ZNIEFF 310030022
FORÊT DUNAIRE DU TOUQUET

(n° régional : 00000237)

Commentaires généraux

La forêt du Touquet, qui couvrait de l'ordre du millier d'hectares dans les dunes à la fin du XIXème siècle, a perdu depuis près des trois-quarts de sa surface au profit du développement de l’urbanisme et des loisirs (golf de la Forêt en particulier). En dehors d'un espace forestier central d'un seul tenant, une grande partie des boisements d'origine ou qui leur ont succédé se retrouve aujourd’hui réduite à des bandes boisées de largeur variable entre les quartiers résidentiels, les fairways et greens du golf de la Forêt et des espaces mités par une urbanisation diffuse. Aussi, les espaces boisés qui subsistent de cette forêt initiale en ont-ils d'autant plus de valeur patrimoniale.

Cette forêt présente trois grands types de peuplements : vieilles pinèdes de Pin maritime occupant souvent les crêtes dunaires ou pinèdes plus récentes de Pin noir, boisements naturels de feuillus divers (Boulaies dunaires pionnières ou chênaies à bouleaux en voie de maturation) et peuplements mixtes feuillus/résineux associant de vieux pins maritimes à des essences caduques diverses : bouleaux, chênes, frênes communs, érables ou plus rarement hêtres.

Au coeur de la forêt, une vaste plaine dunaire humide partiellement boisée (la Plaine du Noeud Vincent) héberge une remarquable prairie sableuse plus ou moins hygrophile. Au Nord-Est, un secteur de pelouses et de fourrés dunaires occupe quelques hectares à l’extrémité de la piste désaffectée de l’aéroport.

Le relief tourmenté et la dynamique naturelle qui s’y exprime librement confèrent au paysage une certaine naturalité qui oblitère l’origine anthropique ancienne de la forêt.

Les liens écologiques et fonctionnels sont réels entre la forêt et certains secteurs du golf voisin : îlots boisés anciens coiffant les crêtes dunaires, prairies maigres et pelouses psammophiles au niveau des espaces entretenus (fairways) qui se différencient ainsi nettement des zones de green plus artificialisées, boisements plus hygrophiles et roselières dans les parties inondables non drainées.  Quelques mares (Odonates, Batraciens) ont par ailleurs été maintenues ou créées au sein du golf de la forêt dont les parcours ont en fait été aménagés dans la plaine dunaire.

 

Sur le plan des habitats, la forêt du Touquet présente également un très grand intérêt phytocénotique, en lien avec la géomorphologie complexe du site et sa situation interne, au niveau de dunes plus anciennes au relief marqué, celles-ci enserrant des dépressions, pannes et plaines sableuses « fossiles » aujourd’hui boisées depuis longtemps, excepté quelques espaces.

Ainsi, malgré les plantations centenaires ou plus récentes qui ont marqué la physionomie actuelle des peuplements, la dynamique forestière naturelle a pu s’exprimer et différents types de boisements naturels à semi-naturels se sont différenciés au fil du temps, tant au niveau de la xérosère que de l’hygrosère.

 

L’originalité floristique de ces dunes boisées tient à la présence de différents cortèges d'espèces qui se côtoient, avec des espèces acidiphiles à acidiclines qui profitent des conditions de substrat particulières sous les vieilles pinèdes ou les boisements mixtes [Goodyère rampante (Goodyera repens), espèce très rare en Hauts-de-France mais naturalisée, la Petite Pyrole (Pyrola minor), etc.], des espèces des sables encore riches en bases avec la Phléole des sables (Phleum arenarium) et diverses espèces thermo-atlantiques à eurasiatiques subméditerranéennes, donc thermophiles, comme le Daphné lauréole (Daphne laureola) particulièrement bien présent dans toute la forêt, la Néottie nid-d’oiseau (Neottia nidus-avis) et bien d'autres encore (voir les intérêts spécifiques).

 

Pour la faune, dix taxons déterminants de ZNIEFF ont été identifiés dans la forêt du Touquet. L’entomofaune locale recèle par ailleurs des taxons potentiellement patrimoniaux dans des groupes qui n’ont pas encore fait l’objet de listes déterminantes de ZNIEFF (Hémiptères, Coléoptères, Hétérocères).

