseurs de la lande à Éricacées, auxquels s’ajoute en général le Genévrier des Alpes (Juniperus sibirica)].
Plus rarement (par exemple dans le cas des pelouses à Liondent de Suisse et Alchémille des Alpes), possibilité de développement sous forme de prés-bois, sous couvert clair de Mélèzes (Larix decidua). La physionomie, la structure et la composition de la pelouse n’y sont guère modifiées, sauf par l’apparition d’un lot d’espèces plus sciaphiles : Renoncule des montagnes (Ranunculus montanus), Violette de Rivinus (Viola riviniana), Épervière des murs (Hieracium murorum), Épervière faux prénanthe (Hieracium prenanthoides), Hépatique à trois lobes (Hepatica nobilis), Véronique petit-chêne (Veronica chamaedrys).

Confusions possibles

Le développement du Nard raide dans de nombreux types d’habitat de pelouse d’altitude, en rapport avec l’intensité du pâturage (et l’acidification du sol), peut rendre délicate, au plan physionomique, la reconnaissance de ces divers types. Principales confusions possibles :
-avec les pelouses acidophiles climaciques du Caricion curvulae [Code Corine : 36.34] de l’étage alpin inférieur (particulièrement Festucetum halleri sous-association à Carex sempervirens) ;
-avec certaines pelouses de combes à neige du Salicion herbaceae [Code Corine : 36.111], dont celles à Alchémille à cinq folioles et Saule herbacé [Alchemillo pentaphyllae-Salicetum herbaceae], surtout dans leur faciès à Vulpin des Alpes (Alopecurus alpinus) ;
-avec certaines pelouses de cuvettes humides, provisoirement plus ou moins asséchées, du Caricion fuscae, telles celles à Trichophore gazonnant (Trichophorum cespitosum) dans leur sous-association à Nard raide [Code Corine : 54.451].

Dynamique

Spontanée :
À l’étage subalpin (jusqu’à 2300 m environ), pelouses secondaires résultant de la déforestation ancienne et maintenues par la pression pastorale ; sa diminution (ou disparition) y entraîne la réimplantation progressive du Mélèze (passage au stade pré-bois), ultérieurement suivie par celle de l’Épicéa (Picea abies) à l’horizon inférieur (en dessous de 1900 m), ainsi que le développement des espèces de la lande à Éricacées [Rhododendro ferruginei-Vaccinion myrtilli, Code UE : 4060].
A l’étage alpin, nardaies résultant d’une dégradation par pâturage et acidification des pelouses climaciques, principalement celles à Fétuque de Haller [Festucetum halleri ; Caricion curvulae, Code Corine : 36.34], dont la reconstitution par déprise pastorale s’avère très hypothétique ou en tout cas très lente.
Quelle que soit l’altitude, caractère pratiquement permanent (climax stationnel) des pelouses à Nard raide liées aux dépressions à enneigement prolongé (pelouse à Renoncule des Pyrénées et Vulpin des Alpes).

Liée à la gestion :
L’intensité du pâturage (essentiellement ovin) apparaît, avec la situation topographique (à laquelle elle est pour une grande part corrélée), comme le facteur principal de la variabilité physionomique et floristique des pelouses concernées, en rapport avec un enrichissement croissant en Nard raide. Il en résulte une chute progressive de la diversité spécifique ainsi qu’un relatif blocage tant des capacités de régénération que des potentialités évolutives de ces nardaies.

Habitats associés ou en contact

Pelouses de combes à neige à Saule herbacé (Salix herbacea) [Salicion herbaceae, Code Corine : 36.111].
Bas-marais acidophiles à Trichophore gazonnant (Trichophorum caespitosum) [Caricion fuscae, Code Corine : 54.451].
Pelouses neutroclines à acidiphiles des substrats carbonatés [Caricion ferrugineae, Code UE : 6170] à Fétuque violacée (Festuca violacea) et Trèfle de Thal (Trifolium thalii) ou à Pâturin violet (Poa violacea) et Alchémille à folioles soudées (Alchemilla conjuncta).
Pelouses acidiphiles des substrats siliceux, à Fétuque de Haller [Caricion curvulae, Code Corine : 36.342].
Pessières subalpines [Piceion excelsae, Code UE : 9410] et mélézeins, parfois avec Pin cembro [Code UE : 9420].

Répartition géographique

Répandu, de manière disséminée, et sous des types divers, dans l’ensemble des Alpes méridionales :
-pelouse à Renoncule des Pyrénées et Vulpin des Alpes : ensemble des Alpes méridionales ;
-pelouse à Potentille dorée et Nard raide : Hautes-Alpes septentrionales ;
-pelouse à Trèfle des Alpes et Pâturin violacé : Hautes-Alpes sud-orientales (Queyras) et Alpes de Haute-Provence septentrionales (Haute-Ubaye) ;
-pelouse à Pédiculaire de Suisse et Arnica des montagnes : des Hautes-Alpes méridionales à l’ensemble des Alpes maritimes ;
-pelouse et (pré-bois de Mélèze) à Liondent de Suisse et Alchémille des Alpes : Alpes maritimes (massif du Mercantour) ;
-pelouse à Raiponce de Micheli et Pâturin violacé : Alpes maritimes (extrémité orientale du Mercantour et chaînons ligures).

