Liste hiérarchisée et descriptifs des habitats des Cahiers d'habitats
Cet habitat se développe sur le bourrelet supérieur des berges à pente moyenne des fleuves côtiers, dans la partie amont des estuaires, au niveau de la zone de balancement de la marée dynamique, ou dans les marais maritimes, en limite amont de la zone d’influence régulière de la marée de salinité.
Le substrat meuble, généralement limoneux à argileux, est régulièrement remanié par la marée ; il est de nature oligohaline à subsaumâtre, toujours gorgé d’eau et inondé au moment des grandes marées hautes (fréquence mensuelle) ou de certaines tempêtes. Dans les marais maritimes, le substrat vaso-sableux est plus ou moins compacté et drainé. Les apports de matière organique, amenée par le flot sous forme de laisses de marées, peuvent être importants au moment des grandes marées.
L’habitat présente une variabilité d’ordre écologique, permettant de distinguer deux grands types de situations stationnelles.
Marais maritimes subsaumâtres, plus ou moins enrichis en matière organique :
- communautés à Chiendent à fleurs serrées (Elytrigia atherica = Elymus pycnanthus) et Guimauve officinale [Agropyro pungentis-Althaeaetum officinalis] ;
- groupement à Guimauve officinale (Althaea officinalis) et Laiche cuivrée (Carex cuprina).
Partie amont des estuaires, avec une variabilité d’ordre géographique :
- littoral de la Manche orientale et de la mer du Nord : communautés à Oenanthe safranée et Angélique vraie [Oenantho crocatae-Angelicetum archangelicae] ;
- littoral du centre-ouest et du sud-ouest de la France : communautés à Angélique à fruits variables et Oenanthe de Foucaud [Convolvulo sepium-Angelicetum heterocarpae] ;
- estuaires bretons et basques : communautés à Oenanthe safranée et Cranson des estuaires [Cochleario aestuariae-Oenanthetum crocatae] ;
- estuaire de l’Adour et secteurs de confluence de ses affluents dans la zone maritime : groupement à Séneçon aquatique (Senecio aquaticus) et Oenanthe safranée (Oenanthe crocata).
Végétation de type mégaphorbiaie plus ou moins graminéenne, c’est-à-dire dominée par les espèces herbacées hautes vivaces à bisannuelles (hémicryptophytes), disparaissant presque totalement en hiver, présentant le plus souvent une seule strate pouvant atteindre 1,5 m à 2 m de hauteur, et dont le recouvrement est souvent important sans toutefois être total.
L’habitat présente un développement linéaire ou en frange plus ou moins continue sur les bourrelets de rives du lit mineur des fleuves côtiers ou au contact supérieur des hauts prés salés dans les marais maritimes.
Il n’y a pas de confusion possible avec les autres types de mégaphorbiaies qui ne se rencontrent ni dans les estuaires, ni dans les marais littoraux ; cependant il faut signaler l’existence de mégaphorbiaies à Oenanthe safranée le long de certains cours d’eau, en milieu doux, c’est-à-dire en dehors de toute influence de la marée.
La confusion est possible avec trois associations végétales rattachées à la classe des Phragmiti australis-Magnocaricetea elatae, correspondant à des mégaphorbiaies-roselières subhalophiles, fortement liées aux mégaphorbiaies oligohalines avec lesquelles elles se trouvent très souvent en contact :
- association à Angélique à fruits variables et Roseau commun (Angelico heterocarpae-Phragmitetum communis) ;
- association à Angélique à fruits variables et Baldingéra faux-roseau (Angelico heterocarpae-Phalaridetum arundinaceae) ;
- association à Cranson des estuaires et Scirpe maritime (Cochleario aestuariae-Scirpetum compacti).
Compte tenu de leur structure de roselière, elles ne caractérisent pas l’habitat « Mégaphorbiaies oligohalines », mais leur gestion ne peut en être réellement dissociée.