Déjà présent et nicheur en 2009, le Pic noir (Dryocopus martius) est toujours signalé régulièrement dans divers secteurs de la forêt. Il y exploite les pins morts ou sénescents disséminés au sein du peuplement forestier pour se nourrir. Des loges creusées dans les troncs témoignent d’une nidification certaine. Peu commun dans le Nord et le Pas-de-Calais, le Pic noir y est déterminant de ZNIEFF.

Le Blaireau européen (Meles meles) est la seule espèce de mammifère déterminante identifiée sur le site. La découverte d’un terrier en 2022 suggère qu’il pourrait en effet s’y reproduire.

Parmi les papillons de jour ou Rhopalocères, quatre espèces déterminantes ont été identifiées. Le Petit Sylvain (Limenitis camilla), déjà signalé en 2010, a été retrouvé en 2022. Ses chenilles s’alimentent sur les chèvrefeuilles (Lonicera spp.), abondants en sous-bois tandis que les adultes butinent les fleurs de ronciers dans les clairières et les bords de chemins ensoleillés. Deux nouveaux taxons déterminants ont été identifiés : le Demi-deuil (Melanargia galathea) noté en 2020 et 2022, ainsi que le Thécla de la ronce (Callophrys rubi), découvert en  2022. Les deux espèces trouvent dans les végétations prairiales de la Plaine du Noeud Vincent l’ensoleillement et les ressources alimentaires qui conviennent au développement de leurs chenilles (grandes graminées pour le Demi-deuil ; Fabacées pour le Thécla de la ronce). L’Hespérie de la mauve (Pyrgus malvae), observée en 2009 dans le même secteur, n’a pas été revue lors des prospections en 2022 mais elle était encore signalée au Touquet sans localisation précise en 2013 (obs. Yves Dubois in SIRF). La conservation de cette espèce dépend du maintien d’une végétation basse où pourront croître les potentilles et les fraisiers sauvages qui sont la principale ressource alimentaire des chenilles (Wrobel & Mézière, 2017).

S’il n’existe pas encore de liste de taxons déterminants de ZNIEFF pour les papillons « de nuit » dans le Nord et le Pas-de-Calais, les statuts de rareté attribués aux Macrohétérocères dans ces deux départements par Orhant & Wambeke (2010) suggèrent quelques taxons potentiellement patrimoniaux dans les limites de la ZNIEFF
- la Boarmie ponctuée  (Aethalura punctulata) capturée en 2021 dans un sous-bois est très rare dans le Nord et le Pas-de-Calais. Cette espèce vit dans les boisements humides ; ses chenilles vivent sur les saules et les bouleaux ;
- l’Ecaille fermière (Arctia villica) a été vue dans la prairie de la Plaine du Noeud Vincent en 2022. Cette espèce peu commune est en régression dans le Nord et le Pas-de-Calais. Elle est déterminante de ZNIEFF en Picardie ;
- la Cidarie à bandes vertes (Chloroclysta siterata) est assez rare dans le Nord et le Pas-de-Calais et déterminante en Picardie. Deux chenilles ont été capturées en 2022 au battage de branches de chênes ;
- la Nole blanchâtre (Meganola albula) et la Nole crêtée (Nola confusalis), observées en 2022, sont assez rares dans le Nord et le Pas-de-Calais. Elles habitent les haies, les espaces boisés et leurs lisières.

Le renforcement des connaissances sur le peuplement d’Hétérocères est un enjeu important pour compléter l’évaluation de la valeur patrimoniale de la forêt du Touquet.

Les prairies et pelouses dunaires accueillent un cortège d’espèces des milieux ouverts, dont trois taxons déterminants : le Criquet marginé (Chorthippus albomarginatus), découvert en 2009 et observé régulièrement depuis dans la Plaine du Noeud Vincent. Le Gomphocère tacheté (Myrmeleotettix maculatus), qui y avait été trouvé en 2009, n’a pas été revu en 2022. Il pourrait se maintenir dans les secteurs de pelouses psammophiles, notamment au nord de la ZNIEFF, si la densification de l’urbanisation en cours dans le secteur de l’ancienne piste désaffectée de l’aéroport n’entraîne pas une surfréquentation et une dégradation des habitats naturels voisins. Découverte en 2018 dans le même secteur, la Decticelle grisâtre (Platycleis albopunctata) s’ajoute à la liste des Orthoptères déterminants. Cette grosse sauterelle s’installe dans les pelouses dunaires et leurs ourlets herbacés. Le Méconème fragile (Meconema meridionale) fait partie du cortège des Orthoptères arboricoles. Noté en 2009, il a été revu en 2022 et cité dans la liste des autres espèces à enjeux.

