V.3.2. - Grottes et boyaux à obscurité totale (en enclave dans les étages supérieurs)

Classification des biocénoses benthiques de la région Méditerranéenne de la Convention de Barcelone (2006)

Description

Cavités immergées de grandes dimensions surtout présentes dans les réseaux karstiques ennoyés, cavités de petite taille et microcavités isolées dans les amas de pierres et au sein de certains concrétionnements.
Les Grottes Obscures sont des enclaves du domaine aphotique dans la zone littorale ; elles présentent des conditions environnementales très originales, proches de celles rencontrées sur la pente continentale. Les deux facteurs clés sont l’absence de lumière, qui exclue les organismes photosynthétiques et le confinement, qui exclue les organismes à forte demande trophique. Le renouvellement de l’eau des chambres obscures est généralement très faible ou occasionnel et dépend de facteurs topographiques, bathymétriques et géographiques locaux. La grande stabilité hydrologique est indiquée par des anomalies de température, des conditions extrêmement oligotrophiques et des paramètres biochimiques. Des anomalies thermiques positives sont typiques des grottes à profil montant (cas fréquent des grottes karstiques) et des anomalies négatives ont été notées dans les rares grottes à profil descendant. La très forte diminution de l’apport trophique depuis l’extérieur entraîne une sélection drastique des animaux établis dans cet habitat. Le taux de recouvrement biologique des parois de cet habitat peut atteindre 80 à 50% dans les zones les plus riches, mais peut être quasi nul dans les parties les plus confinées. La sélection des groupes trophiques et des groupes morphologiques ainsi que l’organisation spatiale sont régis par les conditions environnementales propres à chaque grotte. Cette biocénose comprend une part notable d’espèces typiquement profondes, les plus originales d’entre elles se rencontrant dans les grottes à profil descendant, ayant un régime thermique proche de celui des zones profondes méditerranéennes.

Etage

Bathyal, remontée en circalittoral

Substrat

Rocheux, bioconcrétionnement

Situation

plus ou moins confinée

Hydrodynamisme

Très faible, sauf exception

Salinité

Normale, parfois suintements d'eau douce

Température

Anomalies possibles

Principaux critères de reconnaissance

Fissures et grottes totalement dépourvues de lumière où règnent des conditions de renouvellement de l'eau, de température et trophiques très particulièrement rappelant les zones plus profondes. Le taux de recouvrement de la faune sessile peut être très faible. Les parois sont noircies par des enduits d'oxydes de fer et de manganèse.

Espèces caractéristiques/indicatrices

Foraminifères : Discoramulina bollii,
Eponges : Petrobiona massiliana, Discoderma polydiscus, Corallistes masoni ; Oopsacas minuta, Asbestopluma hypogea, Spirastrella cunctatrix, Merlia deficiens,
Cnidaires : Guynia annulata, Ceratotrochus magnaghii,
Polychètes Serpulides : Janita fimbriata, Filogranula annulata, Metavermilia multicristata, Vermiliopsis monodiscus,
Chaetognathes : Spadella ledoyeri,
Bryozoaires : Puellina pedunculata, Ellisina gautieri ; Setosella cavernicola, Liripora violacea, Annectocyma indistincta,
Brachiopodes : Tethyrhynchia mediterranea, Argyrotheca cistellula,
Crustacés : Hemimysis speluncula ; H. margalefi, Stenopus spinosus, Herbstia condyliata,
Poissons : Oligopus ater, Gammogobius steinitzi.

Habitats associés ou en contact

Les Grottes Obscures (V.3.2) font généralement suite aux Grottes Semi-Obscures (IV.3.2) lorsqu'on s'enfonce dans une cavité.

Confusions possibles

Dans les zones de transition, en particulier dans les tunnels obscurs bien drainés, il est parfois difficile de déterminer les limites entre les Grottes Semi-Obscures (IV.3.2) et les Grottes Obscures (V.3.2).

Intérêt pour la conservation

Les grottes obscures, compte tenu des conditions particulières qui y règnent, sont des milieux refuges pour des organismes à faible compétitivité qui tolèrent les faibles ressources trophiques locales, contrairement à des organismes plus dynamiques. Cet effet refuge se manifeste spectaculairement par la conservation d'espèces reliques (« fossiles vivants » d'origine très ancienne, comme l'éponge hypercalcifiée Petrobiona massiliana), favorisés aussi par la stabilité du milieu. Les grottes sont aussi des refuges pour des organismes risquant d'être chassés par des prédateurs diurnes (cas des Mysidacés cavernicoles).
La présence d'espèces vivant normalement plus profondément (espèces bathyales) s'explique par le fait qu'elles trouvent dans cet habitat les conditions de lumière, de stabilité du milieu, de nourriture similaires à celles de la pente continentale.

Tendances et menaces

Les grottes constituent des paysages de haute valeur esthétique, et sont fréquemment visitées par les plongeurs. Ces derniers peuvent perturber l'environnement particulier de cet habitat en rompant la situation de confinement, en mettant en suspension la vase du plancher, en émettant des bulles qui stagnent ensuite au plafond, et aussi par la multiplication des contacts avec les organismes des parois, qui sont très fragiles et dont le renouvellement est extrêmement lent.