Spontanée :
D’une manière générale ces mégaphorbiaies oligohalines ne présentent pas de dynamique très marquée. Il s’agit d’un type d’habitat à caractère pionnier, en relation avec le rajeunissement régulier des berges par les courants de marée et les dépôts réguliers de sédiments fins (argiles et limons). Cependant, dans un contexte de sédimentation active se traduisant par un exhaussement progressif du bourrelet de rive, ce type d’habitat est susceptible d’évoluer vers les mégaphorbiaies-roselières (Angelico heterocarpae-Phragmitetum communis, Angelico heterocarpae- Phalaridetum arundinaceae, Cochleario aestuariae-Scirpetum compacti). À terme, la dynamique peut voir se développer une formation boisée, de type saulaie ou saulaie-frênaie (avec le Saule roux, Salix acuminata, le Saule blanc, Salix alba, le Frêne élevé, Fraxinus excelsior, le Frêne à feuilles aiguës, Fraxinus angustifolia).
En Loire, l’Angélique à fruits variables est plus abondante dans les saulaies où la concurrence avec les espèces hélophytes héliophiles (Roseau commun, Baldingéra faux-roseau, Oenanthe safranée) est faible ; en revanche, là où le Roseau est abondant, l’Angélique disparaît. L’Angélique à fruits variables est une espèce pionnière qui colonise des substrats de vases nues ou couvertes de mousses (rochers, perrés, troncs de Saule blanc).
Liée aux activités humaines :
La gestion par la fauche associée au pâturage peut faire régresser le contact interne de ces mégaphorbiaies oligohalines au profit des communautés prairiales subhalophiles (habitat 1410-3). Dans certains cas, un « nettoyage » des berges par une fauche trop régulière a pour effet de détruire l’Angélique à fruits variables (estuaire de la Charente, à Rochefort).
En revanche, une fauche contrôlée des berges de Loire actuellement menée dans l’agglomération nantaise sur des espaces gérés par le service des espaces verts de la ville, semble bénéfique au maintien des communautés à Angélique à fruits variables.
Contacts inférieurs : petite roselière saumâtre (Scirpion compacti) (Cor. 53.17), roselière-mégaphorbiaie à Angélique à fruits variables (Cor. 53.11), prairies humides dunaires (habitat 2190-4), roselières et cariçaies dunaires (habitat 2190-5), estuaires (UE 1130).
Contacts supérieurs : prairies hygrophiles, prairies subhalophiles thermo-atlantiques (habitat 1410-3), roselières (Cor. 53.11), végétations prairiales hautes des niveaux supérieurs atteints par la marée (habitat 1330-5), saulaies rivulaires (Cor. 44.1).
Au niveau des parties aval des estuaires, cet habitat vient au contact des végétations des prés salés du haut schorre (habitat 1330-3).
Cet habitat est présent dans les embouchures des principaux fleuves côtiers de la façade atlantique française :
- estuaire de la Seine : Oenantho crocatae-Angelicetum archan- gelicae ;
- estuaires de la Loire, de la Sèvre Niortaise, de la Charente, de l’Adour, de la Bidassoa : Convolvulo sepium-Angelicetum heterocarpae ;
- estuaires bretons (Blavet, Scorff, Laïta, Odet, Ildut) et basques (Nive, Bidassoa) : Cochleario aestuariae-Oenanthetum crocatae ;
- marais maritimes de la mer du Nord à la Manche orientale et plus ponctuellement jusqu’au Morbihan : Agropyro pungentis-Althaeaetum officinalis ;
- marais de l’Ouest (de la Vilaine à la Gironde) : groupement à Althaea officinalis et Carex cuprina ;
- estuaire de l’Adour et secteurs de confluence de ses affluents dans la zone maritime : groupement à Senecio aquaticus et Oenanthe crocata.
L’intérêt patrimonial de cet habitat réside surtout dans le fait qu’il se compose de plusieurs associations végétales rares et endémiques des estuaires des grands fleuves côtiers de la façade atlantique française. Par ailleurs, il s’agit de l’habitat primaire de l’Oenanthe safranée dans le Massif armoricain et au Pays basque où cette espèce à répartition subatlantique est bien représentée.
On note également la présence d’espèces végétales à forte valeur patrimoniale : Angelica heterocarpa, endémique franco-atlantique, et Cochlearia aestuaria, endémique ibéro-franco-atlantique, sont protégées au niveau national en France et inscrites au livre rouge de la flore menacée de France (tome 1 : « Espèces prioritaires »).