Même si des habitats aquatiques favorables à la reproduction des Odonates sont situés en périphérie, des adultes fréquentent les espaces ouverts de la ZNIEFF où ils chassent leurs proies en vol ou à l’affut. L’Agrion mignon (Coenagrion scitulum) et la Libellule fauve (Libellula fulva), mentionnés dans la fiche ZNIEFF en 2010, ne sont plus des espèces déterminantes mais elles sont considérées comme autres espèces à enjeux en 2022.

Bien qu’il n’existe pas encore de liste d’espèces déterminantes de ZNIEFF pour les punaises, il faut signaler la présence de deux taxons pouvant être présumés patrimoniaux pour le Nord et le Pas-de-Calais (a minima) : en 2018, un juvénile de Pinthaeus sanguinipes (Fabricius, 1781) a été pris au battage des branches d’un chêne (Facon, 2020). Cette punaise arboricole prédatrice de larves d’insectes est considérée comme très rare au niveau national (Lupoli & Dusoulier, 2015). Par ailleurs, un mâle d’Elasmostethus minor (Horvath, 1899) a été trouvé en compagnie de juvéniles en 2022 au battage de branches de Camérisier (Lonicera xylosteum), la plante-hôte exclusive de l’espèce, assez répandue sur le site. Cette punaise est considérée comme assez rare au niveau national (Lupoli & Dusoulier, 2015).

La guilde des Coléoptères saproxylophages regroupe des insectes dont les larves se développent dans le bois mort ou dépérissant. Une vingtaine de taxons ont été recensés en forêt du Touquet entre 2009 et 2022. La composition et la diversité des peuplements de saproxylophages apportent des indications précieuses pour évaluer la naturalité et l’état de conservation des forêts (Speight, 1989). S’il n’existe pas encore de liste d’espèces déterminantes de ZNIEFF pour ces familles, des travaux récents donnent un aperçu de la valeur patrimoniale des espèces à l’échelle nationale (Bouget et al., 2019). Ainsi, trois coléoptères saproxyliques trouvés dans la ZNIEFF sont considérés comme bioindicateurs de la qualité des forêts en France (Brustel, 2004) : Rhagium mordax (De Geer, 1775 - Cerambycidae) et Sinodendron cylindricum (Linnaeus, 1758 - Lucanidae) ont un indice patrimonial national de 2 sur 4 [espèces toujours rencontrées en faible densité mais largement distribuées, ou localisées dans quelques régions seulement mais éventuellement localement abondantes (difficiles à observer)] (Bouget et al., 2019). Stenagostus rhombeus (Elateridae), pris au battage sur un chêne en 2018 (Facon, 2020), fait partie des espèces « exigeantes en termes d’habitat, liées aux gros bois, à des essences peu abondantes, demandant une modification particulière et préalable du matériau par d’autres organismes, et/ou prédatrices peu spécialisées (indice de sténoécie niveau 2 sur 4 : Brustel, 2004). Leur présence au sein de la ZNIEFF indique une certaine qualité de la forêt malgré sa faible superficie, qualité liée à une gestion non productiviste du peuplement forestier. La composition de celui-ci favorise la diversité des Coléoptères saproxyliques : certains taxons sont strictement inféodés aux feuillus, d’autres aux résineux. Nonobstant le fait que l’abondance des insectes saproxyliques est importante en tant que ressource alimentaire pour le Pic noir, il faudrait améliorer les connaissances rudimentaires sur le peuplement du site, tant pour les coléoptères que pour les autres invertébrés décomposeurs du bois mort.

Commentaires sur la délimitation

Le périmètre de la ZNIEFF proposée en 2010 correspond à la partie orientale de la forêt initiale qui présente encore un caractère d’espace naturel forestier dominant sur une superficie d’environ 220 hectares d’un seul tenant, sur les 1000 ha environ boisés il y a un siècle.