Gestion et statut de conservation

La bonne gestion de cet habitat passe par deux séries de mesures :
-surveillance de la qualité des eaux et de la pollution, en particulier de la charge en matières organiques,
-gestion de la fréquentation et éducation des personnes pratiquant les activités sous-marines.

Auteurs de la fiche

D. BELLAN-SANTINI, G. BELLAN, J. G. HARMELIN

Bibliographie

PNUE, PAM, CAR/ASP, 2006. Classification des biocénoses benthiques marines de la région Méditerranéenne. CAR/ASP, Tunis, 13 p. (Source)

PNUE, PAM, CAR/ASP, 2006. Liste de référence des types d’habitats pour la sélection des sites à inclure dans les inventaires nationaux de sites naturels d’intérêt pour la conservation. CAR/ASP, Tunis, 4 p. (Source)

 PNUE, PAM, CAR/ASP, 2007. Manuel d’interprétation des types d'habitats marins pour la sélection des sites à inclure dans les inventaires nationaux de sites naturels d’intérêt pour la Conservation. Pergent G., Bellan-Santini D., Bellan G., Bitar G. et Harmelin J.G. eds., CAR/ASP publ., Tunis, 199 pp. (Source)

BALDUZZI A., BIANCHI C.N., BOERO F., CATTANEO VIETTI R., PANSINI M., SARÀ M., 1989. The suspension-feeder communities of a Mediterranean sea cave. In ROS J.D., Topics in Marine Biology. Scient. Mar., 53(2-3) : 387-395.

 BELLAN-SANTINI D., LACAZE J.C., POIZAT C., 1994. Les biocénoses marines et littorales de Méditerranée, synthèse, menaces et perspectives. Collection Patrimoines Naturels. Secrétariat de la Faune et de la Flore/M.N.H.N., 19 : 1-246.

BIANCHI C. N., MORRI C., 1994 - Studio bionomico comparativo di alcune grotte marine sommerse : definizione di una scala di confinamento. Memorie dell'Istituto Italiano di Speleologia 6, s. II : 107-123.

DAUVIN J.C., BELLAN G., BELLAN-SANTINI D., CASTRIC A., COMOLET-TIRMAN J., FRANCOUR P., GENTIL F., GIRARD A., COFAS S., MAHÉ C., NOËL P. et DE REVIERS B., (edit.), 1994 - Typologie des ZNIEFF-Mer, liste des paramètres et des biocénoses des côtes françaises métropolitaines. 2ème Edition. Collection Patrimoines Naturels. Secrétariat de la Faune et la Flore/M.N.H.N., 12 : 1-64.

FICHEZ R., 1990. Decrease in allochthonous organic inputs in dark submarine caves, connection with lowering in benthic community richness. Hydrobiologia, 207 : 61-69.

HARMELIN J.G., 1994. Les peuplements des substrats durs circalittoraux. In Bellan-Santini D., Lacaze J.C., Poizat C., 1994 - Les biocénoses marines et littorales de Méditerranée. Collection Patrimoines Naturels 19 : 246 pp.

HARMELIN J.G., 1997. Diversity of bryozoans in a Mediterranean sublittoral cave with bathyal-like conditions: role of dispersal processes and local factors. Mar Ecol Prog Ser, 153: 139-152.

HARMELIN J.G., 2000. Ecology of cave and cavity dwelling bryozoans. In : Proceedings of the 11th International Bryozoology Association Conference, pp. 38-53. A. Herrera Cubilla & J.B.C. Jackson (eds.). Publ. Smithsonian Tropical Research Institute, Balboa, Republic of Panama.

 HARMELIN J.G., VACELET J., VASSEUR P., 1985. Les grottes sous-marines obscures : un milieu extrême et un remarquable biotope refuge. Tethys, 11 (3-4) : 214-229.

 LABOREL J., VACELET J., 1958 – Etude des peuplements d’une grotte sous-marine du golfe de Marseille. Bulletin de l’Institut Océanographique de Monaco, 1120 :1-20

 PERES J.M., PICARD J., 1964. Nouveau manuel de bionomie benthique de la Méditerranée. Rec Trav. Stat. Mar. Endoume, 31 (47) : 1-137.

RIEDL R., 1966. Biologie der Meereshöhlen, Verlag Paul Parley, Hamburg & Berlin, 636p.

ROS J.-D., ROMERO J., BALLESTEROS E., GILI J.-M., 1985. Diving in blue water. The benthos. :233-295. In: Western Mediterranean, Margalef, R. Ed. Pergamon Press.

VACELET J., 1996. Deep-sea sponges in a Mediterranean cave. Biosystematics and Ecology, 11 : 299-312.

ZABALA M., RIERA T., GILI J.M., BARANGE M., LOBO A., PENUELAS J., 1989. Water flow, trophic depletion, and benthic macrofauna impoverishment in a submarine cave from the western Mediterranean. P.S.Z.N.I : Mar. Ecol., 10(3) : 271-287.

ZIBROWIUS H., 1971. Remarques sur la faune sessile des grottes sous-marines et de l’étage bathyal en Méditerranée. Rapp. Comm. int. Mer Médit., 20(3) : 243-245.