À cela s’ajoute un intérêt écologique, l’habitat pouvant jouer un rôle épurateur des eaux.
États à privilégier :
Mégaphorbiaie homogène, au recouvrement important, formant un linéaire plus ou moins continu sur les bourrelets de rives et les berges des fleuves côtiers.
Les mégaphorbiaies des marais maritimes forment des ceintures linéaires, plus ou moins continues, généralement assez étroites.
Autres états observables :
Mégaphorbiaies sur berges artificialisées, où cet habitat peut coloniser les appontements, quais, divers types de remblais…, plus ou moins colmatés par de la vase ; il s’agit de formes fragmentaires et déstructurées, souvent appauvries floristiquement.
D’une manière générale, ce type d’habitat subit une tendance à la régression, en relation avec un contexte global d’aménagement et d’artificialisation de tous les grands estuaires atlantiques :
- artificialisation des berges par des enrochements, construction de quais et de pontons, extensions portuaires… ;
- érosion des berges liée aux extractions de granulats ou de recreusement des chenaux pouvant provoquer la régression des mégaphorbiaies oligohalines sur berges ; le creusement du chenal de navigation dans la partie amont de l’estuaire de la Loire a pour conséquence principale un abaissement sensible du niveau d’étiage défavorable en été aux jeunes semis d’Angélique à fruits variables ;
- destruction physique de l’habitat par des remblayages ou des décharges sauvages sur les berges : cette menace concerne tout particulièrement les mégaphorbiaies des marais littoraux ;
- sensibilité potentielle à la pollution par les hydrocarbures, en période de grande marée associée à une tempête ;
- remontée de salinité liée à l’aménagement des conditions de navigabilité : dans l’estuaire de la Loire, depuis trente ans, les travaux de creusement des chenaux dans la partie maritime de l’estuaire menés par le Port Autonome de Nantes - Saint- Nazaire se sont accompagnés de la suppression de seuils naturels par des opérations de déroctage. Ces aménagements ont eu notamment pour conséquences de permettre une remontée de la salinité sur plus de 15 km en amont de sa limite naturelle. La plupart des mégaphorbiaies à Angélique à fruits variables situées dans la partie la plus maritime de l’estuaire, correspondant aux stations les plus naturelles, ont disparu en raison de l’augmentation de la salinité ;
- colonisation par les espèces invasives : Renouée du Japon (Reynoutria japonica) (estuaire de la Loire) ;
- plantation d’arbres sur les berges (Peupliers, Populus spp. …) ;
- aménagement d’espaces verts et de promenades sur les berges (estuaire de l’Adour) ;
- pollution par les matériaux flottants (bois et macrodéchets) (estuaires de l’Adour et de la Loire) ;
- dans certains estuaires, les opérations de nettoyage des quais ont pour effet de faire disparaître des stations secondaires d’Angélique à fruits variables (estuaire de la Charente).
Aucune.
Mise en place d’expérimentations de restauration de l’habitat d’Angelica heterocarpa dans des sites fortement artificialisés des estuaires de la Loire et de l’Adour ; assurer un suivi scientifique à long terme.
Expérimenter des profils de quais résistant à l’érosion et favorables à la reconquête des berges des grands fleuves par les habitats originels de mégaphorbiaies oligohalines.
Mettre en place des suivis écologiques et de dynamiques des populations d’Angélique à fruits variables dans les différents estuaires de son aire de répartition.
Mener des prospections de terrain complémentaires permettant de préciser les statuts phytosociologique et chorologique des différentes associations caractérisant ce type d’habitat.
Effectuer des comparaisons biosystématiques des différentes populations de Cranson des estuaires (Cochlearia aestuaria).
Bensettiti F., Gaudillat V. & Haury J. (coord.), 2002. « Cahiers d’habitats » Natura 2000. Connaissance et gestion des habitats et des espèces d’intérêt communautaire. Tome 3 - Habitats humides. MATE/MAP/MNHN. Éd. La Documentation française, Paris, 457 p. + cédérom. (Source)