Une route importante sépare néanmoins une petite portion de la ZNIEFF du reste du massif forestier. En outre, plusieurs zones boisées intégrées au périmètre étaient déjà partiellement loties à l’époque, sous la forme de grandes parcelles devant rester pour partie en espace boisé, l’intrication étroite avec la forêt justifiant à l'époque de les garder dans le périmètre.

Une petite dune isolée au Nord (la Dune au Loup) a été ajoutée à ce périmètre en raison, entre-autres, de la présence de l'Orchis bouc (Orchis anthropophora), une orchidée rare, vulnérable et en régression en région Hauts-de-France, protégée dans le Nord et le Pas-de-Calais.

En 2022, le périmètre a été affiné ponctuellement sur ses marges externes et une extension importante est proposée côté Ouest, avec l'intégration de la partie est du golf de la Forêt en raison de son caractère à dominante boisée, dans la continuité de la forêt dunaire d'origine, au détriment de laquelle il a été aménagé il y a prés d'un siècle. Cette extension, largement justifiée sur le plan écologique et patrimonial, permet ainsi de relier physiquement cette ZNIEFF à celle des dunes de Mayville, également occupée pour partie par le golf de la Mer.

A noter que la gestion partiellement extensive de certains espaces de ce golf a permis le maintien d'une partie des habitats d'origine, même s'il est évident que le drainage de toutes les parties basses a fait disparaître une partie significative des végétations de bas-marais dunaires qui devaient occuper une grande partie de la plaine, des dépressions et des pannes qui n'étaient pas déjà boisées au début du XXème siècle. 

Au moins six habitats dunaires déterminants s'y sont maintenus (boisements et ourlets) ou développés suite à la fauche des espaces herbacés naturels proches des parcours de golf (prairies maigres), avec notamment les habitats suivants :

- Prairie maigre du Carici arenariae - Luzuletum campestris occupant les secteurs du golf entretenus par fauche ou tonte régulière ;

- Prairie dunaire ourlifiée du Carici arenariae - Calamagrostietum epigeji au niveau de clairières au sein de boisements mixtes feuillus-résineux ;

- Forêts dunaires des secteurs aux reliefs marqués avec le Groupement dunaire à Carex arenaria et Betula pendula, le Groupement dunaire à Carex arenaria et Quercus robur sous divers faciès sylvicoles et variations écologiques, notamment une variation méso-acidiphile à Fougère-aigle et Germandrée scorodoine non présente dans le reste de la forêt, en lien dynamique avec le Fourré de l'Ulici europaei - Cytisetum scoparii dont les deux espèces typiques sont présentes, et notamment l'Ajonc d'Europe (Ulex europaeus subsp. europaeus), uniquement observé ici ;

- Forêts hygrophiles du Ligustro vulgaris - Betuletum pubescentis, principalement ici sous sa variation typicum, avec des formes de transition vers la Boulaie à Laiche des sables au niveau des secteurs de plaines dunaires qui ne sont plus inondables.

Ces divers habitats et quelques autres mal structurés ou appauvris (roselières, saulaies) hébergent ainsi au moins huit taxons déterminants parmi la flore (Pyrola rotundifolia, Daphne laureola, Salix repens subsp. dunensis, etc.), dont trois uniquement relevés dans cette extension (Iris foetidissima, Ulex europaeus subsp. europaeus et Cladium mariscus, cette dernière au niveau de dépressions intraforestières longuement inondées).

Une légère extension a également été faite côté Nord-Est pour bien intégrer les prairies naturelles, les ourlets et les fourrés dunaires en lisière de la forêt, en bordure de l'ancienne piste de l'aérodrome. Sept taxons déterminants y ont été relevés, dont deux nouveaux, l'Arabette hérissée (Arabis hirsuta) et l'Héllébore fétide (Helleborus foetidus), deux espèces thermophiles peu commune à assez rare en région Hauts-de-France (et nettement plus rares dans le Nord et le Pas-de-Calais), la seconde étant en régression. Les habitats sont également tous déterminants de ZNIEFF, car typiques de la xérosère dunaire.