Valeur écologique et biologique

Habitat sans caractère de rareté ni de régression, représentatif de l’exploitation pastorale des alpages.
Diversité floristique notable pour les types non surpâturés, induisant un net intérêt physionomique saisonnier (richesse des coloris en période de floraison optimale).
Richesse spécifique maximale en stations de pente faible ou de replat, sur roche mère carbonatée (composition potentielle globale pouvant excéder 70 espèces).
Habitat privilégié d’Orchidées protégées (convention de Washington), dont plus particulièrement la Nigritelle de Cornelia (Nigritella corneliana), ainsi que le Coeloglosse verdâtre (Coeloglossum viride).
Susceptible d’abriter des stations d’une espèce rare (protégée en Provence-Alpes-Côte d’Azur, liste régionale 1994, article 1) : Fritillaire de Moggridge (Fritillaria tubiformis subsp. moggridgei).
Espèces à cueillette susceptible d’être réglementée : Arnica des montagnes, Pied-de-chat dioïque (Antennaria dioica).

États de conservation

États à privilégier :
Pelouse dense à abondance moyenne et distribution relativement homogène du Nard raide (absence de plages monospécifiques importantes), état lié à un pâturage ovin extensif de charge modérée (ex. : type à Raiponce de Micheli et Pâturin violacé).
Pré-bois clair de Mélèze (type à Liondent de Suisse et Alchémille des Alpes).
Nardaies des petites combes et dépressions à enneigement prolongé (type à Renoncule des Pyrénées et Vulpin des Alpes).
Autres états observables :
Pelouses fortement dominées par le Nard raide, à diversité spécifique appauvrie.
Pelouses recolonisées par les ligneux bas (phases de reconstitution de la lande à Ericacées).

Tendances et menaces

Habitat non globalement soumis à des menaces immédiates, hors des impacts ponctuels liés aux aménagements et à la pratique des sports de montagne (ski).
Stabilité prévisible à relativement long terme des nardaies à caractère stationnel (dépressions à enneigement prolongé).
Possibilité d’une accélération de la dynamique préforestière (recolonisation par la lande, réimplantation pionnière du Mélèze) au niveau des nardaies de pente pâturées en relation avec l’intensité de la déprise pastorale.

Potentialités intrinsèques de production

Pelouses moyennement à faiblement productives suivant les types.
Elles recouvrent de vastes versants peu pentus ou replats, au relief peu marqué et préférentiellement en ubac, aux étages alpin et subalpin, de 1700 m à 2700 m d’altitude.
De mi-juin à début juillet apparaissent principalement quatre espèces dont l’abondance relative détermine le mode de gestion pastorale :
-la Fétuque rouge ; développement en touffes à partir de début juillet. Malgré son appétence très moyenne, elle constitue le fond pastoral ;
-le Trèfle des Alpes (Trifolium alpinum) ; floraison début juillet. Son abondance détermine la qualité fourragère de la pelouse. Espèce appétente, il a tendance à être consommé en premier au profit d’espèces plus grossières ;
-la Laîche toujours verte (Carex sempervirens) ; précoce (deuxième quinzaine de juin) et peu (voire très peu) appétente, cette espèce est plus difficile à manger. Les touffes de cette Laîche ne sont consommées qu’avec un chargement fort et un gardiennage serré, au plus tard début juillet ;
-le Nard raide (Nardus stricta) ; précoce (deuxième quinzaine de juin) et peu (voire très peu) appétente, cette espèce n’est consommée qu’avec un chargement fort et un gardiennage serré, au plus tard début juillet. Il est donc important de conduire une gestion particulière de la nardaie, afin d’éviter son développement, très difficile à enrayer. En terme pastoral, on cherche à réduire l’extension du Nard raide qui se développe au détriment des espèces de la pelouse.

Axes de recherche

Affiner la connaissance de l’impact du pâturage extensif et des vermifugations du bétail, en particulier les vermifugations longue durée par encapsulage.
Caractériser le comportement du troupeau (sélection d’espèces...) et affiner la connaissance de l’impact du pâturage extensif des nardaies (consommation du Nard raide, pâturage sélectif des espèces compagnes du Nard raide, piétinement), selon l’herbivore, le chargement et l’ensemble de la conduite du troupeau. Ces recherches au niveau de la formation végétale doivent intégrer les interactions spatiales et temporelles avec les autres formations, à l’échelle de l’unité d’alpage.
Ménager des espaces témoins afin d’examiner comment évoluent naturellement les pelouses d’altitude à Nard raide ; effet de la fumure organique (essais de longue durée).
Effet des amendements calciques (apport de chaux) pour remonter le pH (essais de longue durée).

Fiche du cahier d'habitats (format pdf)
Bibliographie

 Bensettiti F., Boullet V., Chavaudret-Laborie C. & Deniaud J. (coord.), 2005. « Cahiers d’habitats » Natura 2000. Connaissance et gestion des habitats et des espèces d’intérêt communautaire. Tome 4 - Habitats agropastoraux. Volume 2. MEDD/MAAPAR/MNHN. Éd. La Documentation française, Paris, 487 p. + cédérom. (